Exploration de l’histoire japonaise
Yodo-dono la monstrueuse, pourquoi tant de haine ?
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Toyotomi Hideyoshi était-il vraiment le père de Hideyori ?
Le père biologique de Toyotomi Hideyori ne serait pas le seigneur Hideyoshi : c’est la première chose qui vient à l’esprit quand on évoque le nom de Yodo-dono. La rumeur voudrait que Hideyori soit né des amours adultérines de Yodo-dono et qu’elle ait réussi à faire que son fils succède à Toyotomi Hideyoshi, qui était alors l’homme le plus puissant du Japon du XVIe siècle.
Quand il prend Yodo-dono pour favorite, Hideyoshi qui n’avait pas réussi à devenir père, est encore sans descendance. Yodo-dono tombe vite enceinte. Tsurumatsu, leur premier enfant meurt à l’âge de trois ans mais deux ans plus tard, naît Hideyori. Yodo-dono serait la seule femme du gynécée (ôoku) à lui avoir donné deux fils.
Sauf qu’on dit aussi que Hideyoshi aurait eu un fils illégitime né de mère inconnue, quand il était seigneur du château de Nagahama (vers 1573), mais Hidekatsu (de son nom de naissance Ishimatsu-maru) aurait trouvé la mort en 1576. Le Myôhô-ji, un temple de Nagahama (dans l’actuelle préfecture de Shiga), détient la reproduction d’un rouleau figurant Hidekatsu (l’original a été détruit lors d’un incendie). Mais les chercheurs sont partagés, ni l’ascendance de ce Hidekatsu, ni même son existence ne font consensus.
Yodo-dono est incriminée dans les « Chroniques du clan Hagi » (Hagi-han batsuetsu-roku), ce texte écrit au début du XVIIIe siècle appartient aux archives du clan Môri. À la date du 2 décembre 1599, on peut lire « Ôno Shuri, était un homme très apprécié au château d’Edo. On a tenté de le défaire car il a eu une liaison avec la mère de Hideyori (Yodo-dono), mais il a été recueilli par le clan Ukita. »
Ôno Shuri qui était un proche de Toyotomi, aurait été inquiété à cause d’une liaison avec Yodo-dono, avant finalement, d’être relégué à un autre clan. Certes, Shuri est adopté par un clan en octobre 1599, mais on lui reprochait alors une tentative d’assassinat sur la personne d’Ieyasu et il se retrouvera dans la province de Shimôsa (au nord de l’actuelle préfecture de Chiba et sud-ouest d’Ibaraki), gouvernée par Yûki Hideyasu, le fils d’Ieyasu et non envoyé sur les terres des Ukita. Ce document ne peut donc pas etre considéré comme une source fiable, puisqu’il parle d’une liaison et non d’un assassinat et que le clan mentionné est erroné.
D’où vient la rumeur ? Dans les « Annales de Tamon-in » (Tamon-in Nikki, 1478-1618) qui sont conservées au Tamon-in, une annexe du Kôfuku-ji à Nara, on peut lire : « Dans son testament, Hideyoshi avait ordonné qu’Ieyasu se marie à Yodo-dono, mais elle s’est enfuie avec Shuri ». Là encore, on est loin de la réalité factuelle.

Sur cette réplique du « Paravent de la campagne d’hiver à Osaka » (Ôsaka fuyu no jin-zu byôbu), on voit un guerrier qui semble être Hideyori, il est assis aux cotés d’une femme mais on ne sait pas s’il s’agit de Yodo-dono ou de Senhime, l’épouse de Hideyori. Source : ColBase
Mais la rumeur était née et Shuri devenait le potentiel père biologique de Hideyori. De nos jours encore, on retrouve souvent cette thèse sous la plume de passionnés d’histoire. Impossible de trancher. Yodo-dono devait avoir de nombreux ennemis, il semble qu’on ait cherché à lui nuire afin de la discréditer.
Yodo-dono et l’animosité des soutiens de Nene
Pourquoi avait-elle autant d’ennemis ? Hideyoshi adorait son fils Hideyori et Yodo-dono en tirait une très grande fierté.
Remontons dans le temps. Du vivant de Hideyoshi, la hiérarchie et le protocole étaient très stricts au sein du gynécée. Kita-no-mandokoro, aussi appelée Nene, en tant qu’épouse légitime, avait le rang le plus élevé. Yodo-dono passait après elle, mais elle avait pu lui donner un fils. Venait ensuite Kyôgoku Tatsuko puis d’autres favorites. Le protocole était clair et l’ordre même des palanquins était clairement édicté comme on a pu le constater à l’occasion de la « fête des cerisiers en fleur à Daigo » organisée par Hideyoshi en 1598, au soir de sa vie.
Hideyoshi chérissait son fils Hideyori d’un amour démesuré et quand ils ne pouvaient se voir, il lui écrivait de longues lettres qui se terminaient sur un « Je t’embrasserai les lèvres à nos retrouvailles ». Il avait obligé les seigneurs à jurer fidélité à son fils et tout manquement était passible de sanctions. Yodo-dono, qui voyait la force de cet amour, aurait peu à peu pris de l’assurance.
À la mort de Hideyoshi, Hideyori et sa mère emménagent au château d’Osaka en janvier 1601. Yodo-dono assure la régence. Huit mois plus tard, quand Nene quitte le château d’Osaka, Yodo-dono régente et mère du futur shôgun s’empare du pouvoir.
Plus rien ne l’arrête désormais, combative de nature elle prend de plus en plus l’ascendant et s’attire les foudres de ses rivaux.

