Le renouveau régional au Japon

Le miel de Koshiki : une douceur venue des îles du sud-ouest pour revitaliser la région

Visiter le Japon Gastronomie Région

C’est une rencontre avec un miel rare venant de l’île de Koshiki, au sud-ouest de Japon, qui a poussé une infirmière globe-trotteuse à apporter son soutien à la revitalisation régionale. Ce produit très local pourrait-il assurer à Koshiki un avenir plus prometteur ?

Koshiki, un petit archipel du sud-ouest

Ayant la chance d’avoir une journée de libre lors d’un voyage d’affaires à Kagoshima en début d’automne 2023, j’ai pris la décision de me rendre sur l’île de Koshiki, que je voulais visiter depuis longtemps. J’ai connu cet endroit grâce au soshû, un alcool de patate douce shôchû qui y est produit.

Koshiki est en fait un petit archipel. Les trois îles principales, Kami-Koshiki, Naka-Koshiki et Shimo-Koshiki, sont reliées par des ponts. Elles se trouvent dans la mer de Chine orientale, à 20 kilomètres à l’ouest de la côte de la péninsule de Satsuma, à Kagoshima. Les trois îles ont une population d’un peu plus de 4 000 habitants, qui vivent principalement de la pêche de crevettes géantes et de harengs graciles.

Je prends le bateau à grande vitesse du port de Sendai, qui fait la traversée jusqu’à Kami-Koshiki en 50 minutes. À l’approche de l’île, nous pouvons admirer d’immenses formations rocheuses formées il y a 80 millions d’années. Les reliefs de ces falaises en pleine mer sont à couper le souffle.

La vue à partir du bateau à grande vitesse qui relie l’ile de Kyûshû à l’archipel de Koshiki, au sud-ouest du Japon.
La vue à partir du bateau à grande vitesse qui relie l’ile de Kyûshû à l’archipel de Koshiki, au sud-ouest du Japon.

Des rochers de 80 millions d’années surgissent de la paisible mer.
Des rochers de 80 millions d’années surgissent de la paisible mer.

Une fois arrivé au port de Kami-Koshiki, je loue une voiture et me dirige vers Shimo-Koshiki où se trouve la distillerie Yoshinaga Shuzô, connue pour son alcool soshû. Je longe la côte sur plus de 40 kilomètres en admirant les paysages rocheux. Je ne rencontre presque personne.

La distillerie est fermée le weekend, mais je tombe sur la mère du propriétaire qui a la gentillesse de me faire visiter les lieux. L’heure du déjeuner approchant, je lui demande où je pourrais déguster du poisson pêché aux alentours, et elle suggère un tout nouveau restaurant à proximité.

Sur 1,53 kilomètre, le pont de Koshiki relie Naka-Koshiki et Shimo-Koshiki.
Sur 1,53 kilomètre, le pont de Koshiki relie Naka-Koshiki et Shimo-Koshiki.

L’un des rochers à la base du pont ressemble à une ancienne étuveuse de riz, appelée koshiki, ce qui explique le nom de l’archipel. Ce rocher est vénéré par les habitants de l’île.
L’un des rochers à la base du pont ressemble à une ancienne étuveuse de riz, appelée koshiki, ce qui explique le nom de l’archipel. Ce rocher est vénéré par les habitants de l’île.

La production de miel au Japon en chute libre

Le café restaurant Kawangui se trouve à quelques minutes de la distillerie. La gérante, Kobayashi Kei, m’explique que dans le patois local, le nom veut dire « au bord de la rivière ». Le menu est présenté sur une ardoise et je commandé le plat du jour, avec un sashimi de oboso, un poisson de la région qui rappelle le thon listao. La clientèle a l’air d’être du coin, et les enfants d’une famille dégustent un sorbet à la pastèque avec beaucoup d’appétit.

Le sorbet à la pastèque est servi nappé de miel.
Le sorbet à la pastèque est servi nappé de miel.

