Les divinations au service du pouvoir : Abe no Seimei et son aura de mystère
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Un personnage réel
Abe no Seimei est connu comme un personnage légendaire, doté de pouvoirs extraordinaires, capable de contrôler le courroux des divinités et d’éloigner les mauvais esprits. Cependant, il a bel et bien existé, et selon certaines archives, il est mort à plus de 80 ans, en l’an 1005.

Abe no Seimei, tel qu’il était représenté dans le recueil Zenken kojitsu datant du XIXe siècle. En arrière-plan, on aperçoit l’esprit qu’il contrôle. (Image avec l’aimable autorisation de la Bibliothèque nationale de la Diète)
Abe no Seimei travaillait pour le Bureau de l’Onmyô, responsable de l’onmyôdô, un système basé sur les théories chinoises du yin et du yang, ainsi que sur les cinq éléments. Le Bureau publiait également des calendriers, pratiquait l’astronomie et mesurait le temps à l’aide d’une horloge à eau.
L’onmyôdô était une forme de divination. Le Bureau était ainsi par exemple chargé de désigner un jour propice pour une cérémonie de mariage impérial ou d’interpréter et de donner un sens à des événements étranges, tels que l’entrée d’un serpent chez un particulier, afin de déterminer s’il s’agissait d’une prémonition d’un événement à venir. Il donnait également des conseils sur des choses plus concrètes mais taboues dans la société, comme par exemple quand il était préférable de ne pas effectuer telle ou telle action ou de ne pas voyager dans telle ou telle direction.
Abe no Seimei était extrêmement réputé pour ses observations astronomiques du temps et des corps célestes, ainsi que pour la précision de ses prévisions et sa gestion des tabous. Il apparaît également dans de nombreux écrits. Ainsi, le journal du noble de la cour Fujiwara no Yukinari fait l’éloge de ses capacités dans ses récits, tandis que d’autres journaux et documents historiques montrent à quel point il était souvent impliqué dans les événements majeurs.
Par exemple, il est connu pour avoir choisi les dates de l’empereur Kazan pour son ascension au trône et pour celle de Shôshi, la fille de Fujiwara no Michinaga, devenue la consort officielle de l’empereur Ichijô. Il aurait également prodigué des soins au monarque, lorsqu’il était malade, par des rituels de purification et aurait fait tomber la pluie grâce à des prières après plus de 30 jours de sécheresse.

Abe no Seimei auprès d’un moine malade à Miidera dans la préfecture de Shiga (Naki Fudô engi, « La légende du Fudô pleureur »). (Image avec l’aimable autorisation du musée national de Nara)
Les hommes les plus influents lui faisaient confiance
Taizan Fukun (le seigneur Taizan) était une divinité centrale de l’onmyôdô, qui présidait à la vie comme à la mort. Une théorie affirme qu’il était un assistant du roi Enma, le souverain de l’enfer. Abe no Seimei était réputé pour ses pouvoirs grâce auxquels il pouvait lancer des sorts qui lui permettaient de faire appel au seigneur Taizan.
L’image en tête de cet article montre le seigneur Taizan en compagnie des serviteurs de l’enfer convoqués par Abe no Seimei. Cette œuvre posthume a été réalisée bien plus tard, mais elle bien montre que la classe aristocrate de l’époque croyait aux pouvoirs de ce dernier, notamment en raison de son étroite association avec le seigneur Taizan.
Après avoir gagné la confiance de Fujiwara no Michinaga, puissant homme d’État de l’époque, vers 985 ou 986, Abe no Seimei était considéré comme le plus grand expert de l’onmyôdô. Il avait une soixantaine d’années et s’était retiré du bureau mais continuait de pratiquer des divinations et des incantations pour les membres de l’aristocratie. En 993, il accède au grade inférieur du quatrième rang junior, fonctionnaire relativement haut placé dans la société de l’époque. Selon l’historien Shigeta Shin’ichi, ses revenus auraient atteint l’équivalent de centaines de millions de yens.
Les années oubliées
Beaucoup ont oublié Abe no Seimei après sa mort, en raison de rivalités avec les clans Kamo. Kamo no Yasunori, qui aurait été l’un de ses professeurs, est le premier praticien de l’onmyôdô à accéder au grade inférieur de quatrième rang junior, un précédent qui lui rendra les choses plus simples. Après la mort de Kamo no Yasunori, Abe no Seimei était considéré comme le nouveau numéro 1, l’élève ayant même dépassé le maître, ce qui n’était pas du goût du clan Kamo.
Son fils, Mitsuyoshi, avait 18 ans de moins qu’Abe no Seimei, mais selon l’historienne Tanaka Takako, il n’avait rien à lui envier. Il travaillait également au Bureau de l’Onmyô, où il était responsable de la création du calendrier. Après sa mort, Mitsuyoshi a cherché à redorer l’image ternie du clan Kamo. Et ses efforts finirent par payer ; au début du XIIe siècle, le clan était considéré comme naturellement associé à l’onmyôdô.
Selon Tanaka Takako, le clan Abe déployait une stratégie consistant à laisser planer le mystère autour d’Abe no Seimei. Cette stratégie sera associée au pouvoir accru des empereurs alors retirés du pouvoir, qui ont effectivement dirigé l’État au XIIe siècle, engendrant des bouleversements politiques grâce à une structure de pouvoir double partagée avec l’empereur de l’époque, d’où, pour l’historienne, une augmentation du nombre de tabous restrictifs.
C’est ainsi que l’on a redécouvert Abe no Seimei, réputé pour sa profonde compréhension des tabous. S’en est suivie une série de récits exagérant ses pouvoirs, le propulsant au statut de héros légendaire.
Un homme de grande renommée
Dans le recueil de contes médiévaux Konjaku monogatari, Abe no Seimei est décrit dans l’un des récits comme ayant des pouvoirs rivalisant avec ceux des grands anciens. C’était une époque où le passé était vénéré, si bien qu’une telle description était l’un des plus beaux éloges qui puissent être faits à un personnage.
Dans ce même récit, on y apprend qu’Abe no Seimei semble avoir été le successeur de Yasunori, coup dur pour l’honneur des descendants du clan Kamo. Le mouvement qui cherchait à élever la réputation d’Abe no Seimei semble avoir influencé l’ouvrage tout entier.
Plus tard, des recueils datant du XIIIe siècle le présenteront comme un héros protecteur de la Cour impériale, aves des récits racontant comment il a délivré Michinaga d’une malédiction.
Dans Abe no Seimei monogatari (« Le Conte d’Abe no Seimei »), paru en 1662, sa réputation prend des proportions légendaires. On peut notamment y lire comment les corbeaux lui ont appris que l’empereur, tombé sous l’emprise d’un sort, était tombé malade, et que sa mère était en fait une déité, réincarnée dans un renard.

Abe no Seimei apparaît jeune avec sa mère, réincarnée en renard (Kuzunoha-gitsune dôji no wakaruru no zu, « La femme renard Kuzunoha laissant son enfant », de Tsukioka Yoshitoshi) (Image avec l’autorisation de la Bibliothèque nationale de la Diète)
(Photo de titre : Fudô riyaku engi emaki, « Légende des bénédictions accordées par Fudô », représentant Abe no Seimei, à droite, procédant à une incantation. Avec l’aimable autorisation de ColBase)