L’évolution des repas scolaires au Japon

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Alors qu’il se reconstruit après la Seconde Guerre mondiale, le Japon étend peu à peu les programmes de repas scolaires aux établissements des quatre coins du pays. D’abord, le pain constituait l’élément essentiel du repas. Il faudra attendre les années 1970 pour voir le riz prendre cette place.

Le tout premier repas scolaire

Le premier repas scolaire au Japon aurait été servi en 1889 dans une école du temple Daitoku-ji, dans l’actuelle ville de Tsuruoka (préfecture de Yamagata). Il s’agissait d’une initiative des prêtres à l’attention des enfants qui n’avaient pas les moyens de fréquenter d’autres écoles. Gratuit, ce repas complet se composait de boulettes de riz salé, de saumon salé et de légumes verts marinés. Il était financé par l’argent collecté par les prêtres lors de l’aumône.

Un monument à la mémoire des premiers repas scolaires servis au Japon, ville de Tsuruoka, préfecture de Yamagata. (© Musée de l'histoire des repas scolaires)
Un monument à la mémoire des premiers repas scolaires servis au Japon, ville de Tsuruoka, préfecture de Yamagata. (© Musée de l’histoire des repas scolaires)

À Tsuruoka se trouvait l’ancien domaine de Shônai. L’entente y était cordiale et les habitants de la ville étaient toujours prêts à se rendre service les uns les autres. Mais Tsuruoka, c’était aussi une culture gastronomique riche, de sorte que le riz et le saumon pour le repas étaient de production locale, en parfaite adéquation avec l’esprit de bienveillance des prêtres. Dans ces repas, il y a toujours eu cette idée altruiste d’apporter un soutien aux enfants défavorisés sans leur donner un sentiment d’infériorité.

Reconstitution du premier repas scolaire avec des boulettes de riz salé, du saumon salé et des légumes verts marinés. (© Japan Sport Council)
Reconstitution du premier repas scolaire avec des boulettes de riz salé, du saumon salé et des légumes verts marinés. (© Japan Sport Council)

L’initiative du temple Daitoku-ji a fait des émules, et bientôt d’autres régions se sont également mises à proposer des repas dans les établissements scolaires. Ils étaient financés par les gouvernements locaux ou par des dons effectués par des particuliers. Des catastrophes comme le Grand séisme du Kantô en 1923 et les grandes famines du Tôhoku (nord-est) dans les années 1930 ont également contribué à la diffusion de ces repas pour les enfants privés de nourriture. Dès les années 1930, le pays a mis en place de réelles politiques de distribution de repas dans les écoles.

Alors que le Japon intensifiait son invasion de la Chine et que sa société accordait de plus en plus la priorité à la guerre, le gouvernement a non seulement fourni de la nourriture aux enfants qui ne mangeaient pas à leur faim, mais il a également encouragé la distribution de repas scolaires afin d’améliorer leur nutrition et leur condition physique. Cependant, alors que le Japon se trouvait dans une position de plus en plus délicate, la plupart de ces programmes alimentaires durent être interrompus pendant le conflit en raison de pénuries de vivres. Celle-ci se poursuivit pendant et après la guerre, entraînant une malnutrition des enfants, qui avaient une condition physique moins bonne que leurs pairs avant le conflit. Selon une enquête d’après-guerre menée par le gouvernement de Tokyo, 40 % des enfants ne mangeaient que très peu chaque jour et le même pourcentage ne prenaient qu’un seul repas.

Les repas scolaires au Japon : les dates importantes

1889  Premier repas scolaire à Tsuruoka, préfecture de Yamagata.

1923  Grand tremblement de terre du Kantô

Pendant la guerre  Interruption du service de restauration scolaire à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

1945  Fin de la Seconde Guerre mondiale

À partir de 1946  Avec l’aide des États-Unis notamment, des rations de pain et de lait écrémé en poudre sont fournis pour les repas scolaires.

1949  L’UNICEF soutient les programmes de repas scolaires.

1950  Le gouvernement américain et le programme de secours dans les zones occupées (GARIOA) soutiennent les programmes de repas scolaires.

1951  Interruption du soutien de GARIOA lorsque le Japon retrouve sa souveraineté.

1954  Promulgation de la Loi sur les programmes de repas scolaires.

1960  Passage du lait en poudre au lait frais.

1976  Introduction officielle du riz dans les repas.

2005  Promulgation de la Loi sur l’éducation alimentaire et nutritionnelle.

2008  Amendement de la Loi sur les programmes de repas scolaires afin de stimuler l’importance de l’éveil à l’alimentation et à la nutrition.

Source : liste créé par Nippon.com à partir d’informations émanant notamment du ministère de l’Éducation, de la Culture, des Sports, des Sciences et de la Technologie.

