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Une vie d’audace au Japon : procurer de la joie avec la cuisine chilienne d’Eduardo

Gastronomie

Si le restaurant chilien Casa de Eduardo, dans le quartier tokyoïte de Shin-Nakano, vaut son pesant de yens pour sa délicieuse cuisine sud-américaine, il permet aussi de faire une précieuse rencontre avec le propriétaire et cuisinier Eduardo Ferrada. Cet homme polyvalent doit avant tout sa réussite à son audace et à sa persévérance. Il nous raconte.

L’unique restaurant chilien de Tokyo

À la sortie numéro 4 de la station de Shin-Nakano du métro de Tokyo, on se trouve face à une allée de petits commerces bordée de lanternes rouges. Et parmi ces établissements se trouve l’unique restaurant chilien de la capitale, Casa de Eduardo (« la maison d’Eduardo » en espagnol).

Le lieu est connu pour ses empanada, des feuilletés fourrés de toutes sortes d’aliments, et son asado, qui désigne le barbecue en Amérique latine. Dans cette région en principe, ce sont les hommes qui cuisent la viande tandis que les femmes préparent les boissons et les garnitures.

« Quand j’étais gosse, c’était à moi d’allumer le feu et de veiller dessus » explique Eduardo, tout en mettant le barbecue en route d’une main d’expert. Sur le grill ce jour là, du bœuf en provenance d’Uruguay, bien saupoudré d’origan parfumé. Le mélange d’un assaisonnement parfait et de l’origan ne peut qu’ouvrir l’appétit, et la viande est avalée en temps record…

L’autre spécialité du restaurant, ce sont les empanada, des sortes de chaussons à la sud-américaine, remplis de viande hachée, d’olives et d’œufs durs. En mordant dans l’enveloppe croustillante, le jus de la viande dégouline, et de nombreux clients viennent au restaurant juste pour les déguster.

La cuisine chilienne familiale est pratiquement inconnue au Japon et Casa de Eduardo a une clientèle très variée. Dans cette ambiance sympathique, on entend toutes sortes de langue, à commencer par le japonais, l’espagnol et l’anglais.

« Ici, c’est ma maison avant d’être mon restaurant. Et les clients, ce sont comme des amis qui viennent me rendre visite », raconte Eduardo. L’année 2023 marque ses 40 ans au Japon.

Un empanada, produit phare du restaurant. Le mélange du goût acidulé du condiment chilien pebre (à base de coriandre, d’oignon, d’ail et de piments doux) et de la viande juteuse est un vrai délice. (© Kumazaki Takashi)
Un empanada, produit phare du restaurant. Le mélange du goût acidulé du condiment chilien pebre (à base de coriandre, d’oignon, d’ail et de piments doux) et de la viande juteuse est un vrai délice. (© Kumazaki Takashi)

Pas question de rentrer chez soi après avoir été viré !

« Je suis arrivé au Japon après avoir vu par hasard une annonce dans un journal sur des offres de travail ici » explique le patron. « Je n’avais que 23 ans à l’époque et le sens de l’aventure. J’ai donc répondu à l’annonce et passé l’examen. Nous étions nombreux à postuler mais j’ai été retenu, et trois semaines plus tard, je me suis lancé dans ma nouvelle vie loin de chez moi. »

Eduardo a commencé par travailler comme traducteur dans les télécommunications. Il connaissait l’espagnol et avait de bonnes bases en anglais. « Mais ce métier est plutôt compliqué, et parler une langue n’est pas forcément suffisant. Je faisais beaucoup d’erreurs… Et comme les clients étaient de grosses entreprises, on me faisait payer de grosses amendes, même pour de toutes petites fautes. Trois mois après mon arrivée, mon employeur m’a dit qu’il ne pouvait pas me garder et qu’il faudrait que je rentre au Chili. »

S’il rentrait chez lui, il retrouverait sa petite amie et son ancien travail. Mais il a fait le choix de rester au Japon, pensant que ce serait du gâchis de repartir si tôt après avoir décroché l’opportunité d’y venir. Et puis, il y avait une question d’amour propre : pas question de rentrer chez lui après avoir été viré !

