Sur les traces des chrétiens cachés du Japon

Sur les traces des chrétiens cachés du Japon : le sanctuaire de Karematsu et le missionnaire français

Histoire Tourisme

Dans le roman Silence de Endô Shûsaku, il y a une scène dans laquelle le père Rodrigo se cache dans le village chrétien de Tomogi et est abrité dans une cabane de charbonnier de montagne par les fidèles de la commune. Il semblerait que les environs du sanctuaire de Karematsu, actuellement partie de la ville de Nagasaki (anciennement le village de Kurosaki), pourraient avoir servi de modèle pour cette scène. Nous nous sommes rendus sur place découvrir les différents lieux saints, dont celui où repose le missionnaire français historique qui lui sert de modèle dans le livre.

Retrouver la cachette des chrétiens

Les descriptions de la nature sont nombreuses dans Silence.

Par exemple, dans la première moitié de l’histoire, la scène dans les montagnes de Sotome, dans les environs de Nagasaki, où Rodrigo recherche son maître Ferreira, qui a disparu. Parmi ces scènes, il y a beaucoup de scènes de « pluie », peut-être parce qu’elles se superposent aux sentiments du protagoniste.

La mer, aussi. La mer apparaît souvent dans les scènes où Rodrigo parle du « silence de Dieu ».

Certes, Endô n’est pas le seul écrivain à se rendre sur le terrain pour interroger les locaux quand il prépare l’écriture d’un roman. Cependant, dans Silence, cette attitude est approfondie. Je m’en suis convaincu quand j’ai lu l’essai d’Endô dans lequel il retrace l’écriture de ce roman.

Une chose que je peux dire, c’est que je suis un homme qui aime beaucoup les descriptions de la nature, et j’ai un fort désir de refaire l’expérience des montagnes, des rivières et des mers que les personnages de mes romans ont réellement vues, de même que le bruit du vent, par exemple. Si je n’ai pas l’expérience des lieux, je n’ai pas la même confiance en moi lorsque j’écris. Le but de mes entretiens avec les habitants n’est pas de recueillir des faits. J’ai déjà fait des recherches sur les faits et je les ai en tête. Ce que j’attends d’un lieu, c’est l’air que mes protagonistes y ont senti, le bruit du vent dans leurs oreilles, la lumière du soleil dans leurs yeux et le paysage. (Endô Shûsaku, « La voix du silence », Chinmoku no koe).

J’ai donc moi aussi décidé de visiter le sanctuaire de Karematsu dans le secteur de Shimo-Kurosaki, à Nagasaki, qui a servi de modèle pour l’endroit où Rodrigo atterri et se cache dans le village de Tomogi, afin d’observer de mes yeux le monde tel qu’il l’a vu.

La carte montre que si vous prenez le bus local depuis la gare de Nagasaki, ce sanctuaire n’est pas loin de l’arrêt « Nagatahama », six arrêts avant « Bungaku-kan Iriguchi » où se trouve le musée littéraire Endô Shûsaku.

Mais dès que je suis descendu du bus et que j’ai commencé à marcher, j’ai regretté de ne pas avoir laissé à l’hôtel mon sac à dos rempli d’appareils photo reflex, de livres et de documents... La montée est raide et interminable. Essoufflé et en sueur, je me suis finalement dit : « Mais bien sûr ! C’était une cachette pour les chrétiens, il faut bien que ce soit difficile à trouver. À l’époque de Rodrigo, sans doute était-ce encore cent fois plus dur d’y arriver ! » Après 25 minutes de marche en me reposant de temps en temps, j’ai trouvé le panneau d’information à l’entrée du sanctuaire de Karematsu.

Entrée du sanctuaire de Karematsu. De là, cinq minutes de marche supplémentaires sur un chemin empierré mènent au pavillon principal. Des bâtons de marche sont mis à la disposition des fidèles devant le panneau d’information.
Entrée du sanctuaire de Karematsu. De là, cinq minutes de marche supplémentaires sur un chemin empierré mènent au pavillon principal. Des bâtons de marche sont mis à la disposition des fidèles devant le panneau d’information.