L’intérieur de Kawangui
L’intérieur de Kawangui

« On utilise du miel fabrication maison, fait avec des abeilles japonaises, pour le nappage » explique Kobayashi Kei.

Remarquant mon intérêt, elle me conseille d’y goûter. C’est en fait la mention « abeilles japonaises » qui m’a interpellée, car celles-ci avaient été presque toutes anéanties par les espèces importées de l’ouest, et on ne les trouve plus que dans certaines îles du large où les espèces occidentales n’avaient pas été introduites.

J’avais aussi lu des articles qui parlaient de la chute de production de miel à travers le Japon, même des abeilles occidentales. Les raisons sont variées : des acariens parasites, les pesticides, et surtout la réduction des sources d’alimentation, comme par exemple les fleurs de lotus ou de trèfle, et les arbres comme le robinier, le cerisier, le mandarinier, le tilleul et le pommier

Il faut aussi prendre en compte la diminution des terres agricoles, la transition vers les arbres fruitiers qui produisent moins de nectar et de pollen, les changements dans la végétation et les périodes de floraison provoqués par l’évolution des climats, ainsi que la destruction des forêts et des terres cultivations par les typhons et fortes pluies.

Kobayashi Kei, la gérante de Kawangui, et ses ruches
Kobayashi Kei, la gérante de Kawangui, et ses ruches

« Je veux montrer ma reconnaissance pour l’accueil que j’ai reçu ici »

On pourrait faire un film sur la venue de Kobayashi Kei à Koshiki , et ses débuts en apiculture.

Née dans la préfecture de Saitama, Kobayashi a d’abord fait des études dans un collège préuniversitaire, avant d’intégrer l’université de Saitama où elle a étudié la coopération internationale. Elle a ensuite travaillé pendant trois ans dans une entreprise de commerce à Tokyo avant de prendre la décision de s’impliquer dans la coopération internationale en tant qu’infirmière. Elle a obtenu son diplôme de l’école d’infirmières de l’université de Gunma et a intégré un hôpital universitaire de la capitale, travaillant en cardiologie pendant cinq ans avant d’intégrer une entreprise spécialisée dans l’exportation de services médicaux japonais. Elle a été affectée à Phnom Penh, au Cambodge, où elle a passé trois ans à former des équipes locales. Rentrée au Japon en 2021, elle a été envoyée à Koshiki pour une formation de services médicaux dans des zones reculées d’une durée d’un an.

Un jour, un homme qui s’était blessé à la tête avec un outil de pêche au homard est venu se faire soigner à la clinique. Il s’appelait Sagara Nobuo.

Né à Koshiki, Sagara était parti travailler dans la restauration et la construction à Kagoshima, la capitale préfectorale, mais à la suite du décès de son frère, il est rentré chez lui pour devenir pêcheur. Il s’était intéressé à l’apiculture lors de son séjour à Kagoshima, et avait ramené un essaim d’abeilles japonaises avec lui en rentrant à Koshiki.

Le nom de la miellerie de Koshiki, Nobu Kôbô, un hommage à Sagara Nobuo.
Le nom de la miellerie de Koshiki, Nobu Kôbô, un hommage à Sagara Nobuo.

Selon Sagara, la production agricole de Kagoshima tourne principalement autour de cultures commerciales telles que le riz, la patate douce et le thé, et tous utilisent des pesticides qui sont nocifs pour les abeilles. Heureusement pour elles, ces cultures ont décliné. Et cette île riche en plantes à nectar les protège et leur permet de donner un miel plus pur et naturel.

Kobayashi et Sagara ont sympathisé à l’infirmerie, et ce dernier lui a présenté son cercle d’amis. De fil en aiguille, elle a été invitée à participer à la pêche et à d’autres activités locales, comme l’apiculture.

