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« Renoir » : le talent de la petite Suzuki Yui a surpris Cannes

Cinéma

Le film Renoir, seul film japonais en compétition au Festival de Cannes en mai dernier, est le deuxième long métrage de Hayakawa Chie, qui avait reçu la Caméra d’or (prix du meilleur premier film) à Cannes il y a trois ans. Suzuki Yui, qui avait 11 ans au moment du tournage, a été sélectionnée parmi les « 10 talents à suivre » lors du festival. Nous avons rencontré la jeune actrice et la réalisatrice.

Suzuki Yui SUZUKI Yui

Née en 2013 dans la préfecture de Saitama. Elle fait ses débuts au cinéma et tient son premier rôle principal dans Fureru (« Toucher »), réalisé par Takada Kyôsuke, qui lui vaut d’être remarquée comme une actrice prometteuse. Ses principales apparitions sont dans Koko de sutcha dame ! (« Il est interdit de fumer ici »), court métrage de Yamaguchi Keigo, « 11 mars », de Endô Momoka, et Shônen to Inu (« Le garçon et le chien »), de Zeze Takahisa.

Hayakawa Chie HAYAKAWA Chie

Née à Tokyo en 1976. Son court métrage Niagara a été sélectionné en 2014 dans la catégorie Cinéfondation au Festival de Cannes et a remporté le Grand Prix du Festival du Film Pia. En 2018, elle a réalisé et écrit le scénario de l’une des histoires du film collectif Jyu nen / Dix ans au Japon, sous la direction du réalisateur Kore-eda Hirokazu. Son premier long métrage, PLAN 75 (22), qui reconstitue l’histoire de ce court métrage, a remporté un prix spécial à la Caméra d’Or (Prix du Meilleur Nouveau Réalisateur) au Festival de Cannes, suscitant un intérêt international. En 2025, son deuxième long métrage, Renoir, est présenté en compétition à Cannes.

Renoir est le deuxième film de Hayakawa Chie, qui avait fait ses débuts en 2022 avec PLAN 75. Alors que son précédent métrage reposait sur un concept créatif, celui d’un système d’euthanasie destiné aux personnes âgées dans un futur proche, ce nouveau film adopte une approche différente, tissant son histoire à partir de fragments de souvenirs d’enfance, et capturant avec sa caméra le regard éloquent d’une jeune fille oscillant entre l’âge adulte et le jeune âge.

Suzuki Yui, dans le rôle de Fuki
Suzuki Yui, dans le rôle de Fuki

Le titre fait référence à la reproduction d’un tableau d’Auguste Renoir (Mademoiselle Irène Cahen d’Anvers) qui apparaît dans le film. L’histoire se déroule dans la banlieue de Tokyo à la fin des années 1980 et raconte l’été d’une fillette de 11 ans à l’imagination débordante, Fuki (Suzuki Yui). Elle grandit au contact des adultes qui l’entourent et qui ont tous des problèmes personnels, comme son père Keiji (Lily Franky), qui lutte contre le cancer, ou sa mère Utako (Ishida Hikari), qui est débordée par son travail et les soins à apporter à son mari.

Utako (Ishida Hikari) est souvent irritée car elle doit assumer le travail de son mari malade.
Utako (Ishida Hikari) est souvent irritée car elle doit assumer le travail de son mari malade.

Un talent révélé lors de l’audition

Il n’est pas exagéré de dire que le destin de ce film dépendait du casting du personnage principal, Fuki. C’est pourquoi la réalisatrice Hayakawa « se préparait à rencontrer des centaines de candidates lors des auditions ». Mais la première à se présenter était Suzuki Yui, alors âgée de 11 ans.

HAYAKAWA CHIE  Même si elle n’avait que 11 ans, je voulais qu’elle comprenne le sens du film. C’est pourquoi je lui ai d’abord donné une explication générale sur le style de l’histoire.

SUZUKI YUI  Pour dire les choses simplement, c’est un film inspiré des souvenirs d’enfance de la réalisatrice elle-même.

H.C  Je lui ai dit que le film s’inspirait de mon enfance, quand mon père était malade et alité. Alors, Yui m’a demandé : « Qu’est-il arrivé à ton père ? » Nous avons brièvement discuté de cela, puis je lui ai demandé : « Qu’est-ce que tu sais faire bien ? » et Yui a répondu : « Imiter les cris des animaux. »

S.Y.  Je peux faire le chat, le hibou, le cheval et la chèvre !

