Kawakami Mieko : une romancière qui s’est fait le porte-parole des femmes japonaises

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Kawakami Mieko est notamment célèbre pour son court roman Seins et Œufs, lauréat du plus grand prix littéraire japonais, avec en prime un certain succès pour l’édition française de son œuvre. À l’occasion d’une réunion du Club des correspondants étrangers du Japon (FCCJ) organisée à Tokyo en novembre 2020, la romancière s’est exprimée sur la suite de ce best-seller ainsi que de la situation des femmes, son sujet de prédilection.

Le succès foudroyant d’une féministe

Kawakami Mieko est née en 1976 à Osaka. En 2006, elle s’est lancée dans l’écriture, après avoir tenté sa chance dans le domaine de la chanson. Sa toute première œuvre a été couronnée par le prix Tsubouchi Shôyô pour les jeunes écrivains. En 2007, elle a publié un court roman intitulé Seins et Œufs (éditions Actes Sud, 2012) qui a fait beaucoup de bruit et lui a valu le prestigieux prix Akutagawa 2008 ainsi que le titre de « Femme de l’année 2008» du magazine Vogue Japan. Murakami Haruki a même dit de ce livre qu’il en avait eu « le souffle coupé ». Depuis, Kawakami Mieko a écrit quantité d’autres ouvrages souvent couronnés par un et parfois même plusieurs prix littéraires. En 2019, la romancière a publié une nouvelle version de Seins et Œufs dotée d’une très longue suite, qui a fait l’objet d’une traduction en anglais, intitulée Breasts and Eggs, en 2020. Cet ouvrage à la fois drôle et provocant sur les dérives de la féminité a été salué par la critique et très bien accueilli par le public. Il est considéré comme l’œuvre d’une féministe dont le propos met fortement l’accent sur le corps des femmes.

Trois femmes en quête de leur identité

Dans Seins et Œufs, Kawakami Mieko explore l’univers de trois générations de femmes d’une famille originaire d’Osaka. Natsuko, une romancière en herbe trentenaire et célibataire, vit très modestement à Tokyo dans un minuscule appartement. Sa sœur Makiko, de dix ans son ainée, est hôtesse dans un bar minable d’Osaka où elle habite en compagnie de sa fille Midoriko, tout juste douze ans. Makiko est obsédée par l’idée d’augmenter la taille de ses seins en dépit de la dépense énorme que cela représente et elle est intarissable sur le sujet. Son projet inspire un tel dégoût à sa fille, en pleine crise de pré-puberté, que celle-ci finit par se murer dans le silence et ne plus s’exprimer que par écrit, par le biais de son journal intime. Un beau jour, en plein été, Makiko décide de se rendre chez sa sœur à Tokyo, pour consulter un médecin au sujet de l’augmentation mammaire qui la fait tant rêver. Les trois femmes se retrouvent ainsi pour quelques jours dans le minuscule appartement de Natsuko, sans pouvoir vraiment communiquer. Dans cette première partie, le récit prend la forme d’une structure à deux voix où celle de Midoriko (en italique) alterne avec celle de Natsuko (écriture romaine). Le regard de cette dernière sur sa sœur et sa nièce est décapant.

Seins et Œufs, la suite…

La seconde partie ne figure pas dans la version de Seins et Œufs de 2007. Elle est tirée d’ « Histoires d’été » (Natsu Monogatari, avec un jeu de mots sur natsu qui signifie « été » tout en rappelant le prénom de la narratrice, Natsuko) paru en 2019. La romancière a ajouté une suite, entièrement nouvelle à son œuvre, une suite dont l’action se situe huit ans plus tard, entre 2016 et 2018. Natsuko, toujours célibataire, raconte la vie qu’elle mène à présent à Tokyo. Elle s’interroge à la fois sur l’avenir de sa production littéraire et sur son désir de devenir mère par procréation médicalement assistée (PMA), sans relation sexuelle.

Les enjeux éthiques de la reproduction

En novembre 2020, Kawakami Mieko a participé à une réunion du Club des correspondants étrangers du Japon (FCCJ) à Tokyo. A cette occasion, elle a rappelé que Seins et Œufs, le court roman pour lequel elle a obtenu le prix Akutagawa 2008, n’était que sa deuxième œuvre. Une œuvre certes écrite dans le feu de la passion mais où il manquait encore une certaine technique. Au cours des dix années qui ont suivi, Kawakami Mieko s’est affirmée en tant qu’écrivain. Dans le même temps, elle est devenue mère et elle a décidé de s’exprimer sur « les enjeux éthiques de la reproduction » dans son roman suivant. C’est alors qu’elle a eu envie de se pencher à nouveau sur les personnages de Seins et Œufs, car elle avait l’impression qu’ils l’interpellaient.

