Histoire de l’environnement japonais à l’époque moderne

Comment sauver le lagopède du Japon de l’extinction : la réussite d’une mission environnementale

Environnement

Au Japon, la survie du raichô, le lagopède alpin, aussi appelé perdrix des neiges, est gravement menacée. Mais cet oiseau autrefois vénéré comme messager des divinités peut compter sur un projet ambitieux de conservation et d’élevage qui redonne un grand espoir.

Le raichô, appelé en français lagopède alpin (Lagopus muta japonica) ou perdrix des neiges, est un habitant bien-aimé et emblématique des Alpes japonaises, au centre de l’île principale du pays. La tradition l’associe aux divinités qui demeurent dans les montagnes. Cet oiseau très peu farouche a été bien protégé des prédateurs humains par des normes culturelles ainsi que par la loi, mais malgré cela, des circonstances environnementales, y compris le réchauffement climatique, ont décimé leur nombre depuis plusieurs décennies. Aujourd’hui, une initiative mise en place par des scientifiques et des zoos, sous le patronage du ministère de l’Environnement, affiche des progrès tangibles vers le rétablissement de cette espèce.

Un messager des divinités en danger d’extinction

Le lagopède alpin est très répandu à travers les zones arctiques et subarctiques de l’Eurasie et l’Amérique du nord, et les Alpes du Japon représentent son habitat le plus au sud de sa répartition mondiale. On ne le trouve qu’à haute altitude dans une région montagneuse à cheval sur les préfectures de Nagano, Toyama, Gifu et Niigata. Le raichô y a survécu grâce à son plumage coloré qui devient blanc comme de la neige en hiver (bien que les mâles gardent des sourcils rouges). Repéré, il se laisse bien approcher, n’ayant aucune peur des humains.

Un raichô male dans sa livrée hivernale bien distinctive (photo prise au mont Norikura).
Un raichô male dans sa livrée hivernale bien distinctive (photo prise au mont Norikura).

Certains disent que le manque de méfiance du raichô viendrait du fait qu’il est vénéré depuis la nuit des temps. Dans ce pays où le culte des montagnes a longtemps perduré, on révérait ces oiseaux en tant que manifestations ou messagers des divinités (kami) des montagnes. Durand l’époque d’Edo (1603-1868), des images du raichô (qui veut littéralement dire « oiseau du tonnerre ») étaient peintes sur des talismans ou des tablettes votives (ema) avec la conviction que cela protègerait de la foudre et des incendies.

Les premières mentions d’initiatives pour protéger et élever le raichô remontent à l’époque pré-moderne. Au début du XVIIIe siècle, le domaine de Kaga (correspondant aujourd’hui aux préfectures de Toyama et Ishikawa) a commandité un recensement de la population de lagopèdes sur les monts Haku et Tateyama, suivi d’une proclamation que ces oiseaux devaient être protégés. Le huitième shogun, Tokugawa Yoshimune (qui a gouverné de 1716 à 1751) a fait piéger un certain nombre d’oiseaux dans les monts Hida (les Alpes du nord) où leur population était censée être abondante, et s’est lancé dans un programme d’élevage. Mais cette tentative précoce a échoué, tout comme les tentatives suivantes, selon les témoignages de l’époque.

Shinraiki, un document datant de 1767, décrit les premiers efforts pour protéger et élever le raichô (avec l'aimable autorisation de la Bibliothèque nationale de la Diète).
Shinraiki, un document datant de 1767, décrit les premiers efforts pour protéger et élever le raichô (avec l’aimable autorisation de la Bibliothèque nationale de la Diète).

Avec la Restauration de Meiji, la vénération des montagnes s’est diluée avec la suppression des pratiques de shugendô (bouddhisme ascétique lié à la nature) et, pendant un temps, les raichô ont été chassés pour la consommation humaine. Cette chasse a toutefois été interdite en 1910, et l’oiseau s’est vu inscrire au patrimoine naturel du Japon en 1955. Depuis quelques années, certains prédateurs, tels le renard, la fouine, le corbeau et le faucon crécerelle qui, jusque là, habitaient des altitudes plus basses, sont remontés dans le territoire des raichô, et les chevreuils et sangliers saccagent la flore alpine dont ils se nourrissent.

