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« Yu-Gi-Oh » : une ode à l’amitié et un jeu de cartes au succès mondial grâce à Takahashi Kazuki

Manga/BD Divertissement

Le manga Yu-Gi-Oh, dont la publication a débuté en 1996, a connu un énorme succès au Japon et dans beaucoup d’autres pays comme les États-Unis et la France. La raison principale ? Son jeu de cartes, l’atout de la série. Mais pas que. Quel message nous a légué son créateur, Takahashi Kazuki, décédé tragiquement dans un accident en juillet 2022 ?

En juillet 2022, le corps d’un homme avait été découvert au large de la ville de Nago, dans la préfecture d’Okinawa. Il s’agissait de Takahashi Kazuki, l’auteur du célèbre manga Yu-Gi-Oh. Une onde de choc avait traversé la bande-dessinée mondiale, et de nombreuses personnalités lui avaient rendu hommage. Trois mois plus tard, il avait été révélé que Takahashi, qui faisait habituellement de la plongée dans cette zone, avait trouvé la mort en tentant de porter secours à une jeune fille qui se noyait. (Cette dernière a pu être sauvée grâce à un l’intervention d’une autre personne. Et si les circonstances de l’accident étaient connues depuis le début par les garde-côtes, les informations avaient été relayées officiellement après avoir consulté la famille du mangaka.)

Jusqu’à Yu-Gi-Oh, un auteur qui n’a jamais abandonné

Yu-Gi-Oh est le manga le plus célèbre de l’auteur. Publié pour la première fois dans le fameux magazine de prépublication Shônen Jump, son protagoniste est un lycéen timide du nom de Mutô Yûgi qui adore les jeux de société. En réussissant à résoudre un casse-tête millénaire provenant de l’Égypte antique, le jeune homme se voit doter d’une seconde personnalité qui peut prendre possession de son corps de façon incontrôlable. Cet « autre Yûgi » lui permet de s’affirmer face à de mauvaises personnes en les affrontant à travers des jeux dont le perdant doit se soumettre à un gage cruel.

L’un de ces jeux a justement fait la renommée de l’œuvre. Il s’agit d’un jeu de cartes appelé Magic & Wizards (M&W) qui, au fil de l’histoire, est devenu l’univers principal dans lequel Yûgi et ses amis luttent contre leurs ennemis. L’attrait des lecteurs pour cette bataille de cartes a permis au manga de se poursuivre bien plus longtemps que prévu, avec un succès qui s’est étendu hors des frontières de l’Archipel, comme en France, en Italie ou aux États-Unis.

Takahashi Kazuki est né en 1961. Grand admirateur des films bourrés d’effets spéciaux comme Ultraman, il avait depuis son enfance le rêve de devenir un créateur de monstres. « Je dessinais des sortes de déguisements de monstres et y incluait des trous pour respirer et des fentes en imaginant une personne rentrer à l’intérieur. J’ajoutais aussi divers équipements pour permettre à la créature de se mouvoir. Les monstres qui apparaissent dans Yu-Gi-Oh sont en fait inspirés de toutes mes petites expérimentations de l’époque. » (Extrait d’une interview parue dans JUMP Style : Marugoto Takahashi Kazuki)

Son ambition de devenir dessinateur germa lors de ses années collège, et c’est en fréquentant une école professionnelle qu’il put achever son premier manga, alors qu’il n’avait pas même encore 20 ans. Mais il échoua à faire sérialiser son histoire, le menant à une décennie de traversée du désert.

Si en 1991, Shônen Jump sélectionna l’une de ses créations, intitulée Buray, elle s’interrompit très vite. L’auteur n’abandonna pas pour autant, et tout en effectuant un travail à temps partiel de graphiste pour les jeux vidéo pour gagner sa vie, il continua à proposer idée après idée à la maison d’édition. Mais ce fut rejet sur rejet. Il avait raconté combien de fois, les épaules tombantes, il était ressorti déprimé des maisons d’édition du quartier tokyoïte de Jimbôchô.

Une année plus tard cependant, il eut une idée qui allait devenir un succès mondial, Yu-Gi-Oh.

Version française du manga (Photo : Nippon.com)
Version française du manga (Photo : Nippon.com)

Version japonaise. Plus de 40 millions d’exemplaires ont été écoulés dans le monde, en incluant la version numérique. (Photo : Nippon.com)
Version japonaise. Plus de 40 millions d’exemplaires ont été écoulés dans le monde, en incluant la version numérique. (Photo : Nippon.com)

Duel Monsters, le jeu de cartes à collectionner le plus vendu au monde

Yu-Gi-Oh aurait, dit-on, rapporté plus de bénéfices à Shônen Jump que One Piece et Demon Slayer. Il ne s’agit pas ici du nombre d’exemplaires vendus, où ces deux derniers l’ont dépassé. Mais l’œuvre de Takahashi a eu ce talent de faire naître un produit dérivé au succès fou, son jeu de cartes Magic & Wizards, devenu Duel Monsters dans la réalité, qui a permis d’engranger de phénoménales recettes sur le long terme.

Duel Monsters est un « jeu de cartes à collectionner » (Trading card game, ou TCG), un type de divertissement qui s’est fait connaître dans le monde grâce à Magic : The Gathering, créé en 1993 par la société américaine Wizards of the Coast. Trois ans après était lancé le Pokémon Card Game, puis le tour de Yu-Gi-Oh est arrivé en 1999 avec Duel Monsters Official Card Game. Si Magic s’adressait davantage à un public mature, Duel Monsters pouvait se jouer dès un très jeune âge, ce qui explique son importante popularité.

Dans le TCG, le joueur place sur un plateau de jeu les cartes qu’il confrontera à son adversaire. Ces cartes en vente existent sous plusieurs types, plus ou moins intéressantes en fonction de leurs caractéristiques telles que la force d’attaque ou les techniques, et il existe au sein de cette vaste collection des cartes rares, extrêmement redoutables car dotées de pouvoirs spéciaux. Celles-ci sont bien entendu très recherchées et coûtent une certaine somme.

Le joueur peut ainsi peaufiner sa collection au fur et à mesure qu’il se procure des paquets de cartes. Mais dans l’impossibilité de savoir ce que ces paquets recèlent, il est ainsi facile de devenir un acheteur compulsif à la recherche des cartes que l’on désire... Les joueurs peuvent aussi se les échanger ou les revendre.

Un tournoi de cartes Yu-Gi-Oh organisé le 5 février 2023 en Angleterre lors du Bristol Anime and Gaming Con. (© Wong Yat Him/Sopa Images via Zuma Press Wire/Kyôdô Image Communications)
Un tournoi de cartes Yu-Gi-Oh organisé le 5 février 2023 en Angleterre lors du Bristol Anime and Gaming Con. (© Wong Yat Him/Sopa Images via Zuma Press Wire/Kyôdô Image Communications)

Le fabricant produit environ une carte rare pour dix paquets, alimentant de cette manière les achats et les échanges des passionnés. Il existe de même des cartes d’exception uniquement distribuées en tant que prix aux vainqueurs de certains tournois. En 2000, l’une des cartes avait fait parler d’elle après avoir été vendue aux enchères pour un montant de 2,25 millions de yens (14 500 euros).

Grâce également au nombre de fans étrangers qui s’élève régulièrement, l’immense succès de Duel Monsters a été reconnu en 2011 par le Guinness des Records, qui l’a homologué comme étant le jeu de cartes à collectionner le plus vendu au monde.

Les cartes rares continuent encore aujourd’hui de voir leur valeur augmenter. Citons par exemple le « Blue Eyes White Dragon », l’une des plus puissantes apparaissant dans le manga, qui se vend à chaque fois pour plus d’un million de yens (6 400 euros).

Afin d’élargir davantage les possibilités de faire connaître Duel Monsters, les boutiques spécialisées dans les TCG proposent souvent des espaces de jeu et organisent même leurs propres tournois, ce qui est aussi un bon moyen pour attiser le désir de s’emparer de cartes puissantes. Pour ce faire, compter uniquement sur la force et les techniques spéciales des cartes en sa possession n’est en rien la clef de la victoire : le gagnant n’est pas le plus fort, mais le plus fin stratège.

Quel est le véritable message de Yu-Gi-Oh ?

Dans le manga, la carte de monstre utilisée se matérialise dans une réalité virtuelle, et le combat s’engage dans cet univers. Cette idée serait venue d’une scène du premier Star Wars (1977), où des monstres apparaissent en hologramme au-dessus d’un échiquier.

Duel Monsters a permis de rendre le manga Yu-Gi-Oh extrêmement populaire. De nouvelles cartes étaient fabriquées au fur et à mesure que de nouvelles créatures voyaient le jour dans l'œuvre de Takahashi. Et l’effervescence autour de la série animée Yu-Gi-Oh! Duel Monsters a été immédiat dès son commencement en 2000.

Comme toute série à succès, Yu-Gi-Oh a également été adapté pour le cinéma. Quatre films sont ainsi sortis, dont Yu-Gi-Oh! The Dark Side of Dimensions en 2016. (© Takahashi Kazuki/Studio Dice/Yu-Gi-Oh Production Committee)
Comme toute série à succès, Yu-Gi-Oh a également été adapté pour le cinéma. Quatre films sont ainsi sortis, dont Yu-Gi-Oh! The Dark Side of Dimensions en 2016. (© Takahashi Kazuki/Studio Dice/Yu-Gi-Oh Production Committee)

Le véritable attrait de la série ne serait toutefois ni ses divers adaptations ni son jeu de cartes.

Takahashi en parle dans la postface du tout premier volume de son œuvre. « Yu-Gi-Oh donne l’impression que le manga se base sur un simple jeu de cartes, mais le cœur de l’histoire réside dans les personnages. Ils ont tous en eux une certaine fragilité, mais comme mon concept du “puzzle millénaire” que j’ai créé, chacun représente une pièce essentielle de l’intrigue centrale. »

Ni le protagoniste principale Yûgi, ni son meilleur ami Jôno-uchi ou son rival Kaiba Seto ne sont invincibles. Chacun a sa défaillance, qui provoque parfois la chute. Mais cette faiblesse fait aussi leur force. Les personnages se font confiance, s’entraident de manière à compenser leurs carences respectives, jusqu’à devenir indispensables les uns envers les autres telles les pièces d’un puzzle.

Cela s’illustre même avec Yûgi et son ami Jôno-uchi, dont la première syllabe de leur prénom mis côte à côte, yûjô, signifie « amitié », le thème principal du manga.

L’amitié est un concept qui ne se limite pas aux seuls liens entre les individus. La véritable amitié permet de déployer une force de propulsion pour quelqu’un d’autre que soi. Cela, Takahashi ne l’a pas uniquement décrit dans son œuvre, mais l’a également sublimé dans la réalité.

Si la vie de ce mangaka d’exception s’est éteinte tragiquement, il a laissé en héritage une œuvre à l’impact international. Les fans de la première génération sont devenus des parents, et nul doute qu’ils feront connaître les joies de Yu-Gi-Oh à leurs enfants, permettant à l'œuvre d’exister encore longtemps.

(Photo de titre : Nippon.com)

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