Quand le Japon goûte aux substituts de viande : vers une popularité croissante ?

Société Environnement Gastronomie

Depuis l’année dernière au Japon, une petite révolution se met en route dans le marché de l’alimentation : l’apparition de substituts de viande à base de denrées végétales telles que le soja. Voulant répondre aux défis environnementaux ainsi qu’à une clientèle désireuse de se tourner vers le végétarisme ou le véganisme — des types de régimes encore peu présents sur l’Archipel comparés à l’Europe ou aux États-Unis — des start-up tout comme des grandes marques œuvrent à développer ces produits. Parmi les défis de taille : garder le savoureux goût de la viande et un prix abordable. Dans cet article, nous avons aussi ailleurs sélectionné trois produits pour vérifier leur qualité.

Une petite histoire des substituts de viande

L’idée de créer des substituts de viande à base de légumes remonte à plus de 100 ans. Selon le rapport de Endô Masahiro, chef de la section Environnement, Agriculture et Forêts de la Bibliothèque nationale de la Diète, intitulé « Le développement des substituts de viande et leur évolution future – autour de la viande végétale et la viande cultivée », le chercheur américain John Harvey Kellogg, dont le nom figure sur les boites de Corn Flakes qu’il a développé, a eu l’idée de produire un aliment qui avait la consistance et le parfum de la viande, à base de la caséine qu’on trouve dans le gluten du blé ou dans le lait. Il a breveté son idée en 1907.

Ce sont les recherches du chimiste américain Robert Allen Boyer qui ont donné un élan au développement des substituts de viande. Il avait en effet mis au point une méthode de fabrication qui imitait la structure de la viande et s’en rapprochait en texture et goût, en regroupant des protéines végétales extraites de soja. Après avoir breveté son produit en 1954, des fabricants américains ont lancé la production de substituts de viande selon la méthode Boyer. Mais il était difficle d’affirmer que la texture de ces produits se rapprochait de la viande comestible, et l’apparence et le goût en étaient encore bien loins...

Les prévisions pour 2029

En rentrant dans le XXIe siècle, les techniques de transformation et les avancées dans les additifs ont permis la création de substituts de viande de haute qualité à tout les niveaux, que ce soit la texture, l’aspect ou le goût. Leur popularité était enfin établie. En réalité, on pourrait dire que deux entreprises sont à l’origine de cet essor. Il s’agit de Beyond Meat, créée en 2009 et cotée au NASDAQ dix ans plus tard, ainsi que Impossible Foods, fondée en 2011, qui compte Google parmi ses investisseurs. Pour information, Bill Gates, fondateur de Microsoft, a beaucoup investi dans ces deux entreprises.

La plupart des experts s’accordent pour dire que 15 % des émissions totales de CO2 sur la planète proviennent de l’élevage du bétail, et que cette activité est responsable de la destruction des forêts, de l’émission de gaz à effet de serre et d’une grosse consommation des ressources d’eau. Ainsi, le soutien croissant envers les subsituts de viande s’explique en partie par le fait que leur production permettrait une réduction non négligeable des émissions de gazs nocifs pour l’environnement.

Selon la magazine américain Business Wire, la valeur du marché des substituts de viande aurait atteint 5,6 milliards de dollars (4,8 milliards d’euros) en 2020, pour grimper à 14,9 milliards (12,8 milliards d’euros) d’ici 2027. De plus, des données indiquent qu’en 2029, la consommation de substituts de viande représenterait 10 % de la consommation totale de viande. Ces prévisions influencent les investisseurs et les grands producteurs. Le marché grossit, avec de fortes poussées et l’entrée de nouvelles sociétés.