Kobayashi raconte : « Au départ, j’avais l’intention de partir après mon année de formation, mais j’ai été reçue si chaleureusement par Nobu-san et les autres que j’ai eu envie de faire un geste pour les remercier. Mais il restait peu de jeunes dans cette île dépeuplée et je ne voyais pas ce que je pouvais faire. »

C’est alors que l’idée de faire de l’apiculture un commerce lui est venue à l’esprit.

Des rencontres amicales autour de l’âtre sont l’occasion de rencontres entre les gens de l’île et les visiteurs. (© Kobayashi Kei)
Des rencontres amicales autour de l’âtre sont l’occasion de rencontres entre les gens de l’île et les visiteurs. (© Kobayashi Kei)

Kobayashi a décidé d’utiliser les capacités de la miellerie Nobu à fond. Tout en élargissant ses connaissances en apiculture, elle a mis en place des ateliers pour la fabrication de bougies et de film alimentaire en cire d’abeille provenant des ruches. C’est en avril 2022, a la fin de son année de formation, qu’elle s’est mise à préparer le lancement de son commerce et, en septembre 2023, elle a fondé « Koshiki Honey Nobu Kôbô » dans une vielle bâtisse traditionnelle japonaise abandonnée de plus de 70 ans et appartenant à Sagara. Elle y a démarré la fabrication et la vente de miel mille-fleurs provenant d’abeilles japonaises, ainsi que des produits en cire d’abeille.

Kobayashi a également réussi à obtenir des aides gouvernementales spécifiques aux îles éloignées afin de pouvoir convertir les écuries et l’étable de la vieille bâtisse et en faire le café restaurant Kawangui.

Sagara Nobuo prépare le poisson qu’il a lui-même pêché, et le menu comprend des spécialités au miel tel que le sorbet à la pastèque. C’est aussi devenu un centre d’information sur l’apiculture.

Utiliser des ressources inexploitées

Le miel de Koshiki laisse un arrière-goût de kaki ou de mangue, évoquant les îles du sud-ouest du Japon. Cela vient peut-être des abeilles qui butinent les fleurs de néflier ou de prunier japonais, ainsi que la végétation indigène.

Ce miel issu d’abeilles japonaises n’est produit qu’une fois l’an.  (© Kobayashi Kei)
Ce miel issu d’abeilles japonaises n’est produit qu’une fois l’an. (© Kobayashi Kei)

Voici donc l’une des multiples façons d’aider à revitaliser une région où la population vieillit et que de nombreux jeunes ont désertée. Mettre en avant les ressources humaines, un savoir-faire et les spécificités naturelles locales en y intégrant la production, la transformation et la vente permet de créer un flux unique allant des ingrédients jusqu’au profit.

Les ruches se trouvent sur des collines en forêt. (© Kobayashi Kei)
Les ruches se trouvent sur des collines en forêt. (© Kobayashi Kei)

Le nombre de ruches a augmenté de 10 au départ à 26. Entre 50 000 et 200 000 abeilles ont produit 80 kilos de miel en automne 2023. Le miel de Koshiki est en vente dans certaines boutiques, ainsi qu’à Kawangui et en ligne. Maintenant que la production de miel est bien rodée, Kobayashi réfléchit à mettre en place un hébergement plus confortable pour les visiteurs.

Le logo de Kawangui qu’on voit sur le petit rideau noren à l’entrée est composé d’un hexagone qui représente un nid d’abeilles avec, à l’intérieur, le toit de l’établissement et les lignes ondulées d’une rivière. Celles-ci peuvent aussi symboliser les gens de l’île, des nouveau-venus comme Kobayashi, et les visiteurs.

Le noren à l’entrée de Kawangui
Le noren à l’entrée de Kawangui

(Photo de titre : des abeilles japonaises autour d’une ruche. Toutes les photos © Ukita Yasuyuki, sauf mentions contraires)

tourisme gastronomie région île aliment Kagoshima