Les bonnes manières dans les trains japonais en un clin d’oeil : des affiches uniques en leur genre

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« Prière de respecter les files d’attente et de s’abstenir de parler dans les wagons. » Les chemins de fer japonais ont leur code de bonne conduite. Alors que le tourisme connaît une forte reprise, les compagnies du rail se sont donné pour objectif de réaliser une campagne de sensibilisation avec une série d’affiches dont le message pourrait être compris de tous en un coup d’œil.

Ces bonnes manières à la japonaise qui déconcertent les étrangers

Les trains japonais sont connus pour être à l’heure, un retard d’une minute fera l’objet d’une annonce dans les rames tant les horaires sont respectés. La sécurité y est également excellente, on ne risque rien à s’endormir durant le trajet et les bagages oubliés retrouvent leur propriétaire. Si les touristes de passage au Japon apprécient beaucoup ces trains si sûrs et si commodes, ils sont nombreux à être déconcertés par le code japonais de bonne conduite des usagers qui en est la cheville ouvrière.

Citons par exemple cette règle qui veut qu’au Japon, contrairement à de nombreux pays, il faut s’abstenir de parler au téléphone dans les wagons. Les trains sont souvent bondés et en zone urbaine certaines lignes ont leur propre code de bonne conduite. Sur les quais, les usagers qui attendent leur train font la queue. La priorité allant aux voyageurs qui descendent du wagon, ceux qui à l’intérieur se tiennent près des portes devront descendre pour leur laisser le passage, même si ce n’est pas leur station. Pour faire court, tous doivent faire en sorte que la circulation soit la plus fluide possible.

À la base, les bonnes manières sont une forme de respect et de politesse envers autrui, elles n’ont pas à être prescrites par une loi ou un règlement.

Penchons-nous sur les statistiques de l’Association japonaise des chemins de fer privés, regroupant 72 compagnies sur tout le territoire. On y trouve de précieuses informations concernant « l’étiquette » qui compte pour les usagers.

Affiches avec un visuel représentant le « classement des six plus grands manquements au code de bonne conduite en gare et dans les  trains ». À gauche, le classement 2020. À droite, celui de 2021. (Images fournies par l’Association japonaise des chemins de fer privés)
Affiches avec un visuel représentant le « classement des six plus grands manquements au code de bonne conduite en gare et dans les trains ». À gauche, le classement 2020. À droite, celui de 2021. (Images fournies par l’Association japonaise des chemins de fer privés)

Classement des 10 pires manquements au code de conduite en gare et dans les trains (2022)

1 Mal s’asseoir (empiéter sur le siège d’à côté, allonger les jambes, etc.) 34,3 %
2 Discuter bruyamment, ne pas tenir en place 33,9 %
3 Gêner la descente ou la montée dans les wagons 27,0 %
4 Prendre de la place avec son sacs (en le portant sur le dos ou en le posant sur un siège) 24,0 %
5 Tousser ou éternuer sans égard pour les autres voyageurs 22,3 %
6 Être sur son smartphone (en marchant ou en bloquant le passage en cas d’affluence) 18,7 %
7 Laisser des bouteilles en plastique ou des déchets derrière soi 18,7 %
8 Être en état d’ébriété dans un wagon 15,9 %
9 Monopoliser les places prioritaires 14,4 %
10 Mettre trop fort ses écouteurs 13,7 %

Source : Association japonaise des chemins de fer privés (3 305 sondés, questionnaire à réponses multiples avec un maximum de trois choix)

Malgré quelques fluctuations, les classements se ressemblent d’une année à l’autre. La majorité des sondés mettent à l’honneur les problèmes en montée ou descente des wagons : « Bloquer le passage aux environs des portes » reste le manquement majoritairement cité, quand au contraire « monter sans attendre que les autres usagers soient descendus » ou « ne pas respecter la queue » ne sont que peu mentionnés, ce qui laisserait à penser que se mettre en file sur le quai soit désormais entré dans les moeurs.

Si dès le tout premier sondage de 1999, le problème le plus fréquemment cité était « l’utilisation du téléphone portable », les usagers étaient alors dérangés par « les sonneries et les conversations ». Mais depuis l’avènement des smartphones, c’est désormais « téléphoner en marchant » qui est majoritairement dénoncé. Or, cette conduite n’est pas seulement gênante, elle est surtout dangereuse.

