McDonald’s au Japon fête ses 50 ans : ombres et lumières du géant de la restauration

Économie

McDonald’s Japan fête cette année ses cinquante ans d’existence. Directement touchée par la crise sanitaire, la société a cependant su tirer parti de la demande créée par le désir de s’auto-confiner : ses comptes consolidés pour l’année 2020 montre un chiffre d’affaires record de 4,56 milliards d’euros. Et cette tendance est loin de faiblir. En compagnie de Gene Nakazono, qui a bien connu l’entreprise à ses débuts, nous revenons sur le chemin parcouru par la célébrissime enseigne pendant ce demi-siècle et sur la personnalité de son fondateur, Fujita Den.

Gene Nakazono Gene NAKAZONO

Né en 1949 à Osaka, il entre chez McDonald’s Japan à la fin de ses études qu’il avait interrompues un an pour traverser les États-Unis à bicyclette. Il quitte la société en 1990 pour aller s’installer avec sa famille en Australie où il devient directeur d’un restaurant japonais sur la Gold Coast. Il déménage ensuite à Sydney et travaille comme directeur du contrôle de qualité d’un géant américain de l’agro-alimentaire, puis comme consultant dans ce secteur. Il prend la nationalité australienne en 1997. De 2009 à 2016, il revient travailler au Japon, afin de lancer une usine agro-alimentaire, dont il prend ensuite la direction. En janvier 2016, il revient à Sydney, où il se met à écrire. Il a publié depuis une vingtaine de titres, dont le dernier s’intitule : « Les règles inébranlables du temps et de l’argent que m’a apprises Fujita Den » (Fujita Den kara osowatta okane to jikan no fuhen no rule, éditions Forest Shuppankan). Son portrait date de l’époque où il travaillait chez McDonald’s Japon.

Un restaurant d’Okinawa réalise le plus gros chiffre d’affaires de tous les McDonald’s du monde

Les restaurants McDonald’s font aujourd’hui partie du paysage japonais. Il faut retenir la date du 20 juillet 1971, jour de l’ouverture du premier d’entre eux au sein du grand magasin Mitsukoshi, dans le quartier de luxe de Ginza, à Tokyo.

Ce McDonald’s suscita une grande attention, et même s’il y en eut rapidement un autre à Shinjuku et ailleurs, McDonald’s n’était pas encore universellement connu. Le hamburger n’avait pas encore acquis sa place dans les habitudes alimentaires japonaises.

C’est en 1973 que Gene Nakazono a commencé à travailler pour la société qui est entrée dans sa période de croissance rapide cinq plus tard. En 1976, il a été nommé directeur du restaurant de Makiminato, dans la ville d’Urasoe, préfecture d’Okinawa, et a contribué à son prodigieux chiffre d’affaires.

« Cela ne faisait que quatre ans que l’île d’Okinawa avait été rétrocédé au Japon, et environ deux cent mille Américains, militaires et leurs familles, y vivaient. Nous avions mis un panneau McDonald’s Opening Soon sur le site où allait ouvrir le restaurant, et tous les jours des Américains venaient demander la date de l’inauguration. Lorsque le grand jour est arrivé, le 1er février, il y a eu des files d’attente énormes, et j’ai décidé d’avancer l’heure de l’ouverture. La foule qui s’est précipitée dans le restaurant était incroyable. Le chiffre d’affaires ce jour-là a dépassé 3 millions de yens (23 000 euros), ce qui constituait un record mondial pour une ouverture d’un McDonald’s. Et cela a continué, puisque nous avons ensuite enregistré la meilleure semaine, puis le meilleur mois au monde. »

En 1982, McDonald’s Japan a réalisé un chiffre d’affaires annuel qui en faisait la première entreprise de restauration du Japon. Impossible de parler de cet extraordinaire essor sans évoquer Fujita Den, le créateur de l’entreprise au Japon.

