Ôsaka Tamaki : la mère de la star de tennis Ôsaka Naomi parle de sa vie et de la détermination de sa fille

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Ôsaka Naomi, célébrité mondiale du tennis, est une femme forte à la fois sur le terrain et en dehors, faisant parler d’elle aussi bien pour ses quatre titres de Grand Chelem et pour son salaire record que pour ses déclarations poignantes sur les inégalités raciales et sur les questions de santé mentale. À ses côtés dans toutes ses épreuves, se trouve sa mère, Ôsaka Tamaki, avec qui nous avons pu nous entretenir à l’occasion de la sortie de son autobiographie.

Ôsaka Tamaki ŌSAKA Tamaki

Née à Nemuro, dans la préfecture de Hokkaidô. Elle a obtenu un diplôme d’associé en anglais au collège pré-universitaire Hokusei Gakuen avant de commencer à travailler pour une compagnie financière à Sapporo. À l’âge de 24 ans, elle épouse Leonard Francois, d’origine haïtiano-américaine. Elle a habité pendant cinq ans à Osaka, où elle a donné naissance à ses filles Mari et Naomi. La famille emménage ensuite aux États-Unis, afin de permettre aux enfants de s’entraîner dans les meilleures conditions possibles dans l’objectif de devenir joueuses de tennis professionnelles. Elle a d’abord vécu à New York, puis à Miami où elle a travaillé pour une compagnie japonaise tout en soutenant ses filles dans leur développement. Elle habite actuellement en Floride.

Évoluer ensemble

La superstar du tennis japonais Ôsaka Naomi a récemment pris une importante décision pour sa carrière en décidant de quitter l’agence de talent IMG pour lancer sa propre entreprise, Evolve, avec son agent Stuart Duguid. Les experts ont beaucoup spéculé sur ses motivations potentielles, mais sa mère Tamaki a son propre avis sur la question. « En faisant partie d’une grosse agence, elle se limitait », déclare-t-elle. « Aujourd’hui, elle est son propre patron, elle peut donc faire ce qu’elle veut. » Elle ajoute en riant : « Naomi aime être aux commandes de sa vie. Elle tient ça de moi ! »

Le livre d'Ôsaka Tamaki, intitulé « L’autre bout du tunnel » (Tunnel no mukô e)
Le livre d’Ôsaka Tamaki, intitulé « L’autre bout du tunnel » (Tunnel no mukô e)

Arrivée à un tournant de sa vie, Tamaki a récemment écrit son autobiographie, Tunnel no mukô (« L’autre bout du tunnel »), qui touche des aspects déterminants de sa vie tels que son enfance à Hokkaidô, son mariage avec Leonard Francois, Américain d’origine haïtienne, ainsi que la manière dont elle a élevé ses deux filles dans le but de devenir des joueuses de tennis professionnelles. Son livre raconte l’histoire courageuse et inspirante d’une femme japonaise bien décidée à vivre sa vie comme elle l’entend. Je me suis récemment entretenue avec Tamaki dans sa maison en Floride afin de discuter de son ouvrage, de sa famille, ainsi que de ses futurs projets.

YAMAGUCHI NAOMI  Vous avez un agenda bien rempli. Comment avez-vous rassemblé l’énergie nécessaire à l’écriture d’une biographie aussi révélatrice ?

ÔSAKA TAMAKI  La première chose que j’ai faite, c’était tout simplement de regarder toutes mes anciennes photos et vidéos. Elles m’ont ramenées à différentes étapes de ma vie, et ainsi, quand j’ai commencé à écrire, les mots sont sortis tout seuls. Il y avait de nombreux évènements à couvrir, mais j’ai senti qu’il m’était nécessaire de tout raconter.

Ôsaka Tamaki (à droite) avec son mari Leonard Francois et sa fille de quatre ans, Mari, devant leur petite boutique de vêtements importés, dans la ville d'Osaka.
Ôsaka Tamaki (à droite) avec son mari Leonard Francois et sa fille de quatre ans, Mari, devant leur petite boutique de vêtements importés, dans la ville d’Osaka.

Fascination pour Serena et Venus

Y.N.  Il est bien connu que votre époux Leonard n’était encore qu’un novice en tennis quand il a commencé à coacher Mari et Naomi dès leur plus jeune âge. Il avait été inspiré par l’histoire de Richard Williams, qui lui non plus n’avait pas de grandes connaissances dans ce sport quand il a fait ses débuts en tant qu’entraîneur pour ses filles Serena et Venus. Cependant, j’ai été surpris par une des révélations de votre livre. Vous dites en effet que votre mari a commencé l’entraînement de votre fille aînée Mari alors qu’elle n’était encore qu’un nourrisson.

