Une balade culturelle et touristique autour de la ligne Yamanote
D’Okachimachi à Nippori : agitation commerçante et havres de paix
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Le quartier des chasseurs de bijoux
Cette balade entre les gares d’Okachimachi et de Nippori réserve bien des surprises, à commencer par des artères comme Diamond Avenue et Pearl Street, dans les quartiers sud et est d’Okachimachi.
Oubliez la Fifth Avenue new-yorkaise ou Bond Street à Londres. Ici, aucun écrin de luxe : ce quartier banal et sans fard est pourtant le premier pôle bijoutier du Japon, avec des rues bordées de dizaines de boutiques spécialisées dans la vente, le façonnage et l’expertise de bijoux.

Okachimachi regorge de bonnes affaires pour les amateurs de bijoux.
Fait surprenant : l’atmosphère clinquante et tape-à-l’œil du lieu est tempérée par les senteurs complexes et dépaysantes des nombreux restaurants indiens et népalais alentour. Cardamome, curcuma, garam masala… le mélange d’épices forme un parfum enivrant, à la fois réconfortant et stimulant.

La ligne Yamanote et ses 30 gares. (Pixta)
Ueno : histoire, musées, gastronomie et bien plus encore
Okachimachi est reliée à Ueno par Ameya Yokochô (ou Ameyoko), une rue commerçante dont les origines remontent aux marchés noirs de l’immédiat après-guerre. Dans les années 1940 et 1950, elle s’était spécialisée dans les bonbons (ame en japonais) et les produits américains (d’où le nom Ameyoko). Aujourd’hui, les échoppes sous les voies ferrées vendent de tout : articles de sport, vêtements importés, cosmétiques, aliments secs, épices, fruits et légumes frais.

La rue commerçante Ameyoko, à Ueno (© Pixta)
Très peu de touristes s’aventurent pourtant dans l’Ameyoko Center Building, et c’est dommage. Situé dans le sous-sol, son marché alimentaire asiatique (l’Underground Food Street) vaut à lui seul le détour. On y trouve du poisson frais, des herbes, des légumes et condiments venus de Thaïlande, d’Inde, du Vietnam et de Chine.

L’Underground Food Street, dans l’Ameyoko Center Building, propose des produits venus de toute l’Asie.
Ueno est également un quartier historique. En 1868, il a été le dernier bastion des partisans du shogunat Tokugawa, qui s’y sont battus contre les forces impériales jusqu’à leur dernier souffle. À partir de 1883, la gare de Ueno a relié Tokyo au nord du pays, devenant un temps la plus fréquentée du Japon.
Des années 1950 aux années 1970, des milliers de jeunes venus du Tôhoku débarquaient ici à bord des shûdan shûshoku ressha (« trains de recrutement en groupe »). Ces collégiens à peine sortis de l’école, appelés kin no tamago (œufs d’or), venaient chercher du travail dans les usines, chantiers et magasins de la capitale, contribuant ainsi au miracle économique japonais.
La gare avait autrefois un quai dédié à ces trains : le numéro 18, aujourd’hui disparu. À l’entrée du quai 15 subsiste un monument en leur honneur, gravé d’un tanka du poète Ishikawa Takuboku : « La voix de mon pays me manque, je viens l’écouter dans la foule de la gare. »
Devant la gare, un autre monument rend hommage à Aa, Ueno Eki (« Ah, la gare de Ueno »), chanson d’Izawa Hachirô qui résonnait dans le cœur des nouveaux arrivés dans la capitale.

À gauche, le vers de Takuboku gravé à la gare de Ueno. À droite, le monument dédié à la chanson d’Izawa. (© Pixta)
Si Ameyoko garde encore les vestiges du marché noir d’après-guerre, le parc de Ueno, lui, incarne l’art, la science et le savoir. L’un des meilleurs moyens d’y accéder est le passage est-ouest, surnommé « pont du panda ». Construit en 2000, il visait à faciliter l’évacuation vers le parc, côté ouest, en cas de catastrophe, depuis la zone plus dense de l’est de la gare.
Le parc d’Ueno attire familles, couples et touristes, mais c’est aussi un des rares lieux du centre de Tokyo où vivent des sans-abri. Devant la gare, un homme est allongé : une patrouille de police passe sans réagir. Un autre lit tranquillement un livre derrière un panneau d’information, écouteurs dans les oreilles.
Beaucoup se rassemblent à l’arrière du parc. Ce sont souvent des hommes âgés et masqués, avec une casquette vissée sur la tête, des laissés pour compte d’un Japon qui les a utilisés durant sa croissance fulgurante.
Autre site injustement ignoré : le temple Kan’ei-ji, juste derrière le parc. Ironie du sort, ce haut lieu du bouddhisme sous le shogunat Tokugawa, autrefois interdit au peuple, se remarque aujourd’hui à peine, alors qu’il est situé à seulement 10 minutes de l’un des endroits les plus fréquentés de la capitale.
Entièrement détruit lors de la bataille de 1868, Kan’ei-ji n’occupe plus qu’une fraction de ses anciens terrains sacrés. Mais il mérite une visite, ne serait-ce que pour la vue insolite qu’il offre à l’arrière de son cimetière : un panorama mêlant tombes, trains de la Yamanote et hôtels douteux. Bienvenue dans notre prochaine étape.

