L’éducation sexuelle au Japon

L’éducation sexuelle au Japon : apprendre aux jeunes enfants pour les protéger

Société Éducation

Au Japon, les crimes sexuels sur mineurs sont malheureusement très fréquents, et les agresseurs sont parfois même des enfants. Nojima Nami dirige une association pour promouvoir l’éducation sexuelle chez les plus jeunes, un enseignement encore très rare, et explique que c’est l’un des moyens essentiels de prévention des abus.

Les enfants non éduqués sont des proies faciles

C’est un kidnapping dans son quartier qui a décidé Nojima Nami à s’impliquer dans l’éducation sexuelle. La victime était une lycéenne qui avait suivi un homme qui lui avait demandé « un peu d’aide ». Lorsque l’enlèvement a été révélé, Mme Nojima a demandé à ses deux filles (7 ans et 10 ans) : « Si quelqu’un vous avait dit la même chose, seriez-vous allées avec lui ? » Leur réponse a été : « Oui, nous l’aurions suivi. » Mme Nojima s’était alors rendu compte que ses filles n’avaient aucune idée du danger qu’elles pouvaient courir...

Le livre de Nojima Nami, « Okasan ! Gakkô de wa bôhan mo sex mo hinin mo oshiete kuremasen yo !» (Mamans ! Les écoles n'apprennent pas à vos enfants le sexe, la contraception ou comment rester en sécurité !) est un guide destiné aux parents qui souhaitent offrir à leurs enfants une éducation sexuelle que les écoles japonaises ne font pas.
Le livre de Nojima Nami, « Mamans ! Les écoles n’apprennent pas à vos enfants le sexe, la contraception ou comment rester en sécurité ! » (Okasan ! Gakkô de wa bôhan mo sex mo hinin mo oshiete kuremasen yo !)  est un guide destiné aux parents qui souhaitent offrir à leurs enfants une éducation sexuelle que les écoles japonaises ne dispensent pas.

Lors d’un autre incident, Nojima Nami a trouvé ses filles en train de regarder une vidéo pornographique sur leur tablette. Elles lui ont dit trouver cette vidéo « amusante » et qu’elles aimaient observer la nudité et les baisers. Lorsqu’elle leur a demandé comment elles étaient arrivées à cette vidéo, elles ont simplement expliqué avoir suivi un lien sur la page de l’un de leurs animes préférés. Il n’a fallu que cinq clics environ pour passer d’un contenu pour enfants à un site pornographique. Entrez « beau gosse » dans un moteur de recherche et vous êtes redirigé vers un site Web qui propose du « sexe avec des beaux gosses ». À peu près n’importe quel mot entré dans un moteur de recherche peut conduire à un site pornographique. Alarmée, Mme Nojima a lancé à elle seule un mouvement pour promouvoir l’éducation sexuelle, appelé « La classe des culottes – pour une éducation sexuelle joyeuse ». Il n’a pas fallu longtemps avant qu’on la contacte de tous les coins de l’Archipel.

« Dès le départ, la demande était forte », dit-elle. « Je n’ai rencontré aucune critique. Partout, les mères étaient secrètement anxieuses. Et si mon enfant était victime d’un crime sexuel ? Et si mon enfant commettait lui-même un abus ? Comment êtes-vous censé gérer un enfant qui voit de la pornographie vendue dans un konbini (supérette japonaise) et qui vous supplie d’acheter le magazine avec « la jolie dame en couverture » ? Il n’y a personne pour vous conseiller. Les livres sur l’éducation sexuelle sont difficiles à trouver dans les librairies et même dans les bibliothèques, et il est difficile de savoir à quelles sources vous pouvez vous fier lorsque vous recherchez des informations sur Internet. Personne ne pense que nous devrions laisser les choses telles qu’elles sont. »

Un père prêt à parler de sexualité

Nojima Nami déclare que son père a contribué à son éducation sexuelle dès son plus jeune âge. Son style d’enseignement consistait à dispenser des petites pépites de sagesse allant du « peu importe si tes seins ne sont pas gros » à « assure-toi d’utiliser un préservatif ».  Après avoir grandi et être devenue infirmière spécialisée en urologie, Nojima Nami s’est rendu compte que ce que son père lui avait appris n’était pas toujours correct. Ce qui l’a aidée, cependant, c’est que ce dernier lui ai enseigné ces choses comme si c’était une évidence, afin qu’elle sache comment se protéger. Cette attitude leur a permis de construire une relation étroite dans laquelle aucun sujet n’était tabou.

