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PANTA, légende du rock japonais, nous raconte un demi-siècle d’expérience musicale

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Formé en 1969, le groupe Zunô Keisatsu (« La police du cerveau ») vient de fêter un demi-siècle de création musicale : un documentaire, « zk/Zunô Keisatsu 50 – le pouls du futur », retrace leurs cinquante ans de carrière avec des sons et des images ancrés dans le présent. À plus de 70 ans, PANTA continue à chanter en jouant des riffs sur sa guitare ; il fait pour nous un retour en arrière... plein d’avenir !

PANTA PANTA

Chanteur et guitariste rock, compositeur et parolier. Nom de scène de Nakamura Haruo. Né en 1950 à Tokorozawa (Saitama), il crée Zunô Keisatsu en 1969, alors qu’il est étudiant à l’Université Kantô Gakuin. Après la séparation du groupe en 1975, il entame une carrière solo avant de créer PANTA & HAL en 1977 qui se sépare en 1981 avec trois albums à son actif. En parallèle de sa carrière solo, il écrit pour de nombreux artistes et joue au cinéma. En 1990, il reforme Zunô Keisatsu pour un an. En 2003, il participe à une chaîne humaine en Irak, juste avant le début de la guerre. En 2017, il joue dans le film Silence de Martin Scorsese. En 2018, il se rend en Crimée où il participe au concert international donné pour le 180e anniversaire de la fondation de la ville de Yalta. En 2019, avec quatre nouveaux membres, Zunô Keisatsu publie un nouvel album, Rappa, et entame une tournée nationale.

Un groupe « excessif » qui se remémore Woodstock

La scène rock japonaise suit les mêmes tendances que l’Occident, avec quelques années de retard : après le rockabilly dans les années 50 et le Group Sounds dans la deuxième moitié des années 60, à l’aube des années 70, le rock est fermement implanté dans l’Archipel. Fondé en décembre 1969, le groupe Zunô Keisatsu et ses quatre membres, avec PANTA au chant et à la guitare et TOSHI à la batterie et aux percussions, en est l’une des formations emblématiques. Son nom est tiré d’une chanson de Frank Zappa, Who Are the Brain Police ? 

Les membres fondateurs de Zunô Keisatsu, PANTA et TOSHI (à droite) ©2020 ZK PROJECT
Les membres fondateurs de Zunô Keisatsu, PANTA et TOSHI (à droite) ©2020 ZK PROJECT

« 1969, c’était une année incroyable. Il y a eu Woodstock, c’était un moment de changements profonds ; avec le recul, on voit qu’en réalité, c’était la fin de cette période prônant la paix et l’amour. Zunô Keisatsu s’est lancé à l’heure où, dans le monde entier, les mouvements protestataires étaient en perte de vitesse. C’est sans doute pour cela qu’on nous a trouvés très excessifs. »

Un demi-siècle plus tard, le mot « excès » colle toujours à la peau de Zunô Keisatsu. Le documentaire « zk/Zunô Keisatsu 50 – le pouls du futur » (zk/Zunô Keisatsu 50 – Mirai he no kodô, réalisé par Suenaga Ken) revient, à travers les témoignages des membres du groupe et de leur entourage, sur le chemin de cette légende du rock japonais, de sa création à sa séparation et ses divers retours sur scène.

Laisser tomber le blues pour un rock indécent

L’une de ces anecdotes légendaires est une affaire de masturbation, au tout début du groupe. Lors de sa participation au Nichigeki Western Carnival, un événement annuel qui rassemblait les grands groupes musicaux à la mode, PANTA a fait mine de se masturber sur scène, le sexe à l’air, un incident dont l’hebdomadaire à scandale Heibon Punch a fait ses choux gras et qui a largement fait connaître le groupe. Dans le film, cet incident est évoqué avec nostalgie par les piliers du mouvement Group Sounds de l’époque.

PANTA se rappelle ses nombreuses frasques sur scène : « En faisant du rock, je ne voulais pas être en reste par rapport à l’Occident. » À force d’écouter les groupes de l’époque influencés par la musique afro-américaine, comme les Rolling Stones ou le Spencer Davis Group, il découvre le blues, dont il tombe amoureux ; cependant, il se demande si c’est bien ce genre de musique qu’il est appelé à faire.

« À l’âge de 18 ans, je me suis demandé que faire de cette musique. Ce n’était pas juste de la pop, mais une musique née de l’histoire de la ségrégation raciale aux États-Unis. J’ai appris que les Noirs amenés d’Afrique comme esclaves faisaient exprès de mal articuler, pour que les blancs ne comprennent pas les paroles de leurs chansons. À quoi cela aurait-il rimé qu’un gamin asiatique fasse du blues, essaie de les imiter ? C’est pour ça que j’ai tourné le dos à cette musique que j’adorais pourtant. »

C’est ainsi qu’en 1969, à l’âge de 19 ans, PANTA fonde Zunô Keisatsu pour secouer la scène musicale japonaise – alors dominée par la pop nationale et les ballades traditionnelles – avec un rock dépouillé de tout ce qui pourrait rappeler le blues, un rock qui n’imite pas l’Occident.

