À la rencontre de l’art bouddhique

La statue en pied de Zaô Gongen et le mystérieux pavillon Nageire-dô

Art

La statue au visage courroucé de Zaô Gongen se trouvait autrefois dans un sanctuaire accroché à flanc de falaise. Cette sculpture abolit les illusions et tout ce qui endigue l’illumination.

Ce Zaô Gongen en pied se trouve au Sanbutsu-ji, un temple de la ville de Misasa, sur le mont Mitoku, dans la préfecture de Tottori. On dirait qu’elle est prête à se jeter sur les visiteurs tant ses traits sont impétueux.

La statue représente un gongen. On parle de gongen quand un bouddha se manifeste sous la forme d’une divinité locale. Zaô Gongen relève du shugendô, une tradition syncrétique mêlant des éléments du culte des montagnes à la pratique du bouddhisme. La légende veut que, En no Gyôja (634- c. 700–707), fondateur du shugendô, pratiquait l’ascèse sur les hauteurs du Kinpusen, un mont sacré de Yoshino situé entre Nara et la péninsule de Kii, quand il a vu Zaô Gongen surgir d’une faille d’un énorme rocher pour s’envoler dans les airs. Cette statue aux cheveux hérissés incarne l’acharnement à vaincre les illusions et à surmonter tout ce qui empêche l’illumination. La main gauche est posée sur la taille, dans une pose appelée ken-in ou mudra de l’épée, elle lève le poing et son pied droit dans un mouvement très dynamique.

La statue se trouvait autrefois dans le oku-no-in qui est la partie la plus centrale du temple. Ce Trésor national était comme enchâssé dans un pan de falaise du mont Mitoku. Le site est si fragile et difficile d’accès qu’on entend souvent dire que le sanctuaire et son trésor étaient les plus inaccessibles du Japon. On raconte qu’en 706, En no Gyôja aurait construit un pavillon au pied de la montagne dédiée à Zaô Gongen puis qu’il l’aurait lancé et fait voler jusque dans cette cavité de la falaise grâce à ses pouvoirs surnaturels, d’où son nom de Nageire-dô qui signifie « pavillon lancé ». En 849, Ennin (Jikaku Daishi de son titre posthume) aurait ensuite fait construire de nouveaux bâtiments pour agrandir le site et y installer des statues de Shakyamuni, Amida et Dainichi, c’est pourquoi le temple a pris le nom Sanbutsu-ji, qui signifie « temple des Trois Bouddhas ».

Le plancher du pavillon Nageire-dô est étayé avec de longues poutres en appui sur la paroi rocheuse. Ce type de structure suspendue (kake-zukuri) s’apparente aux techniques utilisées pour la célèbre « terrasse » du Kiyomizu-dera à Kyoto. Une étude réalisée en 2001 montre que cette errasse daterait plutôt du XIIe siècle. Il est peu probable qu’il s’agisse de l’original d’un pavillon « lancé » par En no Gyôja. Mais de nombreuses questions subsistent quant aux méthodes de construction : comment a-t-il pu être érigé dans un endroit aussi inaccessible ?

Nageire-dô, l’édifice est niché dans la falaise à 520 mètres au-dessus du sol. On dit que c’est le pavillon le plus dangereux d’accès au Japon.

Nageire-dô, l’édifice est niché dans la falaise à 520 mètres au-dessus du sol. On dit que c’est le pavillon le plus dangereux d’accès au Japon.

La statue principale est en hinoki (une espèce de cyprès), elle a été réalisée suivant la technique dite yosegi-zukuri, qui consiste à assembler plusieurs morceaux de bois pour former le tronc de la figure. Le sculpteur a réalisé un tour de force technique en faisant tenir cet assemblage en équilibre sur une seule jambe. Quand la statue a été démontée pour réparation en 1921, les chercheurs ont trouvé à l’intérieur de l’œuvre une inscription votive datant de 1168. La statue et le temple seraient donc de la même époque. La thèse la plus probable soutient que Kôkei, le père du célèbre Unkei, en ait été l’auteur. La statue était sans doute à l’origine colorée, le bois recouvert d’une couche d’argile blanche ayant été peint.

Le Sanbutsu-ji compte sept autres statues de Zaô Gongen, toutes classées Biens culturels importants. Elles dateraient de la même période, mais elles ont été sculptées dans un seul bloc de bois. À l’exception de celle qui n’a été classée Bien culturel important qu’en 2017, les statues sont toutes exposées au musée du trésor de Sanbutsu-ji. Cet ensemble témoigne de la force de la dévotion rendue à Zaô Gongen et de l’ampleur des rites syncrétiques ayant fleuri pendant la période Heian (794-1185) sur le mont Mitoku.

Les pratiquants du shugendô se retiraient du monde profane pour vivre dans les forêts et les montagnes, ils pratiquaient l’ascèse dans des environnements inhospitaliers où le moindre faux pas pouvait leur être fatal.

« Pratiquer l’ascèse et sentir rôder la mort devait être pour eux un moyen de se sentir vivant et d’accéder à un autre niveau de conscience, nous dit le photographe Muda Tomohiro. Ces ascètes des montagnes avaient choisi de vivre une spiritualité sous le signe de la mort imminente, mais Zaô Gongen et son impétuosité était là pour les protéger. C’est ce que j’ai compris au travers de mon objectif. »

Un sentier qui mène au temple Sanbutsu-ji est très escarpé et de nombreux pèlerins ont fait de mauvaises chutes sur ces chemins ardus.

Un sentier qui mène au temple Sanbutsu-ji est très escarpé et de nombreux pèlerins ont fait de mauvaises chutes sur ces chemins ardus.

Statue de Zaô Gongen en pied

  • Hauteur : 1,15 mètre
  • Date : XIIe (fin de l’époque Heian)
  • Emplacement : temple Sanbutsu-ji (préfecture de Tottori)
  • Classé : Bien culturel important

(Toutes les photos © Muda Tomohiro)

bouddhisme art sculpture Tottori