Ô.T.  C’est vrai qu’il l’a notamment aidée à développer son équilibre et la force de son tronc, mais il s’agissait alors seulement de jeux, et non pas d’un quelconque entraînement. Il a toujours été beaucoup plus intéressé par le sport que moi. À l’époque, il faisait souvent du foot, du basket, du vélo et de la course. Il rêvait déjà très certainement de faire de nos enfants des athlètes. Mais lorsque les soeurs Williams sont montées sur le devant de la scène, cette vague idée s’est transformée en objectif concret.

Y.N  Mari avait 3 ans et Naomi approchait de sa deuxième année lorsque Serena Williams a remporté son premier US Open à l’âge de 17 ans. Après avoir vu Venus gagner le titre l’année suivante, vous et votre mari avez décidé d’élever vos filles dans l’objectif de devenir joueuses de tennis professionnelles. Qu’est-ce qui vous a inspiré chez les sœurs Williams et dans ce sport ?

Ô.T.  Nous étions fascinés par Serena et Venus. Deux sœurs adolescentes noires, dans un sport alors dominé par des athlètes blanches, voyageaient autour du monde, rencontrant toutes sortes de gens, faisant l’expérience de nouvelles cultures. C’était une vie dont la plupart des filles de leur âge ne pouvaient que rêver. J’ai honnêtement eu l’impression que joueur professionnel de tennis était un métier idéal.

Naomi, âgée de seulement trois ans, s’entraîne avec son père Leonard dans un terrain public de tennis à New York, suite au déménagement de la famille dans cette ville.
Naomi, âgée de seulement trois ans, s’entraîne avec son père Leonard dans un terrain public de tennis à New York, suite au déménagement de la famille dans cette ville.

Ce style de vie, fait de voyages et de rencontres autour du monde, était une motivation encore plus forte pour nous que l’argent, même si cela a aussi joué dans notre décision, puisque nous avions alors beaucoup de mal à joindre les deux bouts. À l’époque, j’aidais mon époux avec sa boutique de vêtements importés tout en travaillant à temps partiel au centre d’appel d’une société de vente par correspondance. On ne parvenait à dormir que trois heures par nuit. Mais le fait de regarder les prouesses des sœurs Williams nous permettait d’oublier tous nos soucis en rêvant d’un meilleur futur pour nos petites filles. Nos espoirs étaient particulièrement élevés pour Mari, qui était déjà très athlétique pour son âge.

Les deux sœurs Mari (à gauche) et Naomi exhibent fièrement leurs trophées de première place d’un tournoi régional junior de tennis.
Les deux sœurs Mari (à gauche) et Naomi exhibent fièrement leurs trophées de première place d’un tournoi régional junior de tennis.

Timide mais déterminée

Y.N.  Naomi se présente souvent comme une personne timide et introvertie, mais elle a su toutefois utiliser son statut de superstar pour attirer l’attention du public sur les problèmes sociaux. En 2020, elle a fait passer un message fort sur les injustices raciales en affichant son soutien au mouvement Black Lives Matter, et en 2021, elle ne s’est pas présentée à certaines conférences de presse afin de mettre en lumière les problèmes de santé mentale des athlètes. Quelle est votre opinion en tant que mère ?

Ô.T.  Elle est en effet d’une nature très timide. Sans plaisanter, elle avait tendance à passer tout son temps libre à la maison, jouant aux jeux vidéo ou discutant avec sa sœur. Son succès lui a toutefois permis de rencontrer diverses personnes, dont notamment son petit ami ainsi que des personnalités du monde sportif ou d’autres domaines, ce qui l’a progressivement fait sortir de sa coquille.

Elle reste farouchement indépendante. L’idée de porter des masques portant les noms de victimes de crimes racistes ou de violence policière lors de l’US Open venait entièrement d’elle. Plusieurs personnes autour d’elle avaient exprimé leurs craintes de potentielles répercussions, mais loin de la dissuader, cela a encore plus renforcé sa détermination à le faire. Sur ce point, elle est comme moi. Lui dire de ne pas faire quelque chose ne fait que la motiver davantage.