H.C  Je lui ai demandé : « Alors tu peux me faire le chat ? » et elle m’a répondu : « Non, je préfère le cheval » alors elle m’a montré le cheval. Elle était tellement douée que je l’ai immédiatement intégré au scénario (rires).

S.Y.  J’étais à la fois surprise et enthousiaste, car je ne pensais pas que mon imitation du cheval serait utilisée. Surtout que selon les jours, si ma gorge ne marche pas, je n’y arrive pas. Il faut que j’aie une bonne voix. Je dois réussir du premier coup.

H.C  Yui n’est pas du tout timide, et elle dit parfois des choses inattendues, si bien qu’on reste scotché sur elle. C’était l’élément le plus important du personnage de Fuki.

L'imaginative Fuki déroute son professeur avec ses compositions originales.
L’imaginative Fuki déroute son professeur avec ses compositions originales.

Quand la naïveté évolue en sagesse

Diriger des enfants acteurs est difficile. Certains réalisateurs, à la recherche d’un rendu naturel ne leur donnent leur texte que quelques instants avant la prise. Hayakawa Chie, qui utilisait des enfants acteurs pour la première fois, a lu des livres et des interviews pour réfléchir à la manière d’interagir avec les enfants acteurs. Elle en a conclu qu’il s’agissait de faire preuve du même respect qu’envers les autres acteurs. Pour cela, elle lui a remis le scénario à l’avance, comme aux autres, simplement accompagné d’une note : « Ne t’entraîne pas trop à la maison ». Suzuki Yui a répondu à ses attentes, elle est parfaite.

S.Y.  Plutôt que de simplement mémoriser mon texte, j’ai lu le scénario comme si je lisais une histoire. Certains passages m’ont fait réfléchir et m’ont permis de ressentir de l’empathie. Fuki est une fille très sensible. Moi aussi, je suis assez sensible, ce n’était pas si difficile pour moi de jouer son rôle.

H.C  En discutant avec Yui, j’ai réalisé que c’était elle et moi qui comprenions le mieux Fuki. Elle agissait avec aisance, sans trop d’explications, et je me disais tout le temps : « C’est exactement ça ! » Je me demandais comment elle faisait pour comprendre sans que je lui explique.

Du fait que l’histoire se déroule dans les années 1980, à l’époque de l’enfance de la réalisatrice, de nombreux motifs culturels étaient inconnus de Suzuki Yui, qui n’avait que six ans en 2019, lorsque l’ère Reiwa a commencé. Les programmes télévisés sur les pouvoirs psychiques et l’occultisme, par exemple, qui faisaient fureur à l’époque, et les « numéros de messages », qui permettaient aux utilisateurs d’appeler un numéro spécial pour enregistrer et recevoir des messages, quand les réseaux sociaux n’existaient pas.

S.Y  En fait, moi aussi je m’intéresse aux choses étranges comme les animaux mystérieux non identifiés (UMA), les ovnis, les légendes urbaines et les phénomènes paranormaux. Sur le plateau, je demandais aux autres acteurs : « Avez-vous déjà vécu une expérience mystérieuse ? »

H.C  Lorsque les comédiens se sont rencontrés, nous avons eu notre séance de questions-réponses habituelle, et Yui posait toujours cette question, alors Lily Franky, Kawai Yuumi et tous les autres ont partagé leurs étranges expériences.

Fuki entre dans la chambre de Kuriko (Kawai Yuumi), qui habite dans le même immeuble.
Fuki entre dans la chambre de Kuriko (Kawai Yuumi), qui habite dans le même immeuble.

Dans chaque scène du film, Fuki captive par la profondeur de ses expressions, même sans dire un mot. Quelles émotions l’habitent à ces moments-là ? À cette question, elle répond : « En principe, quand je joue, je ne pense à rien ! »

Fuki fixe Omaezaki (Nakajima Ayumu), que sa mère a rencontré lors d'un stage de formation professionnelle.
Fuki fixe Omaezaki (Nakajima Ayumu), que sa mère a rencontré lors d’un stage de formation professionnelle.

S.Y  Contrairement à ce qu’on pourrait croire, Fuki ne réfléchit pas. C’est le genre de fille qui dit des choses comme « Je m’ennuie » ou « C’est pénible ». Parfois, elle exprime ses émotions directement dans certaines scènes, mais à part ça, elle est assez « vide ». Je suis plutôt du genre à verbaliser tout ce que je ressens, pas Fuki. Fuki réagit directement, elle ne construit pas sa pensée avec des mots.

Cette candeur qu’elle revendique requiert une précision : « Cela ne veut pas dire que je ne ressens rien. » L’équilibre est subtil.