« Au commencement était le Verbe. Il y a d’abord les paroles, auxquelles viennent s’ajouter la mélodie et le rythme. Donc, à quoi bon chanter dans un anglais que personne ne comprend ? Quand on fait du rock en japonais, les mots viennent tout seuls, les insultes fusent. »

Malgré des paroles parfois scabreuses, la veine littéraire de PANTA se fait sentir. Ses chansons reflètent également souvent la situation politique de l’époque. « Déclaration de guerre révolutionnaire mondiale » (Sekai kakumei sensô sengen), qui reprend telles quelles des parties du manifeste de la Ligue communiste japonaise – Faction Armée rouge, « Le poème du soldat de l’Armée rouge » (Sekigun heishi no shi) et « Prenez les armes » (Jû o tore) : ces trois titres, surnommés « la trilogie révolutionnaire », ont connu à l’époque un succès retentissant auprès des étudiants et des activistes de gauche.

Interdiction de vente et séparation

Dans une formation minimaliste, avec PANTA à la guitare et TOSHI au bongo, le groupe se produit dans les festivals de rock qui fleurissent alors au Japon, dans les fêtes universitaires et les rassemblements politiques. Leur premier album, un live de ces concerts, sort en mars 1972 avec pour jaquette un montage photo célèbre : le suspect du fameux casse des 300 millions de yens déguisé en policier.

Mais alors que le mois précédent, la prise d’otages du chalet Asama avait secoué le Japon, les paroles de la « trilogie révolutionnaire » posent problème et le disque est retiré de la vente. Le deuxième album, paru deux mois plus tard, subit le même sort au bout d’un mois. La troisième tentative sera la bonne : en octobre sort enfin ce qui sera le premier album de la discographie du groupe, désormais mieux connu pour son image scandaleuse que pour sa musique.

« Se battre continuellement contre l’étiquette qu’on lui colle, c’est le destin de l’artiste. On s’est produit dans de multiples fêtes universitaires, mais des années plus tard encore, on ne pouvait pas finir le concert sans chanter “Déclaration de guerre révolutionnaire mondiale”. Ce n’est pourtant pas un tube qu’on répète à tout bout de champ, en réalité, cette chanson aurait dû être chantée une seule fois, lors d’une réunion politique dans la salle de concert en plein air du parc Hibiya. Après, on a passé trois ans à essayer de correspondre à cette image et c’était dur ; on s’est séparés le dernier jour de l’année 1975. »

TOSHI (à droite) et PANTA, compagnons de route depuis 50 ans ©2020 ZK PROJECT
TOSHI (à droite) et PANTA, compagnons de route depuis 50 ans ©2020 ZK PROJECT

« Je fais ce qui me plaît, sans me mentir à moi-même »

Après la séparation, PANTA continue à écrire et composer, en solo ou avec un nouveau groupe, mais aussi pour d’autres artistes ; il produit également des idoles. Il a même sorti un album de chansons d’amour, boycotté par les fans de Zunô Keisatsu. Après les albums R.E.D. en 1986 et Kristall Nacht en 1987, l’idée lui vient de reformer Zunô Keisatsu.

« Quand je donnais des concerts, mes nouvelles chansons n’étaient pas du tout en accord avec celles que j’avais écrites durant ma précédente carrière solo. Ce qui allait le mieux avec, c’étaient les titres de Zunô Keisatsu. On vivait la même atmosphère qu’à l’époque, en 1989, l’année de la chute du mur de Berlin. J’ai senti que les chansons de Zunô Keisatsu étaient une nouvelle fois en phase avec le monde. »

En 1990, avec de nouveaux membres, Zunô Keisatsu se reforme au bout de quinze ans d’absence. Puis, après deux albums studio et une tournée nationale, le groupe se remet en sommeil pour dix ans. À partir de 2001, PANTA le fait revivre épisodiquement, en parallèle de sa carrière solo. En 2019, pour ses 50 ans, Zunô Keisatsu renaît avec de jeunes musiciens dans la vingtaine. PANTA s’est-il une nouvelle fois senti en phase avec l’atmosphère ambiante ?

