Une pause-café dans une maison traditionnelle japonaise
Une vieille pharmacie reconvertie en café : Koguma et le Tokyo d’antan
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Un moment suspendu dans le temps
Comptez vingt minutes à pied depuis la tour Skytree, ou seulement sept minutes depuis la station de Hikifune sur la ligne Tôbu Isesaki, pour atteindre l’entrée discrète de la rue commerçante Hato-no-Machi. C’est dans ce quartier que se trouve le charmant café Koguma, où les clients viennent se détendre depuis près de vingt ans.
J’ai découvert cet endroit quelques années après son ouverture. L’atmosphère du lieu m’a immédiatement conquise. Installé dans la partie gauche d’une maison ancienne à trois unités, presque centenaire, le café abritait autrefois une pharmacie. L’enseigne d’époque, sur laquelle on pouvait lire « Médicaments », ainsi que l’intérieur, où la vue sur l’extérieur se déformait légèrement à travers les vitres épaisses et irrégulières, m’ont particulièrement séduite. Sur le mur, une horloge d’un autre temps égrenait lentement les minutes, tandis que les clients, eux, attendaient leur boisson chaude.

L’horloge murale, dont les chiffres ont subi les effets du temps, et l’enseigne où l’on peut lire « Medicaments ».
En revenant à Koguma pour la première fois depuis quinze ans, j’ai retrouvé l’atmosphère du café telle que je m’en souvenais. Je suis curieuse de savoir quels changements, le cas échéant, le passage du temps avait apporté au café et au quartier...
Un pas dans le passé
Peu de gens connaissent aujourd’hui le nom de Hato-no-Machi, un quartier de plaisirs qui existait dans les années turbulentes ayant suivi la Seconde Guerre mondiale. Les maisons closes y fonctionnaient avec l’approbation tacite des autorités, et la zone prospéra pendant une dizaine d’années, jusqu’à ce que la prostitution y soit finalement interdite en 1958. Des écrivains célèbres de l’ère Shôwa (1926–1989), comme Nagai Kafû (1879–1959) et Yoshiyuki Junnosuke (1924–1994), situaient souvent leurs œuvres dans des lieux similaires, fascinés par leur aura singulièrement sordide et mélancolique.

La rue commerçante a un goût d’avant-guerre. Elle a miraculeusement survécu aux bombardements de 1945 qui avaient incendié la majorité de la capitale.
La rue commerçante Hato-no-Machi tient son nom du quartier de plaisirs adjacent. Elle prospéra pendant deux décennies, à partir du milieu des années 1950, soutenue par la clientèle du quartier voisin de Mukôjima, où se trouvaient des ryôtei, luxueux restaurants traditionnels. De nos jours, cette rue étroite, riche en caractère d’avant-guerre et bordée de maisons particulières ainsi que d’un mélange de boutiques ouvertes et fermées, reflète les changements du temps.
De la pharmacie au café
Koguma a ouvert ses portes en 2006, mais le bâtiment qu’il occupe, datant de 1927, est presque centenaire. Les propriétaires, Yamanaka Masaya et Akiko, ont rénové les lieux, insufflant une nouvelle vie à cette ancienne bâtisse.

Une fiole de médicaments vintage datant de l’époque où le café était une pharmacie.
Les Yamanaka ont pris grand soin de préserver l’identité des lieux lors des rénovations. Les grandes étagères autrefois utilisées pour entreposer les médicaments sont aujourd’hui utilisées pour ranger des livres ou exposer des céramiques. Les bureaux et les chaises, dont certains portent encore les gribouillis d’élèves, proviennent d’un juku (école de soutien scolaire) tenu par la famille de Masaya. Des planches de pin, traitées au kakishibu, un pigment traditionnel à base de jus de kaki, et au bengara (ocre rouge), recouvrent ce qui était à l’origine un sol en béton nu.
Une horloge murale, utilisée depuis l’époque où le café était une pharmacie, trône fièrement. Cette pendule, qui s’était arrêtée il y a longtemps, se remit mystérieusement à fonctionner lorsque les Yamanaka ouvrirent Koguma.