Alimentation et éducation

Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Quartier général du commandement suprême des forces alliées (GHQ), qui dirigeait le Japon occupé, souhaite trouver une solution à la crise alimentaire dans le pays, y voyant la menace de possibles troubles sociaux. Sur ordre du président américain Harry Truman, une délégation dirigée par son prédécesseur Herbert Hoover arrive au Japon et demande au chef du GHQ, le général Douglas MacArthur, de reprendre le service de restauration scolaire, insistant sur la nécessité d’importer de la nourriture.

Avec le soutien du GHQ, le jour de la veille de Noël 1946, des repas scolaires à l’attention de 250 000 enfants sont distribués dans les préfectures de Tokyo, Kanagawa et Chiba. Le programme reposait sur des dons provenant du groupement d’organisations caritatives privées américaines Licensed Agencies for Relief in Asia (Agences de secours pour l’Asie). Harry Truman aurait ajouté le mot « licensed » pour insister sur la pleine approbation par le président et le soutien américain à ce programme.

Reconstitution du premier repas scolaire de l'après-guerre, composé d'un ragoût de tomates et de lait en poudre reconstitué. (© Japan Sport Council)
Reconstitution du premier repas scolaire de l’après-guerre, composé d’un ragoût de tomates et de lait en poudre reconstitué. (© Japan Sport Council)

Le premier repas scolaire était frugal et n’était composé que de ragoût de tomates et de lait écrémé en poudre, mais il constituait un apport nutritionnel précieux pour les enfants qui ne savaient pas toujours quand serait leur prochain repas. L’aide sous forme de marchandises en provenance de l’étranger est restée importante et, dans le cadre de la politique d’occupation américaine, une aide supplémentaire a été apportée par l’intermédiaire du Government and Relief in Occupied Areas fund (Fonds du gouvernement et de secours dans les zones occupées). Il faudra attendre 1950 pour voir une réelle évolution des repas scolaires : ils se composent désormais de pain, de lait et de plats d’accompagnement et sont servis deux fois par semaine à 1,3 million d’écoliers de Tokyo, Yokohama, Nagoya, Kyoto, Osaka, Kobe, Hiroshima et Fukuoka.

Cependant, lorsque que le Japon a retrouvé sa souveraineté, après la signature du traité de paix de San Francisco en 1951, le financement de la GARIOA a pris fin. La charge incombait désormais aux familles, d’où le lancement d’une campagne nationale visant à rétablir le programme de repas scolaires financé par le gouvernement. En 1952, le gouvernement subventionnait la moitié du prix de la farine, et le service de repas scolaires a peu à peu été proposé dans tout le pays.

Diffusion des repas dans tous les établissements scolaires du Japon

En 1946, les vice-ministres de l’Éducation, de la Santé et de l’Agriculture publient une directive sur la politique de promotion de l’adoption de programmes de repas scolaires pour la santé et le développement des enfants. Le texte fait valoir son impact positif sur l’enseignement des enfants, sous la forme de dix catégories, allant des connaissances en matière d’hygiène et de nutrition aux bonnes manières et à la diffusion de la pensée démocratique.

La Loi sur les programmes de repas scolaires est promulguée en 1954. Elle apporte avec elle des changements notoires ; les repas scolaires ne sont plus un simple apport nutritionnel mais contribuent désormais à l’éducation des enfants. La mise en place d’un cadre juridique permet une voie unique de développement au Japon, alors même que le pays dépend toujours des importations de denrées alimentaires étrangères. Le texte désignait les quatre objectifs fondamentaux suivants :

  1. Sensibiliser au rôle de l’alimentation dans la vie quotidienne et transmettre les bonnes habitudes à prendre.
  2. Enrichir la vie scolaire et favoriser les interactions entre les élèves.
  3. Mettre en place des habitudes alimentaires régulières chez les enfants et améliorer la nutrition et la santé.
  4. Donner des pistes pour comprendre les processus de production, de distribution et de consommation des denrées alimentaires.

Ces quatre objectifs ainsi que les avantages éducatifs décrits dans la directive des vice-ministres sont toujours d’actualité.

Quels sont les aliments principaux composant les repas scolaires ?

Ci-dessous, une liste des aliments principaux servis dans les repas scolaires au Japon, ainsi que le contexte de leur apparition dans la composition de ces derniers.

Nuggets de baleine

Au Japon, de nombreuses personnes âgées de plus de 50 ans ont déjà mangé de la baleine, qui a fait son apparition pour la première fois dans les repas scolaires vers 1950. À l’époque, le Japon était un grand pays de chasseurs de baleines et la viande du cétacé était considérée comme une source précieuse de protéines. Bien moins chère que le porc, un tiers de son prix, elle figurait régulièrement au menu des repas scolaires jusqu’aux alentours de 1980.