Kawakami Mieko a dit qu’elle avait beaucoup réfléchi à propos du titre qu’elle voulait donner à son œuvre. Le sujet étant le même, à savoir le corps des femmes, Seins et Œufs restait donc toujours pertinent. « J’ai envisagé d’ajouter une virgule, un point, ou encore “nouveau”, tout au début », a dit la romancière en plaisantant. Mais pour finir, elle a choisi d’appeler Natsu Monogatari la nouvelle version de Seins et Œufs. Toutefois pour la traduction en anglais effectuée par Sam Bett et David Boyd en 2020, il a semblé tout naturel de revenir au titre japonais d’origine et de l’intituler Breasts and Eggs.

Une écriture très originale

Kawakami Mieko a aussi donné des explications à propos des longs dialogues qui ponctuent ses œuvres et que certains lui reprochent. « J’aime Dostoïevski. Dans ses romans, il y a des monologues et des échanges qui s’étendent parfois sur plusieurs pages. Certains trouvent sûrement que les passages avec des conversations d’une telle longueur ne tiennent pas debout. Mais je ne suis pas d’accord. Pour moi, c’est une pratique typique d’Osaka. Et peut-être aussi un point commun entre la Russie et ma ville natale. » Dans Seins et Œufs, le fait que les personnages sont originaires d’Osaka a une importance capitale, même si le plus clair de l’action se déroule à Tokyo.

Des voix qui n’arrivent pas à se faire entendre

La romancière a dit également qu’un grand nombre de ses lecteurs étrangers avaient été surpris de découvrir qu’on pouvait vivre dans la pauvreté au Japon. Dans la première partie de Seins et Œufs, Natsuko raconte comment elle a grandi dans la gêne. Un beau jour, son père disparaît subitement et des hommes inquiétants commencent à faire leur apparition autour de la maison. Sa mère va donc s’installer chez la grand-mère de Natsuko avec ses enfants. Mais les deux femmes ne tardent à mourir, laissant les deux jeunes filles livrées à elles-mêmes. Natsuko doit travailler alors qu’elle n’est encore qu’une toute jeune adolescente. Elle s’efforce de gagner ce qu’elle peut en dehors de ses heures de cours, une tâche difficile pour un enfant mineur. « Je me souviens d’avoir été obligée de mentir sur mon âge à l’usine. Et ce à chacune des vacances scolaires, printemps, été et hiver, durant les trois années où j’ai fréquenté le collège. »

La lauréate du prix Akutagawa 2008 a également abordé le problème de la condition des mères de famille au Japon. « Avoir un enfant tout en continuant de travailler est extrêmement difficile. » Kawakami Mieko y est parvenue grâce à son succès en tant que romancière. Mais elle dit qu’elle ne veut pas qu’on la considère comme un exemple. Elle pense en effet qu’elle a eu de la chance et que la situation de la plupart des mères est beaucoup plus dure. « En fait, personne n’est attentif à la voix de ces femmes alors qu’elles devraient pouvoir se faire entendre. »

Une société où le patriarcat tient lieu de religion

Un des objectifs majeurs que Kawakami Mieko s’est fixé depuis qu’elle a atteint la quarantaine [elle a à présent 44 ans], c’est d’écrire un roman sur la religion. « J’aimerais parler de ce que les kami [les innombrables divinités du culte shintô] représentent ici, dans l’Archipel, ainsi que de la société japonaise après l’affaire Aum Shinrikyô », affirme-telle en se référant à l’attentat au gaz sarin perpétré en 1995 dans le métro de Tokyo par des membres de cette secte. Elle a donc imaginé une histoire centrée autour de Midoriko, la plus jeune des trois héroïnes de Seins et Œufs. Et à l’en croire, elle entend sa voix en train de lui parler, à l’arrière de sa tête.

En réponse à une question sur ce point, Kawakami Mieko a ajouté : « On entend souvent dire qu’au Japon, il n’y a ni religion ni croyance. Mais à mon avis, c’est une société où le patriarcat [c’est-à-dire un système où les hommes détiennent l’autorité] tient lieu de religion. » Elle s’est empressée de rappeler que son pays est doté d’un empereur considéré de façon tacite comme la plus haute autorité du shintô. On a donc tout lieu de supposer que son prochain roman ne se limitera pas à un simple exercice sur la religion.

Kawakami Mieko a également déclaré que si elle était ravie que Breasts and Eggs soit salué comme une œuvre féministe, il ne fallait pas oublier pour autant le rôle important qu’y tient la  peinture des inégalités sociales. Elle a expliqué qu’elle voulait écrire sur la façon dont les gens naissent, vivent et meurent. D’ailleurs, l’un des thèmes majeurs de son livre c’est l’envie de vivre et de donner la vie, en dépit de l’existence parfois malheureuse, dans l’ombre de la mort, que peuvent mener ses personnages.

(D’après un texte en anglais du 20 novembre 2020. Photo de titre : la romancière Kawakami Mieko avec un exemplaire de la traduction en anglais Breasts and Eggs de son livre Natsu Monogatari, lors d’une réunion du Club des correspondants étrangers du Japon à Tokyo, en novembre 2020. © Mieko Kawakami)

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