Les environs d’un sanctuaire boisé rappellent fortement le décor de Silence.
Les environs d’un sanctuaire boisé rappellent fortement le décor de Silence.

Un sanctuaire... chrétien ?

Comment se fait-il que ce refuge des « chrétiens cachés » soit un « sanctuaire », terme qui désigne en principe les sanctuaires shintô ?

Sans aucun doute parce qu’effectivement, sous les apparences d’un sanctuaire shintô, c’est un lieu de culte catholique. Ces sanctuaires consacrés aux chrétiens sont extrêmement rares au Japon. Outre celui-ci, il existe le Kuwahime Daimyôjin à l’intérieur du Sanctuaire Fuchi, lui aussi situé à Nagasaki, et le Otaane Daimyôjin sur l’île d’Izu-Ôshima, qui administrativement fait partie de la préfecture de Tokyo.

Depuis les temps anciens, la région était connue comme le lieu de martyre du légendaire missionnaire connu sous le nom de « San Jiwan ».

Selon la tradition, le frère franciscain espagnol San Jiwan (transcrit également San Juan, c’est-à-dire St John en anglais ou St Jean en français) est arrivé à Nagasaki sur un navire de commerce en 1609. Cinq ans plus tard, lorsque le second shôgun Tokugawa, Hidetada, a décrété l’interdiction totale du christianisme, il s’est réfugié à Kurosaki et s’est caché dans les montagnes, poursuivant son activité pastorale en changeant régulièrement de résidence.

La scène de Silence dans laquelle les villageois apportent des pommes de terre séchées et de l’eau à Rodrigo pour la messe a probablement été inspirée par cette anecdote sur le père San Jiwan.

Pavillon du sanctuaire de Karematsu. Officiellement construit en 1938, reconstruit en 2003. L’intérieur comprend deux pavillons distincts.
Pavillon du sanctuaire de Karematsu. Officiellement construit en 1938, reconstruit en 2003. L’intérieur comprend deux pavillons distincts.

C’est au cours de l’ère Meiji (1868-1912) que les fidèles chrétiens de la région ont érigé un sanctuaire sur la tombe de San Jiwan et ont initié un service de prières. C’est semble-t-il l’origine du sanctuaire de Karematsu.

Avant 1873, date à laquelle le gouvernement Meiji a officiellement abrogé l’interdiction du christianisme, les chrétiens cachés et leurs descendants étaient contraints de se comporter ostensiblement comme des bouddhistes ou des shintoïstes, et ont dû camoufler leurs lieux de culte en sanctuaires.

Au détour du chemin, on trouve des pierres plates enfouies sous les feuilles mortes. Il s’agit de tombes chrétiennes, sur lesquelles les fidèles priaient pour leurs défunts en disposant de petites pierres en forme de croix, et une fois la prière terminée, la croix était brisée. Cette précaution empêchait les gens de l’extérieur de les reconnaître comme des tombes chrétiennes.

Un énorme rocher appelé le Rocher de la Prière devant le sanctuaire. Une fois par an, la nuit du Vendredi saint qui précède Pâques, les chrétiens cachés se réunissaient en secret et chantaient des orasho (« oraisons ») sous le rocher.
Un énorme rocher appelé le Rocher de la Prière devant le sanctuaire. Une fois par an, la nuit du Vendredi saint qui précède Pâques, les chrétiens cachés se réunissaient en secret et chantaient des orasho (« oraisons ») sous le rocher.

Le père de Rotz, missionnaire français aimé des pêcheurs et des paysans

Descendons maintenant la colline en direction de l’église de Kurosaki, située à environ 1 km, qu’Endô Shûsaku a visitée avant de débuter l’écriture de Silence. C’est après avoir entendu le prêtre raconter des histoires sur la façon dont s’est transmis le christianisme dans la région qu’il a décidé de présenter la région comme cadre de son roman.