Pour la quatrième année consécutive, « tousser ou éternuer sans égards pour les autres usagers » est dans le haut du classement. Dans le sondage de 2022 « Prendre le train en temps de pandémie, quels désagréments ? », un certain type de réponse s’est dégagé, les sondés relevant surtout des problèmes relatifs à la distanciation sociale : citons « l’absence de masque », « les conversations », ou « la ventilation dans le wagon ». Ces cas ne sont pas à proprement parler des manquements, mais on aurait tort de ne pas les prendre en compte pour éviter des problèmes inutiles.

Elles ont fait fureur auprès des étrangers : les affiches ukiyo-e de la ligne Seibu

Dans la série d’estampes ukiyo-e,  on voit ci-dessus de gauche l’affiche « empiéter sur le siège d’à-côté » à droite  « bloquer le passage près des portes ». (Avec l’aimable autorisation de Seibu Railway)
Dans la série d’estampes ukiyo-e, on voit ci-dessus de gauche l’affiche « empiéter sur le siège d’à-côté » à droite « bloquer le passage près des portes ». (Avec l’aimable autorisation de Seibu Railway)

Les résultats du sondage mené par l’Association japonaise des chemins de fer privés sont utilisés par les compagnies ferroviaires pour améliorer leurs services. Collées dans les gares et dans les wagons, les « affiches de sensibilisation aux bonnes manières » participent de ce mouvement, un nombre croissant d’entre elles ont été conçues spécialement à l’intention des touristes étrangers.

La série qui a eu le plus de succès auprès des étrangers était intitulée « Estampe de la gêne en wagon » (Densha-nai meiwaku-zu e). Produites par Seibu Railway en 2016, ces affiches représentent dans un style ukiyo-e des scènes gênantes, cela se passe dans des wagons, on y voit des acteurs de kabuki et des courtisanes.

L’originalité de cette idée a fait mouche : les affiches ont connu la gloire sur les réseaux sociaux et leur version en carte postale a été très demandée. On les a retrouvées ensuite tant dans des manuels d’apprentissage du japonais, que peintes sur des murs à Taiwan. En 2019, ces « œuvres superbes, à la croisée du Japon traditionnel et moderne » ont même été exposées en Grande-Bretagne, au Victoria and Albert Museum.

La stratégie de l’entreprise consistait à élargir son cœur de cible alors plutôt centré sur les enfants pour s’ouvrir à l’international et adresser au public des touristes étrangers un message compréhensible au premier coup d’œil. L’essai semble avoir été parfaitement transformé.

Sur une ligne de métro de Tokyo, une idée brillante attire l’attention

« Le Cri » de Munch pour représenter un usager se précipitant dans la rame et se retrouvant coincé dans la porte du wagon. (Avec l’aimable autorisation du Bureau des Transports de la Métropole de Tokyo)
« Le Cri » de Munch pour représenter un usager se précipitant dans la rame et se retrouvant coincé dans la porte du wagon. (Avec l’aimable autorisation du Bureau des Transports de la Métropole de Tokyo)

Un passager qui a gardé son sac sur son dos heurte « La Jeune fille à la perle », provoquant un incident. (Avec l’aimable autorisation du Bureau des Transports de la Métropole de Tokyo)
Un passager qui a gardé son sac sur son dos heurte « La Jeune fille à la perle », provoquant un incident. (Avec l’aimable autorisation du Bureau des Transports de la Métropole de Tokyo)

Le Bureau des Transports de la Métropole de Tokyo, qui exploite la ligne de métro Toei, a conçu des slogans en anglais, en chinois simplifié, mais aussi en coréen.

Les slogans multilingues ont été lancés en 2017. C’est alors que la série d’affiches « Au musée cosmopolite des bonnes manières » (Sekai manner bijutsukan) parodiant des tableaux célèbres a commencé à faire parler d’elle. On y voyait le personnage du « Cri » de Munch coincé dans la porte d’un wagon, ou encore « La Jeune fille à la perle » portant convenablement son sac pour ne pas gêner les autres passagers, c’était si amusant qu’on peinait à croire que ces visuels avaient pu être créés par une entreprise publique.

