Les femmes pourront-elles sauver la pêche au Japon ?

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L’industrie de la pêche au Japon fait face à plusieurs difficultés. Le changement climatique provoque une diminution des prises. Les Japonais mangent moins de poissons et de fruits de mer. Et la main d’œuvre manque. Mais sur ce dernier point, les femmes arrivent à la rescousse, et elles sont de plus en plus nombreuses à être motivées pour travailler en mer.

Des femmes, et même des lycéennes, veulent en savoir plus

On observe de plus en plus de femmes travailler sur les bateaux de pêche, une profession qui était depuis longtemps considérée strictement masculine. Lors d’un salon pour les chercheurs d’emploi à Tokyo fin juillet 2025, un nombre impressionnant de femmes se sont jointes aux hommes au gabarit impressionnant, écoutant les présentations de représentants de l’industrie venus de tout le Japon avec beaucoup d’attention.

Le salon avait été organisé par un centre de soutien pour l’industrie de la pêche à Tokyo. Selon la directrice, Magami Atsuko : « Depuis peu, nous voyons de plus en plus de femmes n’ayant aucun lien avec l’industrie assister à ces événements. Elles ont envie de travailler en mer et sont même prêtes à aller s’installer dans des ports de pêche. » Cela marque une différence avec le passé où les femmes qui effectuaient des activités en mer étaient plutôt les épouses ou parents de pêcheurs.

Le salon pour les chercheurs d’emploi a eu beaucoup de succès.
Le salon pour les chercheurs d’emploi a eu beaucoup de succès.

Une participante avec beaucoup de questions
Une participante avec beaucoup de questions

S’alignant avec les mesures du gouvernement, le centre a créé une petite affiche sur le thème du « Soutien aux femmes pêcheurs » pour faciliter leur recrutement. Dans le cadre d’un effort promotionnel, les affiches étaient disponibles lors de l’évènement et sont présentes sur le site web de l’industrie, Ryoushi.jp.

Selon Magami, les retombées sont bonnes. « Jusque-là, peu d’organisations ou d’entreprises de pêche acceptaient les femmes mais selon le sondage effectué en amont de l’évènement, plus de la moitié des exposants sont maintenant prêts à embaucher des femmes ». Kimijima Hiori, en classe terminale, est venue avec son père. « J’adore la mer, et j’adore la pêche et le travail physique qu’elle représente », dit-elle. Les nombreux encouragements reçus lors de l’évènement a renforcé sa volonté, et elle espère commencer à travailler dans l’industrie au printemps prochain.

De nombreux stands exposaient l’affiche soutenant les femmes à la pêche, en haut à gauche de la photo.
De nombreux stands exposaient l’affiche soutenant les femmes à la pêche, en haut à gauche de la photo.

Kimijima Hiori est originaire de Saitama, une préfecture sans littoral. Il lui faudra partir de chez elle pour vivre son rêve mais son père la soutient pleinement.
Kimijima Hiori est originaire de Saitama, une préfecture sans littoral. Il lui faudra partir de chez elle pour vivre son rêve mais son père la soutient pleinement.

Une main-d’œuvre vieillissante et presque entièrement masculine

Pendant des siècles, les femmes n’avaient pas le droit d’aller à la pêche. Cette restriction venait de la croyance que Funadama, la déesse gardienne des bateaux de pêche, était une femme et provoquerait des mers démontées et de mauvaises prises par jalousie. S’il on ne croit plus trop à ces choses aujourd’hui, beaucoup dans l’industrie de la pêche hésitent toujours à embaucher des femmes pour des raisons variées allant de la nature ardue, sale et dangereuse du métier au fait que l’environnement en soi, comme les toilettes par exemple, n’est pas adapté aux femmes.

Cependant, l’industrie de la pêche est en crise depuis quelques années à cause de la chute du nombre de pêcheurs. En 2024, l’enquête structurelle sur le secteur de la pêche du ministère de l’Agriculture, des Forêts et de la Pêche indique que 114 820 personnes travaillent 30 jours ou plus par an dans le secteur. C’est une baisse de 5,4 % sur l’année précédente, et seulement 40 % des 312 890 pêcheurs répertoriés il y a 30 ans, en 1994.

Évolution du nombre de pêcheurs travaillant 30 jours ou plus

Par tranche d’âge, le plus gros groupe (44 480 personnes) est composé de pêcheurs âgés de plus de 65 ans. Ils constituent 40 % du total. En fait, les personnes âgées de plus de 50 ans constituent environ 70 % de tous les employés de l’industrie. Les travailleurs les plus valides, âgés de 15 à 39 ans constituent moins de la moitié de ceux âgés de plus de 65 ans, avec un total de 20 980 personnes. On compte aussi 11 890 femmes, qui représentent environ 10 % du total. Par contre, seulement 1 100 d’entre elles sont âgées de 15 à 39 ans, plus de 90 % ayant plus de 40 ans.

Travailleurs dans le secteur de la pêche par tranche d’âge

La culture de la pêche au bord du gouffre

Selon l’Agence de pêche, entre 1 700 et 2 000 nouveaux pêcheurs sont recrutés tous les ans, y compris ceux qui viennent des lycées piscicoles. Cependant, un représentant de l’industrie indique que près de la moitié abandonne le métier dans les cinq premières années. Les raisons sont variées. Le travail est dur et les revenus ne sont souvent pas stables. Les nouveaux-venus ont des difficultés à s’habituer au travail, ou subissent des abus de pouvoir par des collègues plus expérimentés. Les départs matinaux et les périodes en mer compliquent les relations avec les amis et même la possibilité de trouver un conjoint. Les réseaux téléphoniques fonctionnent mal en mer et pour beaucoup de jeunes, la vie est impossible sans téléphone et Internet. Il y a également des cas où des non-Japonais sont embauchés, par exemple pour la pêche au thon, mais la faiblesse du yen la rend plus compliquée. Il faut aussi des années d’expérience avant de devenir un pêcheur accompli. L’industrie de la pêche au Japon nécessite des travailleurs capables de s’engager dans des ports de pêche et de faire perdurer la tradition, et c’est pour cette raison qu’elle est maintenant prête à accueillir à bras ouverts des femmes passionnées.

Depuis plusieurs années, on observe dans la presse et sur les réseaux sociaux des articles au sujet de femmes épanouies dans leur travail de pêche, ce qui permet d’encourager d’autres femmes à s’y essayer. Urata Shizuku travaille chez Ajiro Gyogyô, une entreprise de pêche à Atami, dans la préfecture de Shizuoka. Depuis qu’elle a terminé ses études au lycée piscicole de Yaizu il y a trois ans, elle est souvent interviewée par les journaux et les chaînes de télévision.

En tant que responsable des filets maillants, elle quitte le port tous les matins avant l’aube six jours par semaine. Après avoir récupéré les filets, elle sépare les variétés différentes de poisson et les achemine. « Je me suis habituée à ce travail maintenant, mais il est dur et peut donc s’avérer compliqué ». Il est clair, par contre, que son engagement est sérieux. « Je serais bien heureuse si l’effort que je fournis permettait de pousser davantage de femmes à travailler dans l’industrie de la pêche et vivre la vie de pêcheur. J’espère que ce que je fais leur donnera envie de faire la même chose. »

La bonne humeