La culture pop nippone se mondialise

« Mayonaka no Door » de Matsubara Miki : l’histoire derrière la chanson aux 100 millions de vues sur YouTube

Culture Musique

La « City pop » est un genre musical japonais qui connaît un regain de popularité à l’international ces dernières années. Le morceau du moment est le tube aux accents disco de 1979 Mayonaka no Door/Stay with Me de Matsubara Miki. La chanson a dominé la liste Global Viral 50 de Spotify pendant 18 jours consécutifs et s’est hissé dans le top 10 J-pop d’Apple Music dans 92 pays différents. Sur YouTube, le titre a accumulé plus de 100 millions de vues. Le compositeur de ce succès planétaire Hayashi Tetsuji nous partage ses pensées sur la renaissance impressionnante de cette chanson.

Hayashi Tetsuji HAYASHI Tetsuji

Après ses débuts en tant qu’auteur-compositeur-interprète en 1973, Hayashi Tetsuji se tourne vers l’écriture pour d’autres artistes. Il a composé plus de 1 500 morceaux pour de nombreux artistes, dont plusieurs chansons à succès de style city pop, tels que September de Takeuchi Mariya (1979), Mayonaka no Door/Stay with Me (1979) de Matsubara Miki’s et Kanashimi ga tomaranai (I Can’t Stop the Loneliness, 1983) de Anri.

Une demande de composition audacieuse

Imaginez la scène : nous sommes en 1979 et le compositeur prometteur Hayashi Tetsuji reçoit une nouvelle demande de Kaneko Haruhiko, le directeur de Pony Canyon, une des plus grandes maisons de disques japonaises. « Il voulait une chanson pour cette nouvelle chanteuse, se remémore Hayashi. Mais la musique devait complètement être dans un style pop occidentale. À l’époque, même lorsqu’un compositeur recevait une commande pour une chanson « à l’occidentale », la norme était d’inclure des éléments de pop japonaise kayôkyoku juste pour s’assurer qu’elle se vendrait bien sur le marché japonais. Mais pour ce morceau, Kaneko m’avait dit que je pouvais complètement oublier cela, et je me souviens me dire que c’était une décision bien audacieuse. »

C’est ainsi que le 5 novembre de la même année est sorti le premier single de Matsubara Miki, Mayonaka no Door/Stay with Me. Kaneko a fait appel à Hayashi car il était connu pour composer des chansons et des arrangements solides avant même que les paroles soient écrites. Mais même ainsi, le compositeur se souvient que c’était la première fois qu’il devait créer une mélodie qui aille spécifiquement à des mots anglais :

« Nous n’avions pas de paroles préparées à l’avance, et je n’avais pas rencontré Miki non plus. J’avais entendu qu’elle avait de l’expérience dans le chant jazz, mais à ce stade, je pense que je n’avais même pas vu une photo d’elle. J’avais l’habitude de trouver des mélodies après avoir au moins regardé la photo de l’artiste et l’avoir entendu chanter. Mais pour ce projet, mon plus grand souvenir est de n’avoir reçu aucune indication mis à part de “faire quelque chose dans un style occidental”. Je suppose que l’idée de Kaneko était de me fournir le moins d’informations possible en amont afin de me donner une liberté absolue pour proposer quelque chose d’intéressant. »

Mayonaka no Door est l’une des trois compositions de Hayashi figurant sur Pocket Park, le premier album de Matsubara sorti en 1980. Le titre a été choisi parmi plusieurs autres pour devenir le single phare de l’album. « Conformément aux instructions, j’ai composé une mélodie adaptée aux paroles en anglais et j’ai soumis la partition à Kaneko avec une maquette enregistrée sur cassette. À l’époque, j’avais l’habitude de laisser jouer une boîte à rythmes et de chanter dessus en m’accompagnant à la guitare. J’enregistrais tout sur une radio-cassette. J’ai joué une guitare semi-acoustique sans utiliser d’ampli, et la résonance naturelle du corps de la guitare a donné un ton sec et claquant qui a très bien complémenté l’ambiance générale de la chanson. »