Mais d’autres affiches tout aussi originales et faciles à comprendre ont vu le jour. Citons la série « Parallèles », qui se base sur des comparaisons fantaisistes pour parler de cas concrets en gare ou dans les rames.

Sur les quais « marcher en regardant son téléphone» est tout aussi dangereux que de déambuler dans une jungle pleine de bêtes sauvages ! (Avec l’aimable autorisation du  Bureau des Transports de la Métropole de Tokyo)
Sur les quais « marcher en regardant son téléphone» est tout aussi dangereux que de déambuler dans une jungle pleine de bêtes sauvages ! (Avec l’aimable autorisation du Bureau des Transports de la Métropole de Tokyo)

Céder sa place à un blessé, c’est comme le guider vers une oasis en plein désert ! (avec l’aimable autorisation du  Bureau des Transports de la Métropole de Tokyo)
Céder sa place à un blessé, c’est comme le guider vers une oasis en plein désert ! (Avec l’aimable autorisation du Bureau des Transports de la Métropole de Tokyo)

De longue date, les lignes de métro tokyoïtes offrent d’élégants visuels

Le métro de Tokyo peut se targuer de compter le plus grand nombre d’usagers de toutes les compagnies ferroviaires privées au Japon. Depuis 1974, quand la compagnie s’appelait encore Eidan, elle a lancé chaque mois sur près d’un demi-siècle des affiches sur le code de bonne conduite dans ses stations. L’une de ses premières créations est connue sous le nom du « Dictateur » (1976). Cette affiche a été dessinée par Kawakita Hideya, graphiste de renommée mondiale. On y voit Chaplin assis les jambes écartées, il s’agit d’un clin d’œil au film « Le Dictateur ».

Les affiches ont toujours été conçues sur le même esprit, l’idée n’est pas d’avoir une position de surplomb, ni de faire la morale. L’accent est mis sur des slogans qui vont droit au cœur des usagers.

Dans la série « Une idée de votre note en bonne conduite ?  » (Anata no manner, ii kanji ?), un idéogramme est astucieusement glissé au milieu du visuel. (Avec l’aimable autorisation de la Metro Cultural Foundation)
Dans la série « Une idée de votre note en bonne conduite ? » (Anata no manner, ii kanji ?), un idéogramme est astucieusement glissé au milieu du visuel. (Avec l’aimable autorisation de la Metro Cultural Foundation)

La série « Une idée de votre note en bonne conduite ? », qui date de 2016, est un bon exemple de cette recherche graphique et de cet esprit. En effet, ce visuel appelé « Une idée, un idéogramme » intègre en son centre un idéogramme (kanji). Le message est immédiatement perçu par les passagers et l’image attise la curiosité des étrangers.

L’approche de la série « GOOD MANNERS, GOOD TOKYO ! » (Bonnes manières, Avoir tout bon à Tokyo) de 2018 est intéressante. Cette fois, les affiches représentent des scènes du quotidien, où on y voit des étrangers utilisant le métro. Les slogans les appellent à « être à la hauteur », à « faire aussi bien que les Tokyoïtes dont les bonnes manières sont vantées dans le monde entier ».

Voici donc des messages qui resteront gravés dans l’esprit de tous, adultes, enfants comme touristes étrangers. Les compagnies ferroviaires continuent d’affiner leur design et d’affuter leurs slogans pour s’adapter à l’air du temps et promouvoir toujours davantage le bon comportement.

Les affiches de la série « GOOD MANNERS, GOOD TOKYO »  (Bonnes manières, Avoir tout bon à Tokyo) représentent les bonnes manières des usagers du rail dans l’oeil d’un touriste étranger. (Avec l’aimable autorisation de la Metro Cultural Foundation)
Les affiches de la série « GOOD MANNERS, GOOD TOKYO » (Bonnes manières, Avoir tout bon à Tokyo) représentent les bonnes manières des usagers du rail dans l’oeil d’un touriste étranger. (Avec l’aimable autorisation de la Metro Cultural Foundation)

(Reportage et texte de Nippon.com)

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