Murasaki Shikibu et Fujiwara no Michinaga : entre littérature et pouvoir

Livre

Dans les portraits fictifs, Murasaki Shikibu, l’auteure du Dit du Genji, et l’homme d’État Fujiwara no Michinaga sont souvent dépeints comme étant très proches. Un nouvel ouvrage cherche à démêler le vrai du faux sur ces deux personnages majeurs de l’époque Heian au Japon.

Fille d’un pauvre érudit

Murasaki Shikibu, l’auteure du Dit du Genji, considéré comme le plus vieux roman du monde, et le puissant homme d’État Fujiwara no Michinaga ont tout deux vécu lors de l’époque Heian (794–1185). Dans des contextes fictifs, ils sont souvent décrits comme très proches voire comme amants.

Murasaki Shikibu to Fujiwara no Michinaga, par Kuramoto Kazuhiro
Murasaki Shikibu to Fujiwara no Michinaga, par Kuramoto Kazuhiro

Dans son nouvel ouvrage, Kuramoto Kazuhiro, professeur au Centre international de recherche en études japonaises, tente d’apporter des éléments plus nuancés. « Comment peut-on qualifier la nature d’une situation lorsque des histoires prennent vie, et que certains croient à tort que Murasaki Shikibu et Fujiwara no Michinaga étaient exactement comme ils apparaissent dans les séries télévisées ? » peut-on lire en introduction. Dans son livre, l’auteur cherche à affirmer ce peut qui être considéré comme la vérité à partir de sources primaires, telles que des journaux intimes qui leur ont appartenu. Son écriture se porte sur les deux personnages, mais je souhaite ici me consacrer à Murasaki Shikibu.

Les parents de Murasaki Shikibu sont nés au sein du clan Fujiwara, dans la partie nord du pays. Ils appartenaient donc à l’aristocratie, bien que l’auteur du livre note que son père, Tametoki, était originaire d’une branche mineure et n’était de ce fait rien de plus qu’un « pauvre érudit sans position officielle ». En fait, le vrai nom de Murasaki est inconnu. Le nom « Murasaki Shikibu » lui sera donnée plus tard par des écrivains pour des raisons de commodité. Différentes théories peinent également à se mettre d’accord sur l’année de sa naissance. Pour Kuramoto Kazuhiro, elle serait née en 973.

Sa mère mourra prématurément et son père se remariera. Plus tard, après une longue période sans exercer aucun poste, il deviendra gouverneur régional. Murasaki Shikibu souhaitait plus que tout acquérir des connaissances dès son plus jeune âge. C’est son père qui lui enseignera les classiques chinois. Les ouvrages bouddhiques, la poésie japonaise et autres littératures n’avaient que peu de secrets pour elle. Il deviendra même une auteure accomplie de poèmes waka, un talent qui lui ouvrira les portes de la cour.

Une union de courte durée

En 998, Murasaki Shikibu épousera Fujiwara no Nobutaka, fonctionnaire compétent d’une quarantaine d’années. Celui-ci avait déjà eu des enfants avec trois autres femmes. Il est décrit par Kuramoto Kazuhiro comme « dissipé ». Murasaki Shikibu avait près de 25 ans lorsqu’elle s’est mariée, ce qui était plutôt tard pour l’époque. Selon la coutume, ce sont les hommes qui entraient dans le foyer de la femme au moment du mariage. Cependant, son père n’ayant exercé aucune position pendant une longue période lorsqu’elle était jeune, le budget familial s’en était retrouvé fortement restreint. Trouver un prétendant avant ses 25 ans relevait de l’impossible.

Kuramoto Kazuhiro écrit dans son livre que jusqu’à leur union, « Fujiwara no Nobutaka n’a pas vécu sous le même toit que Murasaki Shikibu, mais avec une autre de ses femmes ». L’année suivante, il a écrit un poème évoquant les querelles d’amoureux, une chose qui, pour l’auteur, révèle la force de caractère de Murasaki Shikibu. Une fille naîtra de leur union, mais cette dernière ne sera que de courte durée puisque Fujiwara no Nobutaka mourra deux ans et de demi plus tard de maladie.