2020 : « l’An un » des substituts de viande au Japon

Malgré l’essor du développement des substituts de viande au Japon dans les années 1960, leur consommation ne s’est pas répandue. Mais les choses ont néanmoins commencé à changer l’année dernière. Entre 2019 et 2020, de nouveaux produits ont envahi le marché, à commencer par ceux des start-up, auxquelles se sont joints les gros groupes alimentaires et producteurs de viande. En parallèle, le ministère de l’Agriculture, des Forêts et de la Pêche a mis en place en avril 2020 un groupe de recherche sur la technologie alimentaire, suivi six mois plus tard d’un comité public-privé pour apporter son soutien au développement des substituts de viande.

C’est avec le slogan « On ne laissera pas tomber la planète ! » que la start-up Next Meats a été fondée en 2006. Makino Yûya, responsable des relations publiques pour la société raconte que 2020 a été le point de départ de l’essor des substituts de viande au Japon.

« En 2020, les substituts de viande qui étaient jusqu’alors discrètement exposés dans les rayons des produits à base de soja dans les supermarchés ont été déplacés dans les rayons viande. De grosses entreprises de transformation de viande et des chaînes de fast-food se sont lancées dans le marché les unes après les autres. L’évolution a été tellement fulgurante que parler de “l’An un des substitus de viande” n’est pas exagéré. Et cet élan ne s’est pas du tout ralenti l’année d’après. »

En effet, les ventes et la visibilité de Next Meats se sont envolés en 2021.

« Les données de notre boutique en ligne indiquent que les ventes en août 2021 étaient 4,5 fois supérieures à celles d’octobre 2020. L’année dernière, nous avons commencé à fournir le restaurant Yakiniku Like [une chaîne spécialisée en barbecue coréen] en substituts de viande, et cette année, nous avons signé un contrat pour fournir la chaîne nationale de supermarchés Itô Yôkadô. »

Itô Yôkadô tente de rendre les substituts de viande à base de soja plus visibles en agrandissant leur superficie de vente et les rapprochant des rayons de viande. Le service de relations publiques de Seven & I Holdings (la maison mère du supermarché) explique : « Nous avons pris conscience de l’évolution dans les besoins de notre clientèle, et avons donc commencé à placer la viande de soja dans nos rayons boucherie à partir de l’automne 2019. Nous avons ensuite élargi le réseau de vente à tous nos magasins au printemps 2020. Il existe quelques petites différences selon les établissements, mais nous proposons 15 produits différents, et les consommateurs ont une réaction favorable. Au printemps de cette année, nous nous sommes mis à diversifier davantage notre sélection, en proposant par exemple du substitut de viande hachée. »

Le rayon viande (du milieu vers la gauche) dans un supermarché Itô Yôkadô avec, à côté (droite), la viande de soja  (© Itô Yôkadô)
Le rayon viande dans un supermarché Itô Yôkadô avec, du côté droit, de la viande de soja (© Itô Yôkadô)

Que pense Next Meats de la réaction des consommateurs ? « Les commentaires sont en général positifs, mais il y a eu quand même certaines critiques », dit M. Makino.

« Pour le positif, nous avons reçu des remarques comme “j’aurais vraiment cru que c’était de la viande si on ne me l’avait pas dit”, “la texture est très sembable” ou encore « je n’ai pas de lourdeur d’estomac avec cette viande, elle est agréable à manger“. Côté négatif, « il y a encore des efforts à faire au niveau de la texture” ou “c’est cher et je ne peux pas me le permettre”. »

Et maintenant, goûtons pour comparer !

Qu’en est-il vraiment de la qualité des substituts de viande que l’on trouve sur le marché ? Nous avons choisi trois produits parmi ceux disponibles et les avons gouté tout en les comparant avec de la vraie viande.

Jambon pané à la viande de soja

(produit : Maru de oniku ! « Vraiment viande ! » ; marque : Itô Ham ; prix : 408 yens, soit 3,1 euros)

(Photo de l'auteur)
Photo de l’auteur

Itô Ham est un important fabriquant de jambon et saucisses. Toute la série Maru de oniku ! (Vraiment viande !) est évaluée comme étant de haute qualité en tant que substitut de viande, et le jambon pané à la viande de soja est une fidèle reproduction du vrai jambon pané. On le goûte.

