Quand Murakami Haruki parle de voitures...

Livre Technologie Culture

Murakami Haruki est l’écrivain japonais le plus populaire actuellement dans le monde, mais il est également connu pour aimer rester éloigné des médias, ne mettant que très rarement sa vie privée en avant. Il vient pourtant de collaborer à un article pour une revue spécialisée dans l’automobile, et nous fait découvrir une autre facette de sa mystérieuse personnalité. Un critique littéraire nous en parle.

Je suis un inconditionnel de Murakami Haruki, un homme de ma génération, ou presque. Depuis que je l’ai découvert dans Écoute le chant du vent et La Course au mouton sauvage, je dévore chacun de ses nouveaux romans, notamment ses plus longs que j’adore (La Fin des temps, Chroniques de l’oiseau à ressort et IQ84). Parmi ses œuvres récentes, je ressens de la sympathie pour le mystérieux M. Menshiki, l’homme d’âge mûr qui joue le second rôle dans Le Meurtre du Commandeur.

Mais laissons cela de côté, et venons-en à un article inédit auquel l’auteur a participé dans les pages de Engine du mois d’octobre, un mensuel spécialisé dans l’automobile.

Le magazine mensuel Engine du mois d’octobre
Le magazine mensuel Engine du mois d’octobre (Éd. Shinchôsha)

Même si certains connaissaient son amour des voitures, je ne crois pas que Murakami l’ait souvent montré aussi ingénument...

Un jour de juillet 2019, le magazine l’a invité à conduire sur le circuit de Sodegaura (préfecture de Chiba) une Porsche 356A Speedster de 1956, propriété du Musée Porsche, et une 911 (type 992) Carrera S, un modèle qui vient d’être lancé au Japon.

La même porsche que Paul Newman

Le compte rendu des essais prend la forme d’un dialogue entre un journaliste du magazine et l’écrivain sur leurs impressions, mais le vocabulaire qu’utilise l’écrivain pour en parler – des mots comme accélération, freinage, la précision de conduite, révèle sa passion. Par exemple, voici ce qu’il dit de la nouvelle Carrera S.

« La réponse est souple, la direction légère. Une peu comme si elle était moins engoncée. »

Mais l’essai de la 356A Speedster est pour lui le temps fort.

Dans le texte qu’il a écrit pour Engine, Murakami nous apprend qu’il apprécie beaucoup un film qu’il a vu quand il était lycéen, Détective privé. La voiture que le personnage principal, qui est interprété par Paul Newman, conduit à Los Angeles est justement ce modèle de Speedster. L’auteur n’a donc pas eu l’ombre d’une hésitation en apprenant qu’il avait la possibilité d’en conduire un. « J’aurais aimé rentrer avec ! » a-t-il ajouté après l’avoir essayé.

Même dans un simple article comme celui-ci, avec la façon dont il explique les choses, on retrouve notre Murakami comme on l’aime !

Par exemple lorsqu’il explique longuement pourquoi cela fait 22 ans qu’il conduit des Porsche Boxster (il en est à sa troisième). « Là première calait sans arrêt. Mais une fois que j’avais appris à la maîtriser (je me suis beaucoup entraîné sur des routes de montagne), elle était très agréable. [… ] Le modèle actuel est bien sûr plus facile à manier, et pratique. Mais j’ai toujours un peu l’impression que je suis devenu plus mou. Et j’en retire une certaine frustration, comme si le cœur de jeune homme que j’ai toujours en moi n’était pas pleinement satisfait. »

Une Jaguar pour monsieur Menshiki 

Engine a publié deux autres articles, dans ses numéros de septembre et d’octobre, dans lesquels l’écrivain parle abondamment des voitures de sa vie.

Comme Murakami pratique le triathlon, il roule dans un Renault Kangoo quand il doit emporter son vélo. Il s’en sert aussi pour aller de son domicile dans la préfecture de Kanagawa à son bureau de Tokyo. Il a deux voitures.

Sa première voiture après avoir passé son permis était une Lancia Delta, à l’époque où il habitait à Rome à la fin des années 80. « Débuter au volant à Rome, cela vous forge le caractère. J’ai souffert », explique-t-il en riant.

Au Japon il s’est acheté une Mercedes 190E 2.5-16, mais comme cette voiture ne s’éveille qu’à plus de 160 km/h, il ne lui a pas été possible d’en apprécier les qualités. « Mais j’aimais bien ouvrir son capot et regarder son moteur monstrueux. » Résolu à parer au plus pressé, il a essayé une voiture japonaise dans l’optique d’en acheter une, mais l’essai n’a pas été concluant.  « J’ai eu l’impression d’être à bord d’un aspirateur électrique, et je me suis dit que je ne pouvais pas acheter ça. »

Dans Le Meurtre du Commandeur, le personnage de monsieur Menshiki conduit une Jaguar XJ8. « Il me semblait finalement qu’une voiture allemande n’était pas pour lui. Ç’aurait été trop normal. Je ne le voyais pas non plus dans une italienne. Parmi les anglaises, une Bentley ou une Rolls-Royce aurait été trop. Une Jaguar, par contre, c’était parfait pour ce personnage. » Les lecteurs du roman comprendront exactement pourquoi.

Ces deux numéros d’Engine contiennent de nombreuses photos couleurs des voitures et de l’écrivain. Elles reflètent bien sa personnalité, son goût pour les détails, et l’attraction qu’exercent ses livres.

Précisons enfin que Murakami préfère les boîtes manuelles aux automatiques. Il explique pourquoi dans l’essai du numéro d’octobre.

« Sans aucun doute parce qu’une boîte manuelle permet la liberté de choix. Quelque chose que l’on perd de plus en plus aujourd’hui, et que je tiens à garder au moins au volant. C’est peut-être une pensée de vieux, mais tant pis. »

Voilà bien une déclaration qui lui ressemble !

(Photo de titre : Murakami Haruki lors d’une conférence de presse à l’Université Waseda.  4 novembre 2018. Jiji Press)

Voir également nos deux autres articles sur Murakami Haruki

Murakami Haruki littérature livre voiture