Quoiqu’éphémère, son union avec Nobutaka a probablement façonné la vision unique de Murasaki Shikibu sur les hommes et le mariage. Elle finira par exprimer ses impressions de différentes manières dans Le Dit du Genji.

Pouvoir impérial et politique au palais

Après son veuvage, Murasaki Shikibu entre au service de la fille de Fujiwara no Michinaga et l’impératrice Shôshi. Michinaga avait fait le nécessaire pour que sa fille devienne la femme l’empereur Ichijô. Toutefois, elle n’était pas pour autant sa favorite, celui-ci lui préférant Teishi, sa première consort.

Paravent de Tawaraya Sôtatsu illustrant des scènes du Dit du Genji, exposé au Metropolitan Museum of Art en 2019. (© Kyôdô)
Paravent de Tawaraya Sôtatsu illustrant des scènes du Dit du Genji, exposé au Metropolitan Museum of Art en 2019. (© Kyôdô)

Comptant 54 chapitres, Le Dit du Genji est une œuvre extrêmement longue. Selon Kuramoto Kazuhiro, Murasaki Shikibu s’est tournée vers l’écriture après la mort de son mari, avant d’entrer au service de la cour. En tant que veuve, continuer de travailler sur son œuvre lorsque son emploi du temps le lui permettait n’a pas dû être simple, et mettre la main sur du matériel tel que le papier, particulièrement cher à cette époque, probablement encore moins. Comment a-t-elle pu écrire son chef-d’œuvre ? Selon son journal, c’était Michinaga qui lui procurait papier, pinceaux et encre. Mais pourquoi ?

Le Dit du Genji, ouvrage se basant sur les expériences de Murasaki Shikibu dans le palais intérieur, a joué un rôle dans les plans échafaudés par Michinaga pour obtenir le pouvoir absolu. Les explications de ces actes fournies par Kuramoto sont l’un des éléments clefs du livre. Selon lui, même s’il s’agissait à première vue d’un conte élégant sur des histoires romantiques, ce grand classique dépeint avec force les rouages du pouvoir impérial et de la politique du palais. Grand amateur d’histoires, l’empereur Ichijô aimait à rendre visite à Shôshi pour l’écouter lire à voix haute. Bien sûr, ce n’était pas anodin ; il entendait bien utiliser ses œuvres pour renforcer l’attachement de l’empereur pour sa fille.

Au terme d’un bras de fer politique avec le successeur d’Ichijô, l’empereur Sanjô, Michinaga fit installer son petit-fils, qui n’était autre que le fils né de l’union de Ichijô et Shôshi, sur le trône en tant qu’empereur Go-Ichijô. Michinaga lui-même devint le centre du pouvoir en tant que régent, et pouvait parfois avoir recours à Murasaki Shikibu. Mais la vie de palais ne convenait pas à cette dernière, c’est pourquoi à la fin de sa vie, comme pour s’en éloigner, il se dévouera au Bouddhisme de la terre pure, faisant même le vœu de renoncer au monde. Fujiwara no Michinaga mourra en 1027, à l’âge de 62 ans. Les spécialistes peinent à se mettre d’accord sur l’année précise de la mort de Murasaki Shikibu, avant ou après Michinaga, mais pour Kuramoto, « la prospérité de sa maison, Michinaga la tenait de Murasaki Shikibu et du Dit du Genji ».

Comparer des représentations fictives de Murasaki Shikibu et Fujiwara no Michinaga, telles qu’elles peuvent apparaître dans les séries taiga drama de la NHK cette année, en connaissance de la vraie histoire est une façon d’apprécier la relation qui les liait. Était-il seulement possible que le fils d’une famille de régents puisse avoir rencontré le fille d’un pauvre érudit alors qu’ils étaient enfants ? Quant à l’idée partagée beaucoup selon laquelle Murasaki était la maîtresse de Michinaga, Kuramoto Kazuhiro la réfute en bloc, soulignant que les preuves venant étayer le fait qu’ils auraient eu une relation intime sont quasiment inexistantes.

Lire aussi nos articles liés au Dit du Genji :

(Photo de titre : Pixta)

histoire littérature livre femme Dit du Genji