« C’était un homme très énergique. Dans les années quatre-vingt, il s’ouvrait chaque semaine un ou deux restaurants au Japon. M. Fujita inspectait chaque nouveau site, et ne manquait aucune inauguration. Il en profitait pour aller voir les restaurants les plus proches, et les regardaient de fond en comble. Quand il trouvait quelque chose qui n’allait pas, sa colère était terrible. Tout le monde avait peur de lui, mais son sens des affaires était sans pareil même parmi les meilleurs dirigeants de l’époque. »

Fujita Den versait de l’argent aux épouses de ses employés

Salué à l’époque comme le roi de la restauration, Fujita a aussi écrit de nombreux livres, dont « Les imbéciles perdent de l’argent : une philosophie de combat pour l’argent à la juive » ou encore « Comment sonner le clairon à la manière des juifs riches », même si certains le qualifiaient ironiquement d’esclave de l’argent.

Pour gagner de l’argent, il faut faire travailler les gens. Nakazono n’a pas oublié que Fujita accordait à cet égard la plus grande importance aux rémunérations et au giri ninjô (c’est-à-dire la notion japonaise d’obligation morale et sociale et son corollaire, la considération pour les autres). Il s’intéressait particulièrement aux familles des employés de sa société.

« À l’époque où il était PDG, la société a versé pendant une période un “bonus des comptes annuels”, en mars, en plus des deux bonus habituels au Japon, attribués en juillet et en décembre. Ce bonus des comptes annuels n’était pas payé aux employés, mais à leurs épouses. Parce que Fujita voulait qu’elles encouragent leur mari à se donner à fond dans son travail. »

Il n’y avait pas que ce bonus des comptes annuels. Chaque fois que la femme d’un employé fêtait son anniversaire, Fujita lui faisait envoyer des fleurs.

« Et pas sous la forme d’un bouquet, mais d’une plante en pot. Une plante en pot dure au moins un an, et chaque fois qu’elle la regardait, l’épouse rappelait à son mari qu’il devait travailler dur. En se préoccupant des épouses, M. Fujita renforçait la motivation de ses employés.

Fujita Den, le PDG le 26 juillet 2001 au moment de l'introduction au JASDAQ de McDonald's Japon (Jiji)
Fujita Den, le 26 juillet 2001, au moment de l’introduction au JASDAQ de McDonald’s Japan (Jiji)

Après avoir passé ses dix premières années chez McDonald’s dans des restaurants à travers le Japon, Nakazono a été appelé au siège dans le quartier de Shinjuku à Tokyo. Il n’a pas oublié un épisode datant de cette époque. Il était aux toilettes lorsque Fujita y est entré, l’a regardé et lui a dit d’un ton très naturel : « Tiens, M. Nakazono ! Votre fille entre bientôt en primaire, non ? »

« Il ne se trompait pas, ma fille allait entrer en primaire l’année suivante. J’étais stupéfait. Parce que, pour qu’il me dise une chose pareille, il fallait qu’il se souvienne de la composition des familles de ses employés. Je me suis dit qu’il se préoccupait vraiment de nous, et je n’ai pu que penser qu’avec un patron pareil, je devais me donner à fond dans mon travail. »

Dirigé par Fujita, cet homme qui alliait un charisme extraordinaire à un sens des affaires affuté, McDonald’s Japan a réussi une croissance rapide et a significativement modifié les habitudes alimentaires japonaises. Le hamburger, regardé autrefois comme quelque chose qui ne pourrait jamais marcher au Japon, est devenu pour beaucoup un aliment du quotidien.

Une guerre des prix aboutit à un résultat négatif

La période pendant laquelle Nakazono a travaillé chez McDonald’s Japan, de 1973 à 1990, correspond à celle de son expansion. 1977 a vu la création des « drives ». Lancé en 1987, le Thank You Set, composé d’un hamburger, d’une portion de frites et d’une boisson, a été un tel succès que Thank You Set est devenue une expression à la mode. Avec l’ouverture d’un McDonald’s dans la préfecture de Yamagata en 1990, tous les 47 préfectures japonaises comptaient au moins un restaurant de la fameuse enseigne.