L’église de Kurosaki, en briques, avec une impressionnante statue de la Vierge Marie debout, les bras écartés, achevée en 1920, à quelques pas de l'arrêt de bus « Église de Kurosaki » (Kurosaki-kyôkai-mae) .
L’église de Kurosaki, en briques, avec une impressionnante statue de la Vierge Marie debout, les bras écartés, achevée en 1920, à quelques pas de l’arrêt de bus « Église de Kurosaki » (Kurosaki-kyôkai-mae) .

Plusieurs sites historiques et d’archives liés aux missionnaires chrétiens, notamment le sanctuaire de Karematsu et l’église de Kurosaki, se trouvent à proximité du musée littéraire de Endô Shûsaku. Dans le village voisin de Shitsu, à côté du village de Kurosaki, on trouve l’église de Shitsu, l’ancien hôpital de secours de Shitsu, le musée commémoratif du Père de Rotz, le musée de l’histoire et du folklore de Sotome, le cimetière (chrétien) de Nomichi et le monument du silence. En outre, la localité voisine d’Ôno abrite l’église d’Ôno. Les deux localités figurent sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco comme partie d’un ensemble appelé « Sites chrétiens cachés de la région de Nagasaki ».

L'église en bois et pierre d'Ôno, achevée en 1893, se dresse dans les paisibles montagnes, à 10 minutes de marche de l'arrêt de bus d'Ôno. Si ce n’était la statue de la Vierge Marie, elle ressemblerait à une vieille maison. L’édifice est désigné « bien culturel d'importance nationale ».
L’église en bois et pierre d’Ôno, achevée en 1893, se dresse dans les paisibles montagnes, à 10 minutes de marche de l’arrêt de bus d’Ôno. Si ce n’était la statue de la Vierge Marie, elle ressemblerait à une vieille maison. L’édifice est désigné « bien culturel d’importance nationale ».

L'église de Shitsu, d’une beauté solide et massive, avec son extérieur en craie et ses deux tours, a été achevée en 1882. Désignée également « Bien culturel d'importance nationale ». À 20 minutes de marche depuis l'arrêt de bus « Village culturel de Shitsu » (Shitsu Bunkamura-mae).
L’église de Shitsu, d’une beauté solide et massive, avec son extérieur en craie et ses deux tours, a été achevée en 1882. Désignée également « Bien culturel d’importance nationale ». À 20 minutes de marche depuis l’arrêt de bus « Village culturel de Shitsu » (Shitsu Bunkamura-mae).

Tous ces sites historiques tournent autour de la figure-clé du Père de Rotz.

Son nom complet était Marc Marie de Rotz, un missionnaire français appartenant à la Société catholique des missions étrangères de Paris, il est arrivé au Japon en 1868 et a été affecté au village de Kurosaki, où, en plus de son travail de missionnaire, il a investi ses fonds personnels dans des projets d’aide sociale pour les résidents pauvres.

Par ailleurs, anecdote intéressante : le père de Rotz serait aussi à l’origine des macaronis au Japon. Il y a construit une usine de macaronis et a travaillé avec les villageois pour produire des pâtes. Au restaurant Yûhigaoka Sotome, à proximité du musée littéraire Endô Shûsaku, vous pouvez goûter les do Ro-sama sômen, c’est-à-dire les « nouilles sômen du Père de Rotz », légèrement plus épaisses et plus fermes que les sômen classiques.

Cimetière communal de Nomichi. Construit en terrasses sur une pente raide par le père de Rotz. Le prêtre n'est jamais rentré chez lui pendant 46 ans, jusqu'à sa mort en 1914, et repose dans le cimetière. 15 minutes de marche depuis l'arrêt de bus « Shitsu ».
Cimetière communal de Nomichi. Construit en terrasses sur une pente raide par le père de Rotz. Le prêtre n’est jamais rentré chez lui pendant 46 ans, jusqu’à sa mort en 1914, et repose dans le cimetière. 15 minutes de marche depuis l’arrêt de bus « Shitsu ».

En haut des longues et raides marches de pierre du cimetière communal se trouvent des rangées de tombes dont la maçonnerie en pierre est unique à la région de Sotome.
En haut des longues et raides marches de pierre du cimetière communal se trouvent des rangées de tombes dont la maçonnerie en pierre est unique à la région de Sotome.

Bouddhistes, catholiques et chrétiens cachés s’unissent

Cinq années se sont écoulées depuis son inscription au patrimoine mondial, mais contrairement à des lieux comme l’église de Ôura, au centre de Nagasaki, qui est visitée de nombreux touristes, y compris étrangers, la région de Sotome est calme. On espère qu’un plus grand nombre de personnes visiteront la région, mais pour cela, il est essentiel d’améliorer l’accessibilité. Chaque village est situé le long d’une ligne de bus et les sites historiques sont proches les uns des autres, mais il n’y a qu’un seul bus par heure. Une navette ou un service de bus communautaire serait plus pratique.

L’absence de sur-tourisme a néanmoins ses avantages. Les visiteurs peuvent ainsi prendre leur temps et visiter tranquillement les différentes installations et d’interagir avec les habitants.

Vue des hauteurs de l'église de Kurosaki vers le sanctuaire de Karematsu. Un bateau de pêche abandonné dans un jardin privé.
Vue des hauteurs de l’église de Kurosaki vers le sanctuaire de Karematsu. Un bateau de pêche abandonné dans un jardin privé.

Lorsque je croise des habitants sur la route, ils me saluent spontanément. Après avoir quitté l’église de Kurosaki, je suis remonté sur la montagne pour prendre des photos, et mon regard a croisé celui d’un homme qui travaillait dans son jardin. Je l’ai salué et lui ai dit que j’étais venu de Tokyo pour voir le site du patrimoine mondial. « J’ai travaillé à Tokyo pendant dix ans après avoir terminé mes études secondaires, avant de reprendre l’entreprise familiale. Je parle donc bien la langue de la capitale », me répond-il en souriant.

Après avoir parlé des spécialités de la région telles que le yukô (un agrume aromatique proche du yuzu) et les « sômen du père de Rotz », j’ai abordé le sujet du sanctuaire de Karematsu. L’homme m’a appris qu’il y avait un cimetière commun bouddhiste et chrétien près du sanctuaire et que chaque automne, les bouddhistes, les catholiques et les chrétiens cachés se réunissaient pour un service commémoratif commun.

Il fallait absolument que je le voie. J’y suis donc retourné et effectivement, il y a bien un cimetière relativement récent sur le chemin à côté du pavillon du sanctuaire. Outre les pierres tombales de style bouddhiste et chrétien, il y a également un monument qui m’a semblé être d’origine taoïste.

Des recherches dans les journaux locaux et quelques livres m’ont confirmé que des services commémoratifs conjoints ont été organisés en privé chaque année depuis 2000, aux alentours du mois de novembre.

Après l’abolition de l’interdiction du christianisme en 1873, trois groupes de chrétiens cachés se sont formés séparément dans la région de Kurosaki. Certains deviennent bouddhistes du temple Tempuku-ji (quartier de Kashiyama-machi, ville de Nagasaki), d’autres deviennent « officiellement » catholiques romains après avoir été baptisés à l’église de Kurosaki, et ceux qui n’appartiennent ni à un temple ni à l’église catholique, mais qui continuent à vivre une forme de foi transmise depuis l’époque de l’interdiction. C’est ce troisième groupe qui est connu depuis sous le nom de « chrétiens cachés ».

Ironiquement, la « liberté religieuse » a créé des divisions et des conflits entre les villageois.

Tous se sont réunis pour la première fois en 2000 pour organiser la fête votive du sanctuaire de Karematsu. Ils voulaient ainsi envoyer au monde un message montrant que nous pouvons être unis malgré nos différences.

Dans un monde de plus en plus divisé, l’ancien sanctuaire des chrétiens cachés prend un nouveau chemin en tant que lieu de « réconciliation religieuse ».

Carte de la région de Sotome, dans la ville de Nagasaki

(Photo de titre : le pavillon du sanctuaire de Karematsu, qui se dresse tranquillement dans les montagnes de Shimo-Kurozaki, dans la ville de Nagasaki. Lieu sacré des missionnaires chrétiens de Sotome, il est dédié au missionnaire San Jiwan. Toutes les photos sont de Nippon.com.)

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