L’horloge à pendule veille sur le café depuis plusieurs décennies.
La marque « Sumida Modern »
Chacun trouvera son bonheur chez Koguma. En passant du simple café ou matcha latte d’Uji aux sodas à la crème d’antan. Parmi les recommandations, on retrouve un plat léger et un dessert arborant le label local « Sumida Modern ».
L’une des spécialités du café est l’omuraisu grillé : un riz poêlé enveloppé dans une omelette molle. En plongeant la cuillère dans cette omelette moelleuse, un nuage de vapeur s’échappe, révélant un riz parfumé au ketchup et rehaussé d’un mélange de dix épices. Autre suggestion, l’anmitsu-dama, une version originale de l’anmitsu, dessert japonais traditionnel. Ici, les fruits et la pâte de haricots azuki sont enfermés dans une gelée d’agar-agar transparente, servie avec un sirop de sucre brun à verser selon votre goût.

L’omuraisu grillé, servi brûlant

L’anmitsu-dama distinctif de Koguma
Liés par l’art
Les Yamanaka sont originaires de Musashino, dans l’ouest de Tokyo, où ils dirigeaient autrefois une troupe théâtrale. Par le fruit du hasard, plusieurs projets artistiques ont été lancés dans l’est de Tokyo au début des années 2000. L’art était perçu comme un moyen de redonner vitalité à l’arrondissement de Sumida et à d’autres parties du shitamachi, l’ancien centre-ville, qui connaissait un déclin depuis un certain temps, les industries s’éteignant et la population vieillissant.
Ils visitèrent pour la première fois le quartier à l’occasion d’une représentation et furent immédiatement séduits par la rue commerçante Hato-no-Machi, tombant amoureux de ses ruelles étroites et de ses paysages urbains empreints du Tokyo d’autrefois. Ils décidèrent rapidement de s’y installer et de lancer leur activité. Après l’ouverture de Koguma, ils devinrent des figures de proue de l’association locale des commerçants et ont consacré leurs efforts à insuffler une nouvelle vie à la communauté.

Les propriétaires de Koguma, Yamanaka Masaya à gauche et Akiko à droite.
Souvenirs fanés
Je me suis promenée pour retrouver l’atmosphère du quartier. Lors de ma première visite, de nombreux anciens bâtiments situés dans les ruelles arrière de l’ancien quartier de plaisirs subsistaient encore, leurs façades ornées de vitrines élégantes et de tuiles travaillées pour attirer les clients. Mais ils ont tous disparu aujourd’hui, emportés par une vague de modernisation. Les terrains vagues envahis par les mauvaises herbes que j’avais rencontrés ont eux aussi été remplacés par des immeubles modernes, et Koguma compte désormais de jeunes familles parmi sa clientèle.
Autrefois entreprise fraîchement installée, Koguma est aujourd’hui une présence solidement établie. Le bâtiment qui l’abrite a lui aussi changé. La maison de ville, initialement reliée par de longues poutres, a été séparée et trois structures se tiennent désormais indépendamment les unes des autres.

Koguma, dernière partie d’un bâtiment contenant trois structures.
L’intérieur de Koguma, en revanche, n’a pas changé d’un pouce. Akiko dit qu’elle adore écouter les murmures des conversations discrètes et la présence des clients depuis sa cuisine. « Nous mettons un point d’honneur à ne pas discuter plus que nécessaire avec nos clients, afin que chacun puisse apprécier le silence et la tranquillité des lieux, qu’on vienne pour lire un livre au calme ou simplement pour manger un morceau. » Certains clients, tasse de café en main, prennent plaisir à dessiner le café pour l’offrir aux Yamanaka en partant. L’atmosphère paisible du café les inspire sûrement.
Dans ce coin de Tokyo encore empreint des traces de l’urbanisme d’avant-guerre, un café installé dans un bâtiment presque centenaire agit comme un héritier silencieux de souvenirs. L’heure du déjeuner attire de nombreux clients ; si vous souhaitez profiter du calme, la fin d’après-midi est idéale. Les étagères, autrefois garnies de médicaments et de cosmétiques, ainsi que l’horloge murale sous laquelle d’innombrables personnes ont passé du temps, méritent à elles seules une visite dans ce quartier.
Kominka Café Koguma
- Adresse : 1-23-14 Higashi-Mukôjima, Sumida-ku, Tokyo
- Horaires : 11 h 30–18 h 30 (dernière commande à 18 h 00)
- Fermé : les mardis et mercredis
- Accès : 7 minutes à pied depuis la station Hikifune sur la ligne Tôbu Isesaki
- Site web : https://ko-gu-ma.com/ (en japonais)
(Toutes les photos : © Kawaguchi Yôko)