« Non, à vrai dire, je ne me préoccupe pas spécialement de l’époque. Je fais ce que j’ai envie de faire et il arrive que ce soit dans l’air du temps. Je fais ce qui me plaît, sans me mentir à moi-même ; j’ai toujours fonctionné comme ça. »

Concert des 50 ans donné sous une tente dans l’enceinte du sanctuaire Hanazono à Shinjuku (7 avril 2019) ©2020 ZK PROJECT
Concert des 50 ans donné sous une tente dans l’enceinte du sanctuaire Hanazono à Shinjuku (7 avril 2019) ©2020 ZK PROJECT

Une expérience fondatrice

Un épisode relaté au début du documentaire permet de saisir ce détachement. PANTA, qui a accompagné la naissance de la scène rock japonaise et le demi-siècle suivant, revient sur une expérience musicale fondatrice.

« Quand j’étais écolier, j’adorais la pop américaine et Elvis Presley et puis, à l’âge de 14 ans, en 1964, j’ai découvert les Beatles. Ça a été une expérience fondatrice, mais au fil de mes longues années dans la musique, un jour, j’ai soudain réalisé que mon point de départ en matière de musique, c’était autre chose. »

C’est ainsi qu’on découvre un fait peu connu : le père de PANTA travaillait sur une base américaine. Le rocker anticonformiste célébré par les gauchistes engagés dans les mouvements de protestation contre le traité de sécurité nippo-américain a, dans son enfance, joué à monter sur les vrais tanks de la base, l’environnement dans lequel évoluait son père.

« Le sergent Merrick, un bon ami de mon père, jouait avec moi. On est allés s’allonger sur la colline et il a sorti son harmonica alors que le soleil se couchait. L’entendre m’a comme électrisé. J’ai su après que l’air qu’il avait joué était My Old Kentucky Home. C’est ça, ma rencontre avec la musique. Et en effet, si j’examine ma propre musique, on retrouve ici et là des traces de Steven Foster(*1). Ça ne se remarque peut-être pas, mais moi, je le sais. Elle est là, mon expérience fondatrice. »

Ensuite influencé par Presley et les Beatles quasiment en temps réel, PANTA a grandi avec le rock. Aujourd’hui, ce témoin de toute une époque compose de nouveaux morceaux et joue avec des jeunes gens nés dans les années 2000. Le documentaire permet aussi de savourer ce dialogue musical par-delà les générations.

Les membres actuels de Zunô Keisatsu : de gauche à droite, Sawa Ryûji (guitare), Higuchi Motonosuke (batterie), PANTA, Miyata Gaku (basse), TOSHI et Ôkubo Kei (claviers) ©2020 ZK PROJECT
Les membres actuels de Zunô Keisatsu : de gauche à droite, Sawa Ryûji (guitare), Higuchi Motonosuke (batterie), PANTA, Miyata Gaku (basse), TOSHI et Ôkubo Kei (claviers) ©2020 ZK PROJECT

La fin du documentaire a été ajoutée à la dernière minute, alors que le coronavirus secouait le monde entier. Il s’agit d’un nouveau titre, « Ô paysage magnifique » (Zekkei kana), enregistré live mais sans public car le concert prévu a été annulé, et chargé d’émotions variées.

« Au bout du tunnel qu’est la crise actuelle, peut-être un paysage magnifique nous attend-il. C’est le message que je voulais faire passer. Ces cinquante dernières années, il m’a souvent semblé que le monde n’évoluait pas, mais après le coronavirus, il y aura des changements. Le mouvement de protestation contre le racisme anti-noirs s’est élevé en pleine crise du Covid-19. Il n’y aura pas de retour en arrière. On cherche tous quelle forme cela prendra. Bien sûr, le rock aussi va changer. Les concerts adopteront certainement une nouvelle forme. Moi, ce qui m’intéresse, c’est surtout de voir comment la musique va évoluer. Coexistence avec le virus, et avec l’intelligence artificielle ! »

PANTA s’intéresse à « l’ère de l’intelligence artificielle » qui attend l’humanité. L’heure des chansons composées par des musiciens virtuels qui donnent des concerts sans verser la moindre goutte de sueur a déjà sonné, explique-t-il non sans joie. Pour lui, le rock, n’est-ce pourtant pas précisément chanter en chair et en os devant son public, faire entendre sa voix directement ?

« Si cette possibilité disparaît, tant pis. D’autres apparaîtront. Je suis inflexible sur certaines choses, mais je sais aussi me laisser porter par l’époque. Comme mon nom l’indique, panta rhei : “Tout passe”. On ne peut pas stopper le vent du changement. Je plonge mes racines dans le sol, mais en vivant avec mon temps, comme le roseau au bord de la rivière. »

(Interview et texte de Matsumoto Takuya, de Nippon.com. Photos : Hanai Tomoko, sauf mention contraire)

©2020 ZK PROJECT
©2020 ZK PROJECT

zk/Zunô Keisatsu 50 – Mirai he no kodô

Bande-annonce

(*1) ^ (1826-1864), Compositeur considéré comme le père de la musique américaine. Auteur de My Old Kentucky Home, Oh! Susanna et Camptown Races, entre autres.

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