Yodo-dono régnait sur le château d’Osaka dont on voit ici le donjon dans un détail du « Paravent de la campagne d’hiver à Osaka » (Ôsaka fuyu no jin-zu byôbu). Source : ColBase
De nombreux généraux fidèles à Hideyoshi, vouaient de l’admiration et un profond respect à Nene. Katô Kiyomasa était sans doute le premier d’entre eux, mais il détestait Ishida Mitsunari, qui lui au contraire, était un soutien de Yodo-dono. Kiyomasa a reporté sa haine sur Yodo-dono. Elle était détestée des partisans de Nene.
Les vainqueurs écrivent l’Histoire
Yodo-dono règne désormais sur le château d’Osaka et pèse sur la politique de son temps. Il ne faudrait pas que les Tokugawa prennent la main et réussissent à s’imposer, mais elle n’en est pas pour autant rompue au fonctionnement des antichambres du pouvoir.
Dans son ouvrage intitulé « Les Médications de Gensaku et Dôsan » (Gensaku Dôsan Haizairoku), Manase Dôsan, le médecin attitré de Yodo-dono, raconte qu’elle souffrait de plus en plus d’insomnies à mesure que grandissaient les tensions avec le clan Tokugawa.
Était-elle en mesure de prendre les bonnes décisions ? Hideyori et ses soutiens manquaient tous cruellement d’expérience en matière politique et militaire. Pendant la campagne militaire d’été à Osaka, malgré les percées de Sanada Nobushige, Ieyasu reussira à se rendre maître des combats et Yodo-dono, Hideyori ainsi que Ôno Shuri seront contraints au suicide.

Estampe illustrant la pièce de kabuki et jôruri intitulée « Le campement de la victoire à la bataille de Cha’usuyama » (Cha’usuyama gaika jindate, fin XIXe). La bataille d’Osaka s’est déroulée à Cha’usuyama. De gauche à droite, on voit Yodo-dono, avec ses généraux Kimura Shigenari, Sanada Yukimura et Gotô Matabei. Collections spéciales de la bibliothèque centrale de Tokyo.
Après sa mort, la mémoire de Yodo-dono fut encore plus mise à mal. Les Tokugawa craignaient qu’on leur reproche d’avoir « détruit les Toyotomi », ils ont donc essayé de rejeter la responsabilité sur Yodo-dono, affirmant qu’elle était à blâmer pour la chute du clan Toyotomi.
Hara Takeshi est politologue. Dans son ouvrage intitulé « Les Impératrices dans l’histoire du Japon», (Nyotei no nihon-shi, NHK Shinsho), il souligne combien Yodo-dono a été mise sur la sellette par le shogunat d’Edo. « Elle a servi de repoussoir, afin de prouver que, quand les femmes prennent le pouvoir, rien de bon n’en résulte. »
Hara parle à ce sujet de l’histoire de la « poule » (hinkei) : à l’époque d’Ietsuna (1641-80), le quatrième shôgun Tokugawa, on racontait en citant un livre d’histoire chinois, qu’à l’instar du chant de la poule au matin, l’arrivée des femmes au pouvoir ne pouvait présager que de la décadence des clans et du pays. Les Tokugawa ont argué que Yodo-dono était une de ces poules dont l’ascension était à l’origine de la chute des Toyotomi, et que s’ils avaient dû prendre le pouvoir c’était dans l’intérêt même du pays, pour le sauver de la déchéance. Les vainqueurs réécrivent toujours l’histoire.
En effet, il est sidérant de constater combien les ouvrages de l’époque d’Edo, allant des recueils d’anecdotes aux livres illustrés destinés au grand public, se complaisent à dénigrer Yodo-dono sans aucun sens de la mesure. Citons quelques extraits :
« Yodo n’était pas tant belle que lubrique. » (Essai au fil du pinceau intitulé « Vigoureux en acte, mesuré en pensées », Tandai Shôshin-roku1808).
« Yodo sous son vrai jour : un serpent » (« La vie de Hideyoshi illustrée », Ehon Taikôki).

Cette estampe tirée de « La vie de Hideyoshi illustrée » (Ehon Taikôki) montre Yodo-dono sous les traits d’un serpent. Pendant l’époque d’Edo, Yodo-dono était souvent représentée sous une forme monstrueuse.(Collections du Centre national de recherche sur la littérature japonaise)
Cette tendance a perduré même après la Restauration de Meiji. « À la mort de Hideyoshi, elle devint arrogante, débauchée, incapable de se contrôler, elle était le jouet de Ôno Shuri », citation tirée de « Deux mille cinq cents ans d’histoire» (Ni-sen go-hyaku nen-shi de Takekoshi Yosaburô).
De nos jours, Yodo-dono reste un personnage critiqué mais si les commentaires se font moins acerbes, les femmes de pouvoir restent une cible privilégiée des censeurs de tout poil.
[Bibliographie]
- « Les Impératrices dans l’histoire du Japon», (Nyotei no nihon-shi) de Hara Takeshi / NHK Shinsho Publishing
- « Collection de portraits : Yodo-dono » (Jinbutsu sôsho Yodo-gimi) de Kuwata Tadachika / Yoshikawa Kobunkan
- « Les personnages historiques en relation avec le château d’Osaka : leurs exploits, leur vie » (Ôsaka-jô-wo meguru hitobito sono-jiseki to shôgai) de Kitagawa Hiroshi / Sogensha
(Photo de titre : « Portrait supposé de Yodo-dono » / Les sources manquent pour dire avec certitude qu’il s’agit bien d’un portrait de Yodo-dono. Un autre portrait qui fait lui aussi débat, se trouve au Yôgen-in à Kyoto. Asai Nagamasa et Oichi en auraient fait don au temple pour honorer la mémoire de leur sœur. Jusqu’à son portrait, cette femme restera mystérieuse. Collections du Musée d’art préfectoral de Nara.)