Dans les années 2000, un recensement a confirmé que la population des raichô, qui avait été estimée à 3 000 dans les années 80, avait chuté à 2 000. Gravement menacé d’extinction, le raichô a finalement été inscrit en 2012 sur la liste rouge du ministère de l’Environnement. Depuis, des initiatives pour leur protection et l’augmentation des effectifs ont été développées et mises en place.

La protection des oisillons vulnérables

C’est le professeur émérite Nakamura Hiroshi, de l’université de Shinshû, qui s’est vu confier le projet de l’étude et la préservation des lagopèdes alpins, ayant passé plus de 20 ans à étudier l’espèce. Il est épaulé depuis 10 ans par le chercheur Kobayashi Atsushi, diplômé de l’université de Shinshû. Depuis avril 2020, Kobayashi travaille comme spécialiste de la préservation des espèces au ministère de l’Environnement.

« Avec le professeur Nakamura, nous avons réalisé une étude des taux de survie du raichô à des altitudes de plus de 3 000 mètres à chaque étape du développement, c’est à dire de l'œuf jusqu’à l’âge adulte, et comprendre à quelle étape il faudrait agir pour augmenter leur nombre. L’habitat du lagopède alpin au Japon étant le plus méridional au monde, cela nous intéressait aussi d’apprendre comment ils s’étaient adaptés à la vie dans les hautes montagnes de l’Archipel. C’est à partir de cette recherche que nous avons mis en place en 2015 les “cages protectrices” imaginées par le professeur Nakamura pour protéger les oisillons des intempéries et des prédateurs. »

Pour les raichô, il n’y a typiquement qu’un survivant sur une couvée de six à sept œufs. L’éclosion se faisant pendant la saison pluvieuse, il est difficile de protéger les oisillons des intempéries et du froid. Beaucoup meurent dans les semaines qui suivent l’éclosion. La clé était donc de trouver un moyen de les protéger pendant cette période critique.

Kobayashi explique : « Comme les lagopèdes alpins n’ont pas peur des humains, nous arrivons à les orienter vers les cages. Cela peut nous prendre deux ou trois jours de les déplacer du nid vers la cage, tout doucement. On leur met de quoi manger à l’intérieur. On dort dans une cabane à proximité. La nuit, on les enferme dans la cage, et dans la journée, on les laisse chercher la nourriture en liberté. Ces tâches débutent à partir des naissances en juin, et on les poursuit jusqu’à début août. »

Un lagopède femelle et sa couvée quittent la cage à la recherche de nourriture (août 2020, dans les Alpes centrales).
Un lagopède femelle et sa couvée quittent la cage à la recherche de nourriture (août 2020, dans les Alpes centrales).

Le retour du lagopède dans les Alpes centrales

On pensait que le lagopède avait complètement disparu des Alpes centrales vers la fin des années 60, mais un oiseau femelle a été découvert par un alpiniste en juillet 2018 sur le mont Kamagatake. Une analyse génétique a indiqué qu’il venait sans doute de la petite population stable sur le mont Norikura (qui chevauche les préfectures de Nagano et Gifu). Cette découverte a mené à la mise en place d’un programme pour son retour dans les Alpes centrales. L’objectif : arriver à 100 oiseaux d’ici 2025 . Des œufs fécondés ont été récoltés de femelles sur le mont Norikura en 2019, puis d’un programme d’élevage dans un zoo en 2020, et ont été échangés avec les œufs non-fécondés de la femelle à Kamagatake. Si les œufs ont pu éclore, tous les oisillons ont malheureusement été emportés par les intempéries et les prédateurs.