Eduardo a donc décidé de continuer sa vie sur l’Archipel. Après des petits boulots de mannequin, il a déniché un emploi à la JICA, l’Agence de coopération internationale japonaise et a déménagé dans la préfecture de Nagano. Il y enseignait l’espagnol aux groupes de bénévoles qui se préparaient à partir à l’étranger, tout en continuant malgré tout d’effectuer des tâches de traduction en free-lance pour arrondir ses fins de mois. Souvent privé de sommeil, il sentait que le surmenage était proche : il était temps de quitter la JICA. De retour à Tokyo, il a monté sa propre boîte de traduction, qui a été une vraie réussite. L’entreprise qui l’avait licencié lui a même demandé de revenir…

Ainsi, venu au Japon sur un coup de tête, Eduardo a su faire preuve d’une grande persévérance pour trouver sa voie malgré tous les déboires qu’il avait rencontrés.

Eduardo prépare l'asado sur le barbecue devant son restaurant.
Eduardo prépare l’asado sur le barbecue devant son restaurant.

Du futsal à Tokyo pour améliorer l’image des gens d’Amérique latine

D’une énergie inépuisable, Eduardo s’est consacré à d’autres activités tout en gérant sa société de traduction.

Il a par exemple mis en place la Copa Chile (coupe du Chili), un tournoi de futsal, en 1992, l’année précédant la création de J-League, la ligue de football japonaise.

Eduardo explique : « C’était en pleine période de la bulle économique au Japon et le personnel manquait. Les Japonais ont donc fait venir des travailleurs d’origine japonaise d’Amérique centrale et latine. Mais on les considérait comme des voyous car beaucoup ne respectaient pas les règles. J’ai voulu changer leur image, moi-même originaire de cette région. J’ai décidé de profiter de leur talent au ballon et mis en place le tournoi. »

Une fois qu’Eduardo a une idée en tête, il s’accroche. Il a fait jouer ses influences afin d’utiliser un terrain de foot appartenant à l’une des universités de Tokyo. Il a calé les dates et s’est mis à la recherche d’équipes. À sa grande surprise, il s’est retrouvé avec 32 équipes représentant 17 pays, rien que ça ! À part le Japon, il y avait des équipes sud-américaines venant du Brésil, d’Argentine, du Pérou, et de la Colombie, ainsi que des équipes européennes venant d’Angleterre, d’Irlande et d’Italie entre autres.

Le tournoi s’est déroulé sur un week-end, avec des invités d’honneur. La rivalité entre les équipes et les pays pour devenir champions était intense et Eduardo a loué un théâtre à Shibuya pour la remise des prix. Le tournoi a été un franc succès, mais Eduardo en avait mal calculé un aspect.

« S’il est vrai que j’avais réalisé mon projet, je m’étais retrouvé avec un déficit de 500 000 yens... Oui j’étais contrarié, mais tout le monde avait passé un si bon moment qu’ils voulaient recommencer l’année suivante. J’avais donc emprunté encore plus d’argent, me disant “cette fois c’est la dernière !” Mais je n’ai pas réussi à trouver d’échappatoire... Les gens s’amusaient tellement à chaque fois que ne pouvais plus m’arrêter. Donc, à partir de la troisième année, j’ai trouvé des amis qui m’ont aidé à soutenir le fardeau financier. »

Cela fait maintenant 25 ans que les échanges internationaux se poursuivent grâce au tournoi Copa Chile de futsal, qui a toujours autant de fans.

Eduardo est le sponsor de Copa Chile, mais ce qu’il préfère, c’est carrèment rejoindre les équipes sur le terrain. (© Eduardo Ferrada)
Eduardo est le sponsor de Copa Chile, mais ce qu’il préfère, c’est carrèment rejoindre les équipes sur le terrain. (© Eduardo Ferrada)

Quand l’expérience du séisme de 2011 mène à l’ouverture d’un restaurant chilien

En 2011, la région du nord-est du Japon a été frappée d’un violent séisme, puis d’un tsunami. Tout de suite après, Eduardo a reçu un appel d’une chaine de télévision du Chili.

« Nous envoyons une équipe au Japon et nous aimerions que vous les accompagniez. »

Eduardo ne s’est pas laissé prier. Il a donné rendez-vous aux reporters à l’aéroport, loué une voiture et les a tout de suite accompagnés dans le nord-est.