Nojima désigne les parties intimes du corps comme la « zone du maillot de bain ». Elle encourage à enseigner aux enfants les parties du corps qu'ils ne devraient jamais permettre aux autres de voir ou de toucher. (Illustration d’Ogura Naomi tirée du livre de Nojima)
Dans son ouvrage, Nojima Nami désigne les parties intimes comme la « zone du maillot de bain ». Elle encourage à enseigner aux enfants les parties du corps qu’ils ne devraient jamais permettre aux autres de voir ou de toucher. (Illustration d’Ogura Naomi tirée du livre de Nojima Nami)

« Grâce à mon père, j’ai grandi dans la confiance d’être acceptée et aimée, explique Nojima Nami. Nous pouvions parler de tout au sein de notre famille. Les mères me demandent souvent : “Que se passera-t-il si nos enfants apprennent la sexualité ?” Elles craignent que leurs enfants commencent à expérimenter le sexe dès leur plus jeune âge. Mais ces craintes ne sont pas fondées, car ce n’est pas ce qui se passe en regardant la realité. »

« Par exemple, dans la préfecture d’Akita, si pendant très longtemps le taux d’avortement chez les adolescents était supérieur à la moyenne nationale, depuis les années 2000 environ, quand la préfecture a commencé à inclure l’éducation sexuelle dans les programmes des collèges et des lycées, le taux d’avortement a diminué. En 2017, le nombre d’avortements chez les adolescentes dans la préfecture a enregistré une diminution d’environ 7 % de son niveau précédent. »

Nojima Nami est convaincue que l’éducation est responsable de cette diminution.

« L’éducation sexuelle est un apprentissage sur la vie et l’amour. Un enfant qui est aimé se sentira confiant et sera capable de ressentir de l’empathie pour les autres. L’éducation sexuelle comporte des centaines d’avantages et pas un seul inconvénient. »

Nojima parlait de la sexualité avec son père, mais son livre s’adresse aux mères. Ses attentes à l’égard des pères impliqués dans l’éducation sexuelle sont faibles, dit-elle. Nous lui avons demandé pourquoi.

« Jusqu’à présent, j’ai parlé d’éducation sexuelle à plus de 4 000 personnes. C’est triste à dire, mais tous les pères semblent penser que c’est quelque chose qui peut être ignoré. Les hommes n’ont presque jamais reçu d’éducation sexuelle eux-mêmes et le sujet est donc tabou en ce qui les concerne. Ils sont également trop occupés par leur travail pour développer une bonne communication avec leurs enfants. Lorsque vous n’avez pas l’habitude de parler quotidiennement avec eux, parler de sexe est tout simplement trop gênant. C’est pourquoi je cible les mères. Pourtant, s’il y a des pères qui n’ont pas peur de parler de ce sujet et qui sont capables de communiquer et d’avoir une relation de confiance avec leurs enfants, ce serait vraiment formidable. »

Enseigner le sexe dès l’âge de trois ans

Il n’existe pas beaucoup de livres d’éducation sexuelle destinés aux garçons. La plupart d’entre eux sont destinés aux filles, même si les garçons peuvent également être victimes d’abus sexuels.

« Dans la culture masculine, il existe une hypothèse sous-jacente selon laquelle les garçons peuvent apprendre tout ce dont ils ont besoin sur le sexe en regardant des vidéos pour adultes. Mais cela produit souvent un effet contraire, avec des garçons qui s’inquiètent de ne pas être à la hauteur parce que leur pénis est trop petit, par exemple... Personne ne leur apprend que la taille de leur sexe n’a pas d’importance. »

« L’autre jour, un père dans la quarantaine m’a posé une question. Il avait été circoncis quand il était jeune et se demandait s’il devait aussi faire circoncire son fils. Il craignait que son fils ait un phimosis, une condition dans laquelle le prépuce ne peut pas être tiré derrière le gland. Il s’est avéré que ce père avait subi une intervention chirurgicale inutile pour un faux cas de phimosis. Une telle chirurgie n’est vraiment nécessaire que pour environ 1 % des hommes. Si le prépuce peut être tiré même un peu en arrière lorsque le pénis est en érection, aucune intervention chirurgicale n’est nécessaire. Quand j’ai expliqué cela au père, il a éclaté de rire. “J’aurais aimé le savoir plus tôt” , a-t-il dit. »

Nojima Nami encourage l’enseignement du sexe aux garçons et aux filles à partir de trois ans.