Le temple reconstruit de Kan’ei-ji offre un havre de paix au cœur du tumulte. (© Pixta)
La « vallée des rossignols », une citadelle du sexe
Uguisudani incarne à la perfection la théorie freudienne selon laquelle l’être humain est mû par deux instincts fondamentaux : Éros (la pulsion de vie) et Thanatos (la pulsion de mort). Éros règne au nord de la gare, occupé par un impressionnant cluster d’hôtels de passe. Autrefois quartier de geishas, l’endroit est devenu une citadelle du sexe, accompagné de quelques cafés poussiéreux aux toilettes sales et d’échoppes à kebab… Un Tokyo de série B, bon marché et malfamé. Difficile d’imaginer qu’Uguisudani, littéralement la « vallée des rossignols », évoquait jadis les chants d’oiseaux et la nature…

Le nord d’Uguisudani regroupe un vaste quartier d’hôtels de passe.
De l’autre côté de la gare, presque personne n’habite : l’endroit est entièrement occupé par le vaste cimetière du Kan’ei-ji. C’est ce qui explique pourquoi Uguisudani est la deuxième gare la moins fréquentée de la Yamanote, derrière la Takanawa Gateway (environ 23 000 passagers selon une étude JR East de 2023).
Du reste, tout le secteur entre Uguisudani et Nippori est parsemé de temples et de cimetières. À l’époque d’Edo, Nippori était en périphérie de la ville, on y avait déplacé de nombreux temples en bois pour éviter qu’ils ne propagent les incendies dans le centre.
Ironie de l’histoire, le centre-ville a brûlé plusieurs fois, mais Nippori a été épargnée, aussi bien par le Grand séisme du Kantô de 1923 que par les bombardements américains de 1945.
Yanaka, situé à l’intérieur de la boucle Yamanote, est l’un de ces quartiers préservés. Ancienne bourgade de temples, il a su garder son charme d’antan et attire aujourd’hui artisans, commerçants et artistes.

Jômyô-in, juste à l’ouest d’Uguisudani, est l’un des temples les mieux préservés de Tokyo.
Depuis Uguisudani, on entre dans le cimetière de Yanaka presque sans s’en rendre compte, tant il est ouvert, sans murs ni portail. On y croise joggeurs et cyclistes qui l’empruntent comme raccourci. En déambulant dans ses allées, on aperçoit ici une canette de bière, là un terrain de jeu. Vivants et morts cohabitent en toute simplicité.

À Uguisudani, Éros et Thanatos ne sont séparés que par les rails.
Ce cimetière est un espace suspendu entre deux mondes. Avec ses 10 hectares et 7 000 tombes, on s’y perd facilement. Pour se repérer, il faut suivre le grondement des trains qui passent en contrebas, hors de vue.
Mais Yanaka, ce n’est pas que des tombes. On y respire la terre, les fleurs, les jeunes feuilles. On y entend le vent, les cloches des temples, et le bruissement des tablettes funéraires. C’est sans doute l’un des quartiers les plus paisibles du centre de Tokyo. Certes, la rue commerçante Yanaka Ginza et le musée Asakura sont des incontournables, mais ce sont surtout les petites ruelles alentour qui méritent l’exploration.
Les passionnés de temples pourront pousser jusqu’à Tennô-ji, fondé il y a plus de 700 ans, dont l’entrée est gardée par un grand Bouddha assis. Ou Kyôô-ji, dont les portes en bois portent encore les impacts de balles de la bataille de 1868, un rappel sanglant de la fin du shogunat Tokugawa.

Les impacts de balles à Kyôô-ji rappellent le sanglant conflit marquant le déclin du Japon pré-moderne.
Nippori, paradis des stylistes
Notre balade s’achève en traversant les voies à Nippori. Sur le côté extérieur de la boucle, un constat s’impose, Tokyo manque cruellement d’espaces verts. Dans les 23 arrondissements centraux, 82 % des sols sont couverts d’asphalte et de béton (contre 62 % d’urbanisation et 30 % d’espaces verts à Londres).
L’est de Nippori, c’est cela : surfaces dures, immeubles gris, et bitume à perte de vue. Seules touches de couleur, ce sont celles du quartier du textile (Nippori Sen’igai), un paradis pour couturières et stylistes. On y trouve tissus, boutons, rubans et tout le nécessaire pour créer la tenue de ses rêves.

Le quartier du textile de Nippori attire les amateurs d’artisanat du Japon et du monde entier.
(Photo de titre : Jômyô-in, l’un des temples les mieux cachés et préservés de Tokyo. Toutes les photos © Gianni Simone, sauf mentions contraires)