Le substitut de viande est juteux, reproduit bien la consistance moelleuse, et n’est pas du tout inférieur au vrai jambon. La finition est telle que l’on ne saurait distinguer la fausse viande de la vraie si on ne nous le disait pas. Le prix est plutôt élevé, 400 yens (3,1 euros) pour trois tranches, mais cela reste abordable.

Hamburger au soja

(produit : Soy Mos Burger ; marque : fast-food MOS Burger ; prix : 390 yens, soit 2,9 euros)

(Photo de l'auteur)
Photo de l’auteur

Le « Soy Mos Burger » est un produit qui imite le classique Mos Burger de cette grande chaîne de fast-food. On le goûte.

La sensation en bouche et l’aspect sont comparables à l’hamburger classique. On ressent néanmoins un petit arrière-goût de soja, donc différent du produit original. Le prix est le même que pour l’hamburger classique, à 390 yen (2,9 euros). À recommander si l’on veut essayer un substitut de viande facile à trouver.

Fines tranches de viande de soja

(produit : NEXT Kalbi 1.1 ; marque : Next Meats ; prix : 429 yens, soit 3,2 euros)

(Photo de l'auteur)
Photo de l’auteur

Les produits de viande hachée, comme les hamburgers, sont nombreux parmi les substituts de viande, mais le NEXT Kalbi 1.1 de Next Meats se positionne face aux produits carnés tels que le kalbi (fines tranches de côtes de bœuf dans le style des barbecues coréens yakiniku). On le goûte.

On pourrait penser qu’il est assez ambitieux qu’un tel produit veuille se rapprocher d’une vraie tranche de côte de bœuf, mais contre toute attente, le goût est semblable au kalbi... et l’est encore davantage une fois trempé dans une sauce pour yakiniku. Le léger arrière-goût du soja est certes présent, mais sans celui de la graisse que l’on trouve dans la majorité des vraies viandes et qui peut dérouter certains.

Ces trois essais se sont avérés bien au delà de nos attentes de par la bonne qualité des produits.

Surpasser le goût de la vraie viande ?

Pour M. Makino, il faudrait rendre le goût des substituts de viande encore plus délicieux si l’on veut que le marché se développe plus rapidement au Japon et dans le monde.

« Notre plus grand défi est de se rapprocher du savoureux goût de la viande, et même de le dépasser, grâce à la combinaison de la mécatronique et la biotechnologie. »

Next Meats explique toutefois que ce projet rencontre de nombreux obstacles.

« Que le prix soit supérieur à celui de la viande et qu’on ne puisse pas s’en procurer facilement partout font partie de la problématique. Il est difficile d’en trouver en dehors de la région de Tokyo. Au niveau des prix, le coût de la production baissera suite à la construction de notre nouvelle usine. »

Next Meats tente également de faire comprendre davantage les relations de cause à effet entre l’élevage du bétail et les problèmes environnementaux.

« Encore très peu de personnes au Japon connaissent le lien entre l’élevage excessif du bétail et les changements climatiques. Nous partageons ces informations principalement par le biais des réseaux sociaux, mais nous pensons que ce n’est pas plus mal de commencer par donner envie aux gens de goûter aux substituts de viande avant de commencer à leur expliquer le lien avec la nature. »

D’autres produits autres que ceux de Next Meats sont présents sur le marché et d’un niveau tout à fait honorable en tant que substituts de viande. Si ceux-ci arrivent, à l’avenir, à se rapprocher davantage du goût de la viande tout en étant moins chers, nul doute que nous les verrons de plus en plus sur les tables des Japonais.

(Photo de titre : des produits à base de soja dans le rayon viande d’un supermarché de la chaîne. © Itô Yôkadô)

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