Mais lorsque l’époque de la bulle économique s’est terminée, le Japon est devenu une économie déflationniste, et la croissance de McDonald’s Japan a commencé à s’essouffler. En 2000, les restaurants ont commencé à offrir les promotions « à moitié prix en semaine ». Le hamburger qui coûtait autrefois 210 yens était en vente à 65 yens, et cela a fait revenir dans les McDonald’s la génération des quarantenaires qui disposaient de moins d’argent de poche à cause de la récession. Cette initiative a accéléré l’effondrement des prix, mais McDonald’s était perçu comme un des vainqueurs de la déflation.

Cela n’a pas duré.

En 2002, afin de faire repartir à la hausse la dépense par client, McDonald’s a cessé d’offrir les promotions « à moitié prix en semaine ». Les clients n’ont pas apprécié, et l’entreprise a perdu de l’argent cette année-là pour la première fois depuis sa création. Fujita a quitté le poste de directeur général pour prendre celui de président, avant de démissionner lors de l’assemblée générale de mars 2003. Il mourut d’une crise cardiaque à peine un an plus tard, le 21 avril 2004.

Pendant ses cinquante ans d’existence, McDonald’s Japan a connu deux grandes crises. Nous avons déjà parlé de la première, entre 1990 et 2002. Les restaurants qui avaient ouvert lors de l’expansion rapide avaient vieilli, et la stratégie des bas prix dans le même temps a conduit à une chute de l’image de marque. C’est en 2002 qu’il y a eu le plus grand nombre de restaurants au Japon, 3 891, mais pendant sept ans de suite, ceux qui existaient ont vu le chiffre d’affaires décliner.

Une confiance anéantie suite au scandale du poulet périmé

McDonald’s Japan a ensuite commencé à doucement remonter la pente, pour repartir à la baisse à partir de 2010. En 2014, l’entreprise a connu sa plus grande crise, avec ce qui a été appelé « l’affaire du poulet périmé », lorsqu’on a découvert qu’une entreprise chinoise qui fournissait la matière première des chicken nuggets avait menti sur la date de péremption de ses produits. L’explication de Sarah Casanova, qui était alors directrice générale de l’entreprise et qui en est aujourd’hui la présidente, selon laquelle McDonald’s Japan avait été trompé par son fournisseur, a déclenché une vague négative qui a anéanti la confiance en McDonald’s Japan.

Nakazono qui après avoir quitté McDonald’s Japan était parti en Australie où il avait travaillé pour McDonald’s Australie décrit l’impression que lui faisait alors son ancien employeur :

« Quand je rentrais au Japon, j’aller parfois manger chez McDonald’s, mais après 2005, pour dire les choses clairement, la saleté des restaurants était ce qui me frappait. Les plateaux utilisés restaient sur les tables après le départ des clients. Il y avait des détritus par terre. J’ai trouvé ça lamentable. Le QSC auquel M. Fujita avait dès le départ accordé la plus grande importance n’existait plus. »

QSC, c’est-à-dire Q pour quality, S pour service, et C pour cleanliness (propreté). Fujita avait martelé ce sigle auprès de tous les employés.

« Même lorsqu’il était suroccupé, M. Fujita prenait le temps d’aller dans le plus grand nombre possible de restaurants, et vérifiait scrupuleusement leur propreté, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Et quand un restaurant ouvrait, la règle était qu’il doit être rénové dans les cinq ans. La propreté comptait à ce point pour lui. »

Un retour aux sources : la solution à la crise

McDonald’s Japan a réussi à surmonter cette deuxième crise et à se remettre du scandale du poulet périmé comme le montrent ses extraordinaires résultats actuels grâce au retour à ses fondamentaux, l’application rigoureuse des principes QSC.