Ôsaka Naomi porte un masque à la mémoire de Ahmaud Arbery, un homme noir assassiné dans le cadre d’un crime de haine, afin de protester contre les injustices raciales suite à sa victoire au troisième tour de l’US Open, le 4 septembre 2020 (AFP/Jiji).
Ôsaka Naomi porte un masque à la mémoire de Ahmaud Arbery, un homme noir assassiné dans le cadre d’un crime de haine, afin de protester contre les injustices raciales suite à sa victoire au troisième tour de l’US Open, le 4 septembre 2020 (AFP/Jiji).

« Il n’y a pas qu’un seul chemin vers le succès »

Y.N.  Que faites-vous maintenant que Naomi a gravi tous les échelons du tennis et que Mari s’est éloignée de ce sport ? J’ai entendu dire que vous étiez en train de construire un jardin d’enfants et une école à Haïti.

Ô.T.  Oui, nous investissons beaucoup de temps et d’énergie dans ce projet. Nous sommes en fait en train de bâtir sur un jardin d’enfants établi par un groupe de bénévoles que nous avions monté quand nous habitions à Osaka. Il s’est désormais développé en académie de tennis, avec des terrains, le jardin d’enfants et l’école, ainsi qu’un grand dortoir. Nous avons plus de 200 élèves entourés par une équipe dédiée d’enseignants, d’entraîneurs, et bien évidemment de gardiens et d’agents d’entretien. C’est désormais une véritable petite communauté. Notre rêve est d’y entraîner les joueurs professionnels de tennis de demain.

En ce moment, un des garçons de notre académie étudie dans un lycée d’Osaka. Nous espérons continuer ainsi et offrir à plus d’étudiants la possibilité d’étudier et de s’entraîner dans d’autres pays. Cependant, il est assez complexe, que ce soit d’un point de vue financier ou logistique, d’envoyer des jeunes haïtiens vivre à l’étranger. Nous nous confrontons actuellement à la question du financement de ces programmes d’échange et nous débattons de la meilleure manière de soutenir nos étudiants quand ils sont à l’étranger. Il y a de nombreux obstacles à surmonter, mais nous sommes déterminés à faire des rêves de nos étudiants une réalité.

Y.N  Naomi est une modèle pour les enfants de Haïti, du Japon et d’ailleurs. Son histoire montre aussi aux parents que des éléments tels que la nationalité ou le contexte familial ne sont pas des barrières à l’éducation dès le plus jeune âge dans le but d’être athlète professionnel. Que dites-vous aux mères et aux pères qui portent en eux de tels espoirs pour leurs enfants ?

Ô.T.  Je leur dirai de se montrer flexible dans leurs efforts pour atteindre cet objectif. Il n’y a pas qu’un seul chemin vers le succès. Nos décisions reflétaient souvent notre situation financière difficile. Mais quelqu’un ayant un peu plus d’argent et de relations aura sans doute d’autres options à sa disposition. Le plus important, c’est de vous investir à 120 %, quelle que soit l’approche que vous choisissiez. Les choses ne fonctionneront pas toujours comme prévu, mais si vous êtes entièrement dédiés à la tâche, vous pourrez faire face aux inévitables problèmes qui surviendront, et vous aurez de biens meilleures chances d’atteindre votre but.

Il faut quand même toujours prendre du recul. Décider d’élever votre enfant dans le but d’être tennisman professionnel ne vous donne pas pour autant le droit de mettre toutes vos attentes sur le dos de votre garçon ou de votre fille. J’ai vu de nombreux parents trop compétitifs réprimander leurs enfants pour avoir perdu un match, et même balancer leur sac de tennis à travers le terrain dans un mouvement de rage incontrôlé. Vous risquez d’étouffer votre enfant en vous concentrant uniquement sur la victoire. Plutôt que de tout de suite viser la gloire, il est préférable pour les jeunes athlètes de rester humbles et déterminés.

Tamaki (à gauche) et son mari Leonard posent avec leur fille Naomi en septembre 2019 après sa victoire au Toray Pan Pacific Open qui s’est tenu à Osaka.
Tamaki (à gauche) et son mari Leonard posent avec leur fille Naomi en septembre 2019 après sa victoire au Toray Pan Pacific Open qui s’est tenu à Osaka.

(Photo de titre : Ôsaka Tamaki posant avec ses deux filles Naomi [droite] et Mari. Toutes les photos sont d’Ôsaka Tamaki, sauf mentions contraires)

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