Dans son ouvrage, Nojima Nami parle de sa propre expérience et explique la façon de percevoir le sexe en fonction de l’âge, facilitant ainsi la manière dont les parents peuvent enseigner. (Illustrations d’Ogura Naomi tirées du livre de Nojima Nami)
Dans son ouvrage, Nojima Nami parle de sa propre expérience et explique la façon de percevoir le sexe en fonction de l’âge, facilitant ainsi la manière dont les parents peuvent enseigner. (Illustrations d’Ogura Naomi tirées du livre de Nojima Nami)

« On devrait enseigner aux deux sexes ensemble, puisqu’en apprenant davantage sur le corps des autres, les enfants seront encore plus susceptibles de prendre soin de leur propre corps et de montrer qu’ils respectent celui d’autrui. L’âge de trois ans est à peu près le moment où les enfants commencent à demander d’où viennent les bébés, et à cet âge, ils seront plus ouverts à l’apprentissage de la sexualité, qui leur sera enseignée par des parents aimants. »

« Dans un ménage où les enfants ont reçu une éducation sexuelle, une mère a rapporté que son fils lui avait proposé de faire la vaisselle, en disant : “Tu ne te sens pas bien à cause de tes règles en ce moment. Je vais faire la vaisselle. Repose-toi.” Il a également dit : “Je ferai la même chose pour mon épouse quand je me marierai.” D’un autre côté, j’ai aussi eu une professeure de lycée qui m’avait dit avoir pleuré en entendant un ancien élève se vanter d’avoir enfermée sa petite amie sur le balcon en hiver. Il la punissait parce qu’elle refusait d’avoir des relations sexuelles avec lui pendant qu’elle avait ses règles. Il faut avoir pitié de la fille, bien sûr, mais aussi du garçon : on ne lui a malheureusement pas appris mieux. »

Accepter la diversité pour se faciliter la vie

Nojima Nami est invitée à parler d’éducation sexuelle par de nombreuses garderies et jardins d’enfants, par des écoles primaires et secondaires et par des agences administratives. Une fois, une grande entreprise cotée en bourse lui a demandé de participer à un événement sur la sexualité pour les parents et leurs enfants.

« L’événement avait été planifié par des mères travaillant dans l’entreprise. Elles avaient à peu près le même âge que moi, autour de la trentaine. Mais juste au moment où nous étions prêts à mettre en œuvre nos plans, un manager ayant à peu près l’âge de mes parents l’a annulé, disant qu’il était impensable de parler de sexe dans un groupe mixte de parents et de leurs enfants. Ce n’est pas une réaction rare de la part de ceux de l’ancienne génération. Cela m’a fait réaliser que j’ai encore beaucoup de travail à faire pour changer les mentalités. »

Quel type d’éducation sexuelle est nécessaire pour préparer les enfants au monde de demain ?

Nous allons voir de plus en plus de personnes venir de l’étranger pour travailler au Japon. Et nos enfants peuvent très bien eux-mêmes partir travailler dans d’autres pays. Étant donné la diversité sexuelle des gens dans le monde, refuser d’accepter cette diversité ne peut que rendre la vie plus difficile. Vos enfants peuvent très bien faire partie d’une minorité sexuelle, et les incidents liés aux discriminations ne sont pas aussi inhabituels qu’on le pense. Il n’y a pas si longtemps à Londres, deux femmes lesbiennes avaient été harcelées par un groupe de jeunes hommes dans un bus qui leur avaient ordonné de s’embrasser, et s’étaient mis à les frapper quand elles avaient refusé. C’est affreux de penser que votre propre enfant pourrait être la victime, ou même l’auteur, d’un tel drame. C’est pourquoi il est important d’encourager une éducation sexuelle qui couvre également la diversité. »

(Reportage et texte de Kuwahara Rika, de Power News. Photos  : Imamura Takuma. Photo de titre : Nojima Nami, responsable de l’Association « La classe des culottes – pour une éducation sexuelle joyeuse »)

éducation société sexe enfant crime