« Nous avons commencé par filmer aux alentours de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, et elle a explosé le lendemain. Nous avons quitté la zone en direction de Sendai pour filmer le port, et je pensais que notre travail s’arrêterait là. Mais l’équipe de télévision voulait aller plus au nord encore, et nous sommes donc repartis sans trop savoir ce qui nous attendait. Certaines routes étaient impraticables à cause des effondrements et des inondations. Mais les journalistes étaient aguerris, ayant travaillé dans des zones de conflit, et nous sommes passés par les montagnes pour arriver enfin dans la ville de Minami-Sanriku, à environ 80 km au nord de Fukushima. » Minami-Sanriku avait également été très sévèrement touchée par le tsunami.

Après le tournage, de retour dans la capitale, Eduardo n’a pas perdu une minute : prochaine étape, organiser un tournoi de golf. Pas par simple loisir, mais pour réunir des fonds et venir en aide aux sinistrés. Il a appelé ses amis et connaissances pour leur proposer de participer au projet, et avec la somme récoltée, il a acheté des stocks de viande et légumes qu’il a fait transporter dans le nord-est.

« Cette fois-ci, je suis retourné à Minami-Sanriku pour apporter de la nourriture. J’ai préparé des asado et des paellas. Les évacués faisaient la queue, mais aussi les membres des forces japonaises d’autodéfense. Ils mangeaient avec appétit, me disant que c’était vraiment bon. »

Après le séisme de 2011, Eduardo est retourné de nombreuses fois à Minami-Sanriku où il préparait l’une de ses spécialités, la paella. (© Eduardo Ferrada)
Après le séisme de 2011, Eduardo est retourné de nombreuses fois à Minami-Sanriku où il préparait l’une de ses spécialités, la paella. (© Eduardo Ferrada)

Comme pour le tournoi de futsal, l’argent n’était pas la préoccupation première d’Eduardo. Il a agi selon ses désirs, sans hésiter. Et faire plaisir aux gens et se sentir utile l’encourageaient davantage. Cette année là, lui et ses amis sont retournés sept fois à Minami-Sanriku pour préparer à manger. Cette expérience lui a été précieuse, car c’est grâce à elle qu’il a lancé son restaurant.

« Je me suis rendu compte que rien ne me faisait plus plaisir que de voir les gens déguster les plats que j’avais préparés. J’ai donc ouvert un restaurant dans le quartier d’Akasaka en 2012, avec un ami espagnol. Un an plus tard, celui-ci s’est retiré, et j’ai déménagé tout seul à Shin-Nakano en 2014. Mais j’ai appris à bien gérer mon temps : je m’occupe du restaurant tout en continuant à faire des traductions entre deux pauses sur la terrasse. »

Grâce à son caractère chaleureux, le restaurant d’Eduardo est très connu dans le quartier. Tout le monde le salue en passant devant lui, lorsqu’il est posté à son barbecue.

« Quand je suis arrivé au Japon, je pensais rentrer au Chili à l’âge de 40 ans, mais je n’ai pas vu le temps passer... Me voilà déjà à plus de 60 ans ! La période de la crise sanitaire a été très compliquée mais j’ai fait ma vie au Japon et je pense y rester jusqu’à l’âge de 75 ans. Les gens du quartier sont tellement gentils et j’ai beaucoup de clients au restaurant. »

Pour quelqu’un comme Eduardo qui a réussi à se créer une vie à partir de ses envies, il reste sans doute de nouvelles opportunités à l’horizon.

Le restaurant Casa de Eduardo, dans le quartier de Shin-Nakano (© Kumazaki Takashi)
Le restaurant Casa de Eduardo, dans le quartier de Shin-Nakano (© Kumazaki Takashi)

Casa de Eduardo

  • Adresse : 4-1-8 Chûô, Nakano-ku, Tokyo
  • Horaires : 11 h à minuit (réservations nécessaires au déjeuner)
  • Ouvert toute l’année
  • Accès : à une minute à pied de la sortie numéro 4 de la station de métro Shin-Nakano

(Photo de titre : © Kumazaki Takashi)

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