À sa sortie, le single est devenu un grand succès, se vendant à plus de 100 000 exemplaires selon les chiffres d’Oricon, qui compile les statistiques de ventes de l’industrie musicale japonaise. Mais Hayashi s’était-il rendu compte à l’époque qu’il avait composé quelque chose de vraiment spécial ? « J’ai l’impression que Mayonaka no Door est né de la convergence entre le hasard et la nécessité, répond-il. J’avais toujours l’habitude d’écrire mes morceaux avec une sensibilité pop occidentale, mais quand je devais écrire les partitions à rendre, je me retrouvais souvent à faire des ajustements : peaufiner une ligne mélodique pour mieux l’adapter à la voix d’un chanteur japonais, ou alors peut-être laisser quelques éléments tels quels si cela donnait une sensation unique. Mais avec Mayonaka, je n’ai rien modifié, car la mélodie était déjà conçue pour être chantée en l’anglais. Je pensais que c’était une bonne chanson, mais je ne me souviens pas m’être senti plus confiant que d’habitude. »

À la poursuite du groove ultime

Pour les standards japonais en termes de structure musicale, la chanson est relativement simple : deux couplets d’introduction suivis d’un refrain, d’un intermède instrumental et d’une répétition du refrain. Le fait d’éviter un quatrième couplet ou une dernière répétition du refrain, des structures typiques de nombreux titres de kayôkyoku, accentue la sensation de pop occidentale. Par ailleurs, la combinaison d’une structure plus universelle avec une mélodie adaptée aux paroles en anglais est ce qui a permis à la chanson de jouir aujourd’hui d’une reconnaissance mondiale. La maquette a rapidement été approuvée sans ajustements par Kaneko. Pour Hayashi, la tâche suivante était d’arranger et d’enregistrer une piste d’accompagnement pour la chanson, alors qu’elle n’avait toujours pas de paroles. Pour cette tâche, un groupe talentueux de jeunes musiciens de session a rejoint le compositeur, qui continueront par la suite à jouer sur de nombreux succès de city pop. Comme l’explique Hayashi, cette équipe, comprenant le batteur Hayashi Tatsuo, le bassiste Gotô Tsugutoshi et le guitariste Matsubara Masaki, a joué un rôle crucial dans le résultat final de la chanson :

« Contrairement à la musique classique, on n’écrit pas tout sur la partition pour de la pop. Elle peut simplement donner des instructions concernant les noms d’accords ou le “break” (interlude musical). La manière d’interpréter ces indications dépend de chaque musicien et de sa manière de jouer. Vous savez généralement avec quels musiciens en particulier vous voulez travailler sur une chanson que vous avez composée, et cette fois aussi, c’était que des gars avec qui je travaillais souvent. Comme d’habitude, je leur ai donné la partition et ils l’ont parcourue deux ou trois fois, en essayant différents sons. Après quelques suggestions supplémentaires de ma part, nous étions prêts à enregistrer. Il n’a fallu que deux ou trois essais pour obtenir la prise parfaite, et puis c’était fini. »

« Cependant, poursuit-il, à cette époque, on comptait sur les musiciens pour élaborer eux-mêmes de manière précise et détaillée la palette tonale et le phrasé nécessaires pour une chanson. Aujourd’hui, vous pouvez vous asseoir tout seul devant un ordinateur et peaufiner tous les aspects de la musique, mais à l’époque, chaque morceau était un cocktail d’idées apportées par différentes personnes. C’est moi qui ai eu l’idée d’un solo de sax pour l’interlude et d’un solo de guitare pour l’outro, et parce que les fade-out (baisse progressive du volume à la fin) étaient rares dans le kayôkyoku, je suppose que c’était un autre élément qui a donné une touche occidentale au morceau. C’est drôle de voir maintenant comment toutes les reprises récentes copient précisément le phrasé de guitare de Masaki et la voix de Miki sur l’outro, parce que les deux ont improvisé ces passages pendant l’enregistrement, donc ils auraient pu être changés. C’est une chose qui m’a vraiment marqué. »

Une autre raison possible pour laquelle Mayonaka no Door a autant résonné auprès des auditeurs à l’étranger est le tempo du morceau : à environ 108 battements par minute, il est similaire à de nombreuses chansons pop américaines à succès de la même période. Mais Hayashi insiste sur le fait que ce facteur n’a été pris en compte lors de l’enregistrement : « Plus que le tempo, j’étais concentré sur la création d’un bon groove à 16 temps. Je voulais voir si nous étions capables de saisir l’ambiance cool de la soul américaine et du style AOR (adult-oriented rock). Cette volonté de créer quelque chose de distinct du kayôkyoku a également résonné chez les jeunes musiciens avec lesquels je travaillais à l’époque. Quelques mois plus tôt, j’avais composé September pour Takeuchi Mariya, et des artistes comme Yûmin et Anri étaient déjà connus dans la scène musicale japonaise. C’est dans ce contexte qu’est né Mayonaka no Door. »

Après avoir enchaîné deux succès consécutifs avec September (qui s’est également vendu à plus de 100 000 exemplaires) et Mayonaka no Door, Hayashi s’est rapidement retrouvé catapulté sous les feux des projecteurs comme l’un des auteurs-compositeurs les plus en vogue.