« Sarah Casanova, la directrice générale, s’est efforcée de reconquérir le terrain perdu en inculquant aux employés l’importance du service, et en faisant renouveler avec des financements bancaires tous les restaurants. Elle a aussi veillé au renouvellement des menus, et a mené une campagne médiatique en utilisant les réseaux sociaux pour mettre en valeur la renaissance de McDonald’s. Ce retour de la confiance des clients permet à McDonald’s Japan de célébrer son cinquantenaire. »

Sarah Casanova, alors directrice générale de Japan McDonald's Holdings et son successeur, Hiiro Tamotsu, administrateur, le 19 février 2021, Jiji (photo fournie par McDonald's Japon)
Sarah Casanova, alors directrice générale de Japan McDonald’s Holdings et son successeur, Hiiro Tamotsu, administrateur, le 19 février 2021. Jiji (photo fournie par McDonald’s Japan)

C’est ce qu’explique Nakazono, la voix pleine d’émotion, à propos du cinquantenaire du roi de la restauration rapide qui a su garder son titre en surmontant des crises.

« Dans le monde du commerce, une affaire qui tient trente ans est admirée, mais McDonald’s Japan tient depuis cinquante ans. En toute honnêteté, je trouve cela fantastique. Pour moi, la personnalité de Fujita Den, son génie, ses talents d’innovateur, et le principe de QSC + V (pour valeur) y sont pour beaucoup. Lorsque j’ai commencé à travailler chez McDonald’s Japan, la restauration était un secteur d’artisanat traditionnel. Mais M. Fujita affirmait que la restauration signifierait désormais du chiffre et que c’était un secteur pour les diplômés de l’université. Il en recrutait à tour de bras. Il ne s’était pas trompé. J’espère que l’entreprise va continuer à innover et je lui souhaite de fêter son centenaire. Quand elle le fera, je le fêterai comme il faut depuis le paradis », conclut-il en riant.

Un restaurant McDonald's de Tokyo devant lequel les clients font la queue (photo de l'auteur)
Un restaurant McDonald’s de Tokyo devant lequel les clients font la queue (photo de l’auteur)

McDonald’s Japan : les dates essentielles

1971 Ouverture du premier McDonald’s au Japon dans le grand magasin Mitsukoshi de Ginza, à Tokyo. Le hamburger coûte 80 yens (60 centimes d’euro)
1973 Première diffusion publicitaire à la télévision
1977 Premier McDrive
1982 Atteint le chiffre d’affaires annuel le plus élevé du Japon
1984 Atteint les 100 milliards de yens de chiffres d’affaires
1985 Lancement du McMorning
1987 Lancement du Thank you set
1989 Lancement du burger teriyaki
1993 Ouverture du millième McDonald’s au Japon
1998 Ouverture du premier McCafé
1999 Ouverture du trois millième McDonald’s au Japon
2000 Promotion « à moitié prix en semaine ». Le hamburger qui coûtait autrefois 210 yens (1,6 euro) était en vente à 65 yens (50 centimes d’euro).
2004 Suite à de mauvais chiffres d’affaires, Fujita Den quitte son poste de président.
2006 Certains McDonald’s restent ouverts 24h/24 en utilisant le McDrive
2007 Succès sans précédent du burger Mega Mac
2014 Scandale des chicken mcnuggets périmés
2016 Perte record pour l’année 2015 de 34,7 miliards de yens (268 millions d’euros)
2021 Deux records sur l’année 2020 : chiffre d’affaires de 589,2 milliards de yens (4,56 milliards d’euros) et un résultat d’exploitation de 31,2 milliards de yens (242 millions d’euros)

(Photo de titre : l’ouverture du premier restaurant McDonald’s au Japon dans le grand magasin Mitsukoshi de Ginza, à Tokyo, le 20 juillet 1971. Jiji)

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