Reconstitution d'un repas scolaire de 1952 : petit pain, lait en poudre et nuggets de baleine. (© Japan Sport Council)
Reconstitution d’un repas scolaire de 1952 : petit pain, lait en poudre et nuggets de baleine. (© Japan Sport Council)

Agepan

Ces petits pains frits enrobés de farine de soja kinako et de sucre ont su conquérir de nombreux palais, tous âges confondus. Autrefois, lorsque les enfants étaient malades, des camarade de classe qui habitaient à proximité leur apportaient une partie de leur repas scolaire qu’ils avaient mise de côté pour eux, et notamment du pain. Mais se demandant comment faire pour qu’il garde tout son bon goût, et surtout ne durcisse pas, un cuisinier d’une école de Tokyo a inventé l’agepan en 1952. Ce pain sucré a tout de suite su trouver son public et est devenu, dès le début des années 1960, un élément incontournable dans la composition des repas scolaires à l’échelle nationale. Toujours très apprécié aujourd’hui, on peut le trouver dans de nombreux magasins de proximité et supermarchés, parfaite collation à manger sur le pouce.

Lait

Dans les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, du lait écrémé en poudre était servi à l’école pour apporter des valeurs nutritionnelles aux enfants. Ils se dissolvait mal et attachait souvent lorsqu’il était chauffé dans la casserole, embaumant une fois refroidi toute l’école, au grand dam de nombreux enfants qui avaient cette odeur en horreur. Un système d’approvisionnement en lait produit localement finira par voir le jour, conformément à une directive de 1964. Ainsi, peu à peu, les écoles ne servent plus du lait écrémé en poudre mais du lait frais.

Nouilles moelleuses

Les soft men (nouilles molles), aliment de base des repas scolaires, étaient vendus en sachets individuels en plastique, servis dans des assiettes avec une sauce au curry ou à la viande. Les premières nouilles ont été produites vers 1960 par un fabricant de Yokohama, plébiscités par l’industrie qui souhaitait voir ces nouilles entrer dans la composition des repas scolaires. Un problème cependant : les nouilles se détrempent lorsqu’elles sont cuites trop longtemps. Le fabricant décide alors d’utiliser de la farine de pain dur et de recourir à une méthode spéciale consistant à cuire les nouilles tout d’abord à la vapeur puis à les tremper dans de l’eau froide avant de les faire bouillir. L’apparition des udon et des nouilles chinoises (chûka men) fabriquées avec une farine spéciale aura peu à peu raison des nouilles molles soft men.

Reconstitution d’un repas scolaire de 1965, avec la petite bouteille de lait et les soft men. (© Japan Sport Council)
Reconstitution d’un repas scolaire de 1965, avec la petite bouteille de lait et les soft men. (© Japan Sport Council)

Riz

Aujourd’hui, plus besoin de préciser que le riz fait partie du menu des repas scolaires au Japon, mais cela n’a pas toujours été le cas. Il faudra en effet attendre plus de 30 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale pour voir cette céréale figurer au menu dans les écoles. Au sortir de la guerre, les mauvaises récoltes de riz se succèdent, il est donc impossible de garantir un approvisionnement suffisant pour les repas scolaires. Mais partir de 1965, tout change ; la technologie de production du riz s’améliore, la conjoncture économique est au beau fixe, les repas s’occidentalisent, générant d’importants excédents de riz. Mais alors qu’en faire ? L’intégration du riz dans la composition des repas scolaires fait débat, puis est officiellement adoptée à l’échelle nationale à partir de 1976. Au début, de nombreuses écoles peinent à passer le pas, gardant le pain comme aliment de base, mais avec l’introduction de réductions de prix plus importantes pour les repas scolaires en 1979, le riz fait son apparition dans les menus des cantines scolaires et y reste.

Élèves d'une école primaire à l’heure du repas de midi. Le riz figure bien au menu. Mashiko, Tochigi, en 1978. (© Japan Sport Council)
Élèves d’une école primaire à l’heure du repas de midi. Le riz figure bien au menu. Mashiko, Tochigi, en 1978. (© Japan Sport Council)

Le riz fait son apparition dans les repas scolaires le midi. Il est préparé dans des usines également chargées de la cuisson du pain. Photographie de 1978. (© Japan Sport Council)
Le riz fait son apparition dans les repas scolaires le midi. Il est préparé dans des usines également chargées de la cuisson du pain. Photographie de 1978. (© Japan Sport Council)

Par ailleurs, dans les années 1980, si de nombreuses écoles servaient du riz à l’heure du repas de midi, les aliments de type occidental envahissent les menus, tant à la maison qu’à l’extérieur. En 1983, le ministère de l’Agriculture, des Forêts et de la Pêche souhaite donc revenir à un repas à la japonaise : riz comme aliment de base et plats d’accompagnement influencés par d’autres pays. Mais le ton est donné : il faut préserver la culture alimentaire traditionnelle. C’est ainsi que les repas scolaires eux aussi se sont diversifiés.

(Photo de titre : élèves d’une école primaire à l’heure du repas de midi en 1952. © Japan Sport Council)

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