La voix, catalyseur du succès

Il est intéressant de noter que Hayashi n’a pas pu être présent en personne à l’enregistrement de Matsubara Miki. Qu’a-t-il pensé la première fois qu’il a entendu le morceau fini ? « À l’époque, Miki n’avait encore que 19 ans, donc j’ai été surpris par la maturité de sa voix. Tout semblait s’être très bien déroulé, même si j’avais l’impression qu’elle avait un peu de mal avec le dernier “to youuuuuuu” dans l’intro. Mais peu importe que son anglais sonne un peu japonais, le refrain d’intro n’est qu’une partie du son et de l’arrangement globaux. »

Comme l’explique Hayashi, September de Takeuchi Mariya et Mayonaka no Door ont été composés en utilisant des approches différentes, mais pour les deux morceaux, c’est la voix qui a servi de catalyseur à leurs énormes succès. « Il y a une comparaison que je fais souvent avec September : la mélodie était tellement kayô-pop que j’ai hésité à la soumettre. Mais grâce à la voix de Mariya, la chanson a pris un air de pop américaine. En revanche, Mayonaka a été composé dès le départ en ayant à l’esprit une mélodie de style occidental. Mais la voix sensuelle de Miki lui a donné une ambiance jazzy et sophistiquée et a conféré un côté kayô-pop à la chanson. Cela dit, le succès ou non d’un morceau ne dépend pas uniquement de la force de la chanson elle-même. Il faut compter sur les contributions de beaucoup de gens pour faire un hit et chaque morceau a son destin qui lui est propre. »

Que pense Hayashi du récent succès mondial de Mayonaka no Door ? « Je ne sais pas vraiment quoi penser de tout cela, avoue-t-il. Le fait qu’elle ait atteint 100 millions d’écoutes est probablement dû au fait que nous vivons à une époque où, lorsqu’une chanson fait le buzz, n’importe qui peut facilement l’écouter sur Internet. Je suis heureux que les gens l’apprécient de cette manière, mais bien sûr, cela ne signifie pas nécessairement qu’ils décideront de l’acheter. Cette différence est très importante. Donc, dans ce sens, j’essaie de rester serein concernant cette renaissance. »

Les souvenirs de Matsubara Miki

Matsubara Miki est décédée en 2004 d’un cancer du col de l’utérus à 44 ans. Mayonaka no Door continue d’être son plus grand succès et le meilleur exemple de ses talents vocaux.

Cependant, Hayashi éprouve aujourd’hui encore des regrets quant à tout ce qu’ils auraient pu accomplir de plus ensemble. « Nous avons continué à poursuivre le succès en travaillant sur de nombreuses chansons ensemble. Je pense que Mayonaka est probablement notre collaboration la plus aboutie. Mais si vous me demandiez quelle est ma chanson préférée, il y en a un certain nombre d’autres que j’aime vraiment. J’adore créer des mélodies poignantes pour le dernier couplet et refrain, ce qui a très bien fonctionné avec la voix suave de Miki. Mais bien sûr, en tant que compositeur, vous ne pouvez pas choisir lequel de vos morceaux finira par devenir un standard. »

« À cette époque, je pense que j’ai écrit des morceaux qui auraient pu révéler encore plus son talent. Mais elle s’inquiétait et prenait trop sur elle-même pendant les enregistrements, au point où je l’ai vue pleurer plusieurs fois. J’aurais tellement aimé laisser tomber toute cette tension et simplement passer un bon moment à créer ensemble. »

(Voir également notre article : Et le monde redécouvrit la City Pop japonaise)

(Photo de titre : pochette du disque vinyl 7 pouces de Mayonaka no Door/Stay with Me, le hit de 1979 chanté par Matsubara Miki. © Pony Canyon. Photos de Hayashi Tetsuji © Takayama Hirokazu, dans les bureaux de Nippon.com)

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