Le renouveau régional au Japon
La viticulture nippone en plein essor : la scène française se met à l’heure japonaise
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La Bourgogne s’intéresse au vin japonais
Iwasaki Genki, président du comité exécutif, est à l’initiative de ce rendez-vous inauguré en 2023. Pour sa 2e édition, le Salon des vins japonais 2025 se déroulait dans la Chapelle de l’Oratoire de Beaune, cité emblématique de la célèbre région viticole Bourgogne. On pouvait y découvrir les crus de 50 domaines et 14 producteurs japonais avaient même fait le déplacement.
Les visiteurs étaient nombreux, le salon a vu défiler 600 cavistes, vignerons, restaurateurs et collectionneurs de vin français et de nombreux Japonais étaient également de passage. Pour 450 personnes, il s’agissait d’une première visite. Force est de constater que les vins japonais ont gagné en visibilité et en notoriété dans l’Hexagone.

Le quartier de la Chapelle de l’Oratoire de Beaune (à droite en arrière plan) où a eu lieu le Salon des vins japonais.

Aujourd’hui très populaires auprès des touristes, les hospices de Beaune accueillaient autrefois les pauvres et se finançaient déjà en vendant le vin produit sur le domaine. Le site cultive des liens pluriséculaires avec le monde de la divine bouteille.
La couverture médiatique était importante, les chaînes de télévision françaises et le bureau parisien de la NHK étaient venus tourner au salon qui a par ailleurs attiré les plus grands noms de la viticulture bourguignonne. Philippe Pacalet, dont la renommée n’est plus à faire en matière de vins naturels, s’intéresse au vin japonais depuis une dizaine d’années.
Bertrand Dugat dirige le Domaine Claude Dugat, un prestigieux vignoble situé à Gevrey-Chambertin dont l’exploitation remonte au moins au XVIIe siècle. « Il est fascinant de voir comment au Japon, chaque région a son propre pinot noir. Ici, notre héritage ancestral nous limite, j’étais presque jaloux de découvrir combien les Japonais étaient libres de concevoir et produire leurs crus. »
Mais comment la Bourgogne qui est l’une des plus grandes régions viticoles du monde allait-elle accueillir les vins japonais ? Les viticulteurs nippons avaient quelques appréhensions mais les réactions furent excellentes. Les visiteurs ont été séduits par ces crus uniques, nets et délicats, produits soit à partir de ces cépages qui ont fait la renommée de la Bourgogne, mais aussi avec du Delaware ou des cépages typiquement japonais comme le Muscat Bailey A.
« Je n’avais jamais goûté au Black Queen. Je viens de découvrir ce cépage et j’aimerais en acheter quelques bouteilles pour ma collection personnelle. », explique un collectionneur de crus vivant aux alentours de Beaune. Le Black Queen est un raisin noir donnant un vin foxé aux notes épicées. Ce cépage, comme le Muscat Bailey A, a été créé au Japon.

Les Japonais vivant en Bourgogne ont aidé à l’organisation du salon pendant lequel ils ont servis 600 bouteilles de 139 crus différents.
Faire découvrir les terroirs japonais
Dans mon article précédent, Hokkaidô et la Bourgogne : la naissance d’un partenariat autour du pinot noir, je vous ai présenté le Domaine Takahiko Soga. Or c’est ce vignoble et ses pinots noirs et Blanc de Noirs Nana-Tsu-Mori qui ont le plus séduit les visiteurs. Ce terroir est en train de se faire un nom en France. Nagomi Vineyard (implanté dans la préfecture de Nagano), Fermier (Niigata) et le Kitani Wine (Nara) ont eux aussi remporté l’adhésion.
« Avec cette 2e édition, l’accueil du public a évolué. On est clairement passé d’une simple curiosité pour les vins japonais à un engouement réel », nous raconte Ike Toshihiro, de Nagomi Vineyards. Nous avons beaucoup échangé sur des questions pratiques d’import-export. Le vin d’Ike a figuré à la carte du Chakaiseki Akiyoshi, un restaurant parisien qui en 2025 a reçu une étoile au Michelin.
Pour Honda Takashi, de Fermier : « Grâce à ce salon, de nombreux professionnels (vignerons bourguignons compris) peuvent déguster notre vin et nous faire part de leurs impressions. Cela va nous permettre d’améliorer nos crus. Et qui sait, cela débouchera peut-être sur la signature de marchés. Nous pouvons nous rencontrer et discuter en toute liberté. Si les négociations aboutissent, notre image de marque en sortira grandie. »
Kitani Kazuto, de Kitani Wines, qui avait participé au tout premier salon explique ce qu’il a retiré de sa précédente venue. « Forts des commentaires des experts français récoltés en 2023, nous avons décidé d’augmenter l’acidité en bouche de nos vins, nous avons essayé de nouvelles techniques et segmenté les vendanges. »

Des visiteurs écoutent attentivement la présentation des crus du Domaine Takahiko.

À gauche, un journaliste spécialisé dans les vins japonais. À droite, Étienne de Montille. Ce vigneron bourguignon produit également du vin à Hokkaidô et ses vins étaient proposés à la dégustation lors du salon.
Yanase Mitsuru est à la tête de Vertus, un restaurant parisien spécialisé dans la viande et les vins. Ce chef a évalué les vins en dégustation. « Beaucoup de crus étaient très japonais et exprimaient bien leur terroir. J’ai très envie d’en servir dans mon restaurant à Paris. Beaucoup de Parisiens aiment le Japon, ils devraient être intéressés. » Yanase s’est empressé de conclure un marché afin que les vins de Nagomi Vineyards puissent être à la carte de son établissement.
Oka Noriyuki dirige Gubi Gubi, ce caviste installé aux Pays-bas s’est spécialisé dans les vins japonais. Il était le seul à faire de la vente directe de bouteilles sur son stand et son stock a vite été écoulé. Avec son modèle commercial unique, Gubi Gubi devrait grandement contribuer à faire connaître les vins japonais.
Un échange si formateur
Après avoir fait goûter leurs crus, les producteurs japonais ont eu la chance de pouvoir visiter huit caves prestigieuses de Bourgogne, citons le Domaine Leflaive, le Domaine Dujac et la Maison Philippe Pacalet. Iwasaki qui organise le salon explique : « Donner une vitrine aux vins japonais était un enjeu crucial, mais le salon avait aussi pour objectif de permettre aux viticulteurs japonais de visiter des caves en Bourgogne. » Les participants ont ensuite raconté sur les réseaux sociaux combien l’échange avait été formateur.

De gauche à droite : Ike Toshihiro de Nagomi Vineyards, Oka Noriyuki de Gubi Gubi et Iwasaki Genki, vigneron mais aussi et surtout organisateur du salon.
Durant les sept années de son séjour en Bourgogne, Iwasaki a étudié la vinification et il s’est constitué un vaste réseau. C’est cette expérience qui lui a servi de moteur et lui a donné envie d’organiser un salon des vins japonais. Après son retour au Japon, il s’est lancé dans la production de vin à Tochigi, la préfecture qui l’a vu naître. Le boom du vin japonais tient en grande partie au mode de vie et aux modèles commerciaux de promoteurs comme Iwasaki, pour qui le monde du vin n’a pas de frontière et dont le rêve est d’organiser des salons dans les grandes villes du monde entier. Prochaine étape, Barcelone.
Désormais enracinés dans le paysage du vin mondial, les crus japonais ont grandement gagné en notoriété. De même que les visiteurs étrangers contribuent à mettre en lumière et dynamiser les sites touristiques que les Japonais connaissent parfois à peine, les vins japonais sont plus reconnus à l’étranger qu’au Japon. On se redécouvre au miroir de l’étranger, un regard extérieur permet parfois de mieux saisir sa propre valeur. Espérons que le temps est venu et que les Japonais ne passeront pas à côté de leurs vins de terroir.
(Photo de titre : des restaurateurs français pendant une dégustation de vins japonais. Toutes les photos : © Ukita Yasuyuki)