S.Y  C’est difficile à expliquer, mais je suis du genre à bouger avant de réfléchir. Si je cogite trop, ça me bloque. Fuki rit rarement, moi je suis généralement quelqu’un d’enjoué et gaie, de ce point de vue nous sommes assez différentes.

H.C  Yui parle à tout le monde sans la moindre hésitation. Elle discutait même avec le responsable de la sécurité (rires). Pendant le tournage des séquences aux Philippines, elle abordait les figurants étrangers et leur a parlé en anglais. Elle s’entend bien avec tout le monde. Elle a un talent incroyable.

Renoir est une co-production internationale impliquant six pays, dont le Japon et la France. Le tournage a également eu lieu aux Philippines.
Renoir est une co-production internationale impliquant six pays, dont le Japon et la France. Le tournage a également eu lieu aux Philippines.

Quel genre de plaisir vous apporte le fait de jouer la comédie ?

Suzuki Yui a commencé à jouer la comédie il y a seulement deux ans, mais la raison pour laquelle elle reste si naturelle et spontanée devant la caméra vient probablement du fait qu’elle travaille comme mannequin depuis qu’elle est bébé.

S.Y  Je suis habituée à la présence de la caméra depuis que je suis toute petite. Je me dis : « Tiens, une caméra ! » et je rentre sans difficulté dans son regard. Même avec l’objectif devant les yeux, ça se fait sans problème, en douceur. La réalisatrice n’a jamais eu à me dire : « Fais-le sans réfléchir », j’ai simplement interprété moi-même ce que j’avais à faire.

H.C  J’étais perpétuellement étonnée : « Comment arrive-t-elle à faire ça ? »

Il y a une scène dans le film où le père essuie délicatement les cheveux et les pieds de Fuki, mouillés par la pluie. Le sourire de Fuki est particulièrement frappant. Lorsque on lui demande dans quel état d’esprit elle se trouvait en jouant cette scène, elle livre une analyse étonnamment flegmatique.

Fuki pratique la télépathie avec son père malade (Lily Franky).
Fuki pratique la télépathie avec son père malade (Lily Franky).

S.Y  J’ai pensé que pas mal de gens pleureraient ici.

H.C  Tu as vraiment pensé ça !? (rires)

S.Y  Bah oui. À la scène où Lily Franky m’a essuyé la tête, je m’étais sentie très émue, déjà.

H.C  C’est vrai. Cette scène m’a beaucoup émue, moi aussi, au visionnage (rires).

Obsédée par le système des messages que l’on laisse sur un numéro spécial (ancêtre des réseaux sociaux), Fuki rencontre Kaoru (Bandô Ryûta), étudiant en psychologie à l'université.
Obsédée par le système des messages que l’on laisse sur un numéro spécial (ancêtre des réseaux sociaux), Fuki rencontre Kaoru (Bandô Ryûta), étudiant en psychologie à l’université.

Non seulement Yui est capable d’oublier tout ego devant la caméra, mais elle possède la capacité de se juger en train d’interpréter un rôle. C’est une nature d’actrice exceptionnelle.

Fuki s’intéresse à la psychologie. Les yeux de Suzuki Yui pétillent lorsqu’elle déclare : « C’est fascinant d’apprendre les différentes émotions qui habitent les gens, et jouer la comédie me procure un plaisir. » Un plaisir difficile à exprimer avec des mots, dit-elle.

S.Y  Après avoir joué, quelque chose me vient du bout des pieds. Par exemple, quand on entre dans un bain froid, on a la chair de poule et on ressent un grand « Gwaaaaah ! », pas vrai ? Eh bien c’est pareil. Quand la réalisatrice dit « Coupez » et que la prise est bonne, je me dis : « C’était le mieux que je pouvais faire », je ressens le même « Gwaaaaah ! » (rires). Jouer me donne envie de revivre cette sensation.

H.C  Vraiment ? C’est la première fois que j’entends ça (rires). Depuis que j’ai rencontré Yui, je sais que c’était une vraie personnalité d’artiste, mais c’est incroyable que même à cet âge, elle ait déjà un caractère tellement affirmé. J’ai hâte de voir la suite.

(Photos d’interview : Hanai Tomoko. Images du film : © 2025 Comité de production RENOIR / International Partners)

Le film

  • Réalisation : Hayakawa Chie
  • Casting : Suzuki Yui, Ishida Hikari, Nakajima Ayumu, Kawai Yuumi, Bandô Ryûta, Lily Franky
  • Année : 2025
  • Site officiel : happinet-phantom.com/renoir/

Bande-annonce

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