En août 2020, trois familles de raichô nichant au mont Norikura, pour un total de 19 oiseaux, ont été transférées vers les Alpes centrales. En juillet 2021, on a pu vérifier que dix des femelles, y compris la femelle qui avait été découverte à Kamagatake en 2018, avaient des couvées. Des cages de protection ont été mises en place pour cinq des couvées, mais deux ont été transférées au « Royaume des Animaux de Nasu » (préfecture de Tochigi) et au zoo de Chausuyama (préfecture de Nagano), laissant trois couvées sur place en liberté.

Kobayashi espère qu’il sera possible de leur rendre leur liberté après les avoir élevé en captivité.

Des œufs de raichô dans un nid (gauche) et les oisillons à trois jours (droite) témoignent du succès précoce de l’opération de renaissance dans les Alpes centrales. La mère est la femelle solitaire qui était arrivée dans la région en 2018.
Des œufs de raichô dans un nid (gauche) et les oisillons à trois jours (droite) témoignent du succès précoce de l’opération de renaissance dans les Alpes centrales. La mère est la femelle solitaire qui était arrivée dans la région en 2018.

Un lagopède femelle et sa nichée en liberté dans les Alpes centrales en juillet 2021.
Un lagopède femelle et sa nichée en liberté dans les Alpes centrales en juillet 2021.

Pour des espèces comme l’ibis du Japon et la cigogne, les programmes de sauvegarde ont été mis en place in extremis, juste avant leur disparition. De nos jours, les ibis élevés au Japon ont été offerts par la Chine, et les cigognes par la Russie.

Selon Kobayashi, « ça ne sert à rien de s’y mettre une fois que l’espèce a disparu. Il nous faut agir tant que nous avons toujours des lagopèdes à l’état sauvage, et c’est pour assurer le succès de cette opération que nous travaillons en tandem avec le ministère de l’Environnement, des chercheurs, et des zoos. Ce n’est pas la première fois que ce genre d’effort coopératif a été mis en place, mais c’est très rare d’être sur la voie de la réussite comme nous le sommes ».

Les zoos à l’aide

Le travail de préservation du lagopède alpin se fait sous l’impulsion du ministère de l’Environnement, et depuis 2015, ce sont plusieurs zoos associés, tous faisant partie de l’Association japonaise des zoos et aquariums, qui prennent en charge leurs soins en captivité. Le but de ce travail ex-situ est de préserver les espèces comme « assurance », et de recueillir des informations scientifiques par le biais de l’élevage. Les zoos se sont vus attribuer ce rôle de contribuer à la sauvegarde d’espèces menacées par la révision de 2018 de la Loi sur la préservation des espèces.

C’est le professeur adjoint Kusuda Satoshi, de l’université de Gifu, qui est le responsable principal de l’étude sur la physiologie de reproduction du lagopède alpin dans les zoos. Il effectue des recherches sur les hormones sexuelles ainsi que les conditions de température et de lumière nécessaires à la reproduction et l’élevage.

Le professeur adjoint Kusuda Satoshi est connu pour ses recherches sur la physiologie de reproduction des lagopèdes alpins.
Le professeur adjoint Kusuda Satoshi est connu pour ses recherches sur la physiologie de reproduction des lagopèdes alpins.

« Pour obtenir de bons résultats dans un travail ex-situ, il faut d’abord comprendre les conditions de vie à l’état sauvage. Normalement, l’analyse des hormones sexuelles se fait à partir du sang, mais quand j’ai compris qu’elle pouvait aussi se faire à partir des déjections, j’ai demandé au professeur Nakamura et à monsieur Kobayashi de me prendre des échantillons de déjections à l’extérieur, que j’ai analysées. La luminosité joue aussi un rôle dans la reproduction et les chaleurs des lagopèdes correspondent aux jours les plus longs. Le lagopède du Japon est particulièrement sensible à la quantité de lumière, ce qui rend nécessaire de reproduire les conditions de lumière naturelle aussi fidèlement que possible. Et il faut aussi contrôler la température ! »

Dans le passé, le centre de recherches sur la reproduction animale du professeur Kusuda s’est aussi impliqué dans d’autres projets d’élevage en zoo d’espèces menacées, principalement des mammifères rares tel que le chat sauvage de Tsushima, qui est inscrit sur la liste rouge du Japon comme en danger critique d’extinction. Deux chatons sont nés en avril 2021 au zoo de Higashiyama, à Nagoya. C’est la première fois que ce zoo a fait naitre et élevé des chatons de Tsushima.

« Je suis très heureux de ce succès à l’élevage. À l’état sauvage, les chats de Tsushima ne font souvent qu’une portée de un ou deux chatons par an, et l’élevage est assez compliqué. Quant aux lagopèdes, elles pondent six à sept œufs à la fois et si on arrive à les faire éclore et puis les protéger en cage, il devrait être possible d’augmenter les effectifs de façon efficace. »

Le charme de l’oiseau à l’état sauvage

Comme son travail de recherche a lieu principalement dans des laboratoires et des zoos, ce n’est qu’en juin 2013 que le professeur Kusuda a vu des lagopèdes dans la nature pour la première fois, lors d’une visite au mont Norikura avec le professeur Nakamura.

« Nosu étions justement arrivés à la période où les femelles couvaient les œufs dans leurs nids et nous avons pu observer les mâles protéger leur territoire sur les rochers. Ce n’est pas facile d’observer les femelles en train de couver, mais j’ai pu le faire grâce au professeur Nakamura. C’était vraiment touchant de les voir à l’état sauvage, dans cette nature magnifique. »

Depuis, Kusuda retourne à la rencontre des lagopèdes au mont Norikura une ou deux fois l’an, avec des étudiants. « Les voir évoluer dans la nature renforce la notion de devoir protéger ce précieux être vivant. Cela donne une dimension plus personnelle aux efforts de les préserver dans les zoos ».

De mi-mai à octobre, on peut prendre un bus qui remonte le mont Norikura jusqu’au terminus, non loin du sommet à 3 026 mètres. « Entre mai et juin, on peut observer les mâles établir et défendre leur territoire. À partir de juillet, après l’éclosion des œufs, on peut voir les femelles avec leurs oisillons. J’aimerais vraiment que beaucoup de gens puissent les contempler dans leur habitat naturel. »

Kusuda est aussi très impliqué dans la promotion d’une meilleure prise de conscience envers les espèces menacées, et il est désolé du manque de sensibilisation envers le raichô dans la préfecture de Gifu, où se trouvent les monts Norikura et Ontake, l’habitat principal de cet oiseau, et alors même que Gifu a fait du raichô l’oiseau emblème de la préfecture. Actuellement, sept zoos dans tout le pays participent au programme de préservation, mais Gifu n’en a aucun dans sa région, contrairement aux préfectures de Toyama et Nagano.

C’est pour cette raison que Kusuda a organisé en 2020 la 19e conférence sur le raichô à l’Université de Gifu, avec la présence du professeur Nakamura, ainsi que du ministère de l’Environnement, des zoos, et des chercheurs universitaires. Les discussions sur les approches de chacun ont été très médiatisées, le but étant de faire circuler les informations parmi le public.

Grâce à l’enthousiasme de tous ceux qui se sont impliqués dans le projet, la survie du lagopède du Japon est en bonne voie. L’oiseau des dieux, devenu un symbole de la richesse de la nature, sera peut-être bientôt hors de danger.

Un lagopède mâle (au mont Norikura)
Un lagopède mâle (au mont Norikura)

(Reportage et texte d’Itakura Kimie, de Nippon.com. Photo de titre : un lagopède alpin mâle surveille son territoire sur le mont Norikura durant la saison des reproductions en 2017. Toutes les photos sont avec l’aimable autorisation de Kobayashi Atsushi, sauf mentions contraires.)

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