Quand le Japon s’allia avec la Russie : un accord précieux mais éphémère
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Un moment fort de diplomatie entre le Japon et la Russie
Le 3 juillet 1916, un pacte entre le Japon et la Russie est signé à Pétrograd (aujourd’hui Saint-Pétersbourg), par le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Sazonov et l’ambassadeur japonais Motono Ichirô. Les deux pays deviennent liés par une alliance à la fois militaire et politique. C’est à cette époque que les relations entre Tokyo et Moscou atteignent leur point d’orgue. Mais l’année suivante, la Révolution russe rend ce traité caduque, annihilant toute coopération à une échelle que les historiens ne peuvent maintenant qu’imaginer. Mais plutôt que de supposer ce qui aurait pu se passer, examinons les faits historiques.
Début 1915, les journaux japonais évoquent déjà la nécessité d’une alliance avec Moscou. Aux premières heures de la Première Guerre mondiale, la Russie comme le Japon combattaient l’Allemagne et les empires centraux (l’Empire allemand, l’Autriche-Hongrie, l’Empire ottoman et le Royaume de Bulgarie). Dans une missive, l’ambassadeur de Russie au Japon, Nikolaï Malevsky-Malevitch, fait savoir au ministre des Affaires étrangères Sazonov que depuis le début de la guerre, la nécessité, ou non, de l’alliance est abondamment relayée par la presse nippone, ajoutant que l’idée a déjà largement remporté la ferveur du grand public.
Au cœur du débat : la signification même d’une alliance nippo-russe. Les deux pays devraient s’entraider au plan militaire en cas de conflit avec un pays tiers, comme cela avait été le cas pour l’Alliance anglo-japonaise. Mais un tel traité avec la Russie est-il vraiment nécessaire ?
La « diplomatie impériale » comme clé de l’alliance
En février 1915, le maréchal Yamagata Aritomo, ancien Premier ministre, soumet un mémorandum au gouvernement japonais. Il a des doutes sur les chances de victoire des puissances alliées et pense que la guerre se terminera ex-aequo, sans gagnant ni perdant. Il est convaincu que l’équilibre des forces dans le monde s’en trouvera menacé, exacerbant les tensions en Asie, et selon lui, les États-Unis rejoindront le front en Asie. Jugeant l’Alliance anglo-japonaise insuffisante, il propose la formation d’une alliance nippo-russe, laquelle impliquerait l’apport d’un soutien militaire et la protection de l’intégrité territoriale de la Chine, contre des pays qui ne feraient pas partie de l’alliance.
Le gouvernement du Premier ministre Ôkuma Shigenobu rejette la proposition de Yamagata, ne lui laissant d’autre choix que de rechercher le soutien de l’empereur Taishô. Et le moyen le plus rapide de le faire, tout du moins selon lui, est de faire venir un membre de la maison impériale russe à Tokyo. Plus tard, en 1915, le major-général Nakajima Masatake, alors observateur au quartier général de l’armée russe, fait remarquer de façon tout à fait anodine dans une conversation avec Sergei Fedorov, le chirurgien du tsar Nicolas II la chose suivante : « Si le tsar dépêchait un grand-duc au Japon, cela ferait probablement très bonne impression et le Japon intensifierait ses efforts pour aider la Russie à combattre l’Allemagne. »
Cette volonté est transmise au tsar Nicolas II qui, le lendemain, confie sans plus attendre cette mission au grand-duc George Mikhaïlovitch. Le but de la visite était de féliciter l’empereur Taishô pour la fin de ses cérémonies officielles d’intronisation en novembre 1915. À son arrivée à Tokyo en janvier 1916, il est accueilli à la gare par l’empereur lui-même.
Secrète et éphémère
Après l’échec de négociations menées individuellement par des diplomates, Yamagata exige du ministre des Affaires étrangères Ishii Kikujirô qu’il conclue un accord général avec la Russie. Il insiste auprès de lui sur le fait que le maintien de la paix et de la sécurité en Asie orientale pourra se faire seulement par le biais de la coopération entre les deux empires. Ishii et Ôkuma ne sont pas particulièrement en faveur d’une alliance avec le géant continental, mais Yamagata réussit à imposer sa volonté.
Autrefois, de nombreux historiens pensaient que c’était l’ambassadeur Motono qui avait rédigé le traité de l’alliance de 1916. Cependant, les documents sont formels : Yamagata a joué un rôle de premier plan grâce à ses grandes compétences en diplomatie et en géopolitique. La « diplomatie impériale » était un élément clé de sa stratégie. Après la visite du grand-duc en tant qu’émissaire du tsar Nicolas II, et son accueil réservé par l’empereur Taishô, le temps n’était plus aux objections ouvertes. Le reste n’était plus qu’une question de procédure.
Le 18 février 1916, l’ambassadeur Motono remet à Sazonov une note appelant à l’ouverture de négociations officielles. La Russie étant à l’époque en position de faiblesse en Extrême-Orient, Nicolas II reconnaît l’utilité d’une alliance avec le Japon. Ce traité marque une nouvelle étape dans les relations bilatérales, à peine dix ans après la fin de la guerre russo-japonaise (1904-1905). Il serait donc erroné de penser que la Russie renonce à ses ambitions dans la région.
Des articles publiés du traité stipulaient les obligations pour les deux parties de ne pas conclure d’accords ou de pactes l’une contre l’autre. Ils prévoyaient également des moyens de coopération pour la défense des droits territoriaux et des intérêts particuliers mutuellement reconnus en Extrême-Orient.
Par ailleurs, « afin d’approfondir les liens d’amitié entre les deux pays », ces derniers concluent un accord secret. En vertu de celui-ci, ils s’engagent à protéger la Chine de la domination politique de toute puissance tierce qui aurait des intentions hostiles à l’égard de la Russie ou du Japon. Si les mesures prises menaient à une guerre avec un pays tiers, l’autre partie devrait venir en aide à son alliée si cette dernière en faisait la demande. Ainsi, les parties n’étaient pas autorisées à conclure la paix avec un ennemi commun sans consentement mutuel. Enfin, elles garantissaient un soutien proportionnel à l’ampleur du conflit.
Le Japon et la Russie ont donc convenu d’une alliance de cinq ans, qui devait rester dans le plus grand secret. Même parmi les ministres russes, seul le Premier ministre Boris Stürmer était dans la confidence.
Toutefois, cette alliance a été éphémère. En novembre 1917, lorsque les bolcheviks ont pris le pouvoir, ils ont mis fin à l’alliance qui liait le Japon et la Russie, suscitant confusion et embarras considérables lorsque de nombreux documents relatifs aux traités secrets entre l’Empire russe et les autres puissances alliées ont été publiés. L’alliance nippo-japonaise n’aura été que de courte durée.
(Photo de titre : le tsar Nicolas II [au centre] et ses cinq enfants en 1916, accompagnés d’un troupe de cosaques. Photo avec l’aimable autorisation de la collection Romanov, General Collection, Beinecke Rare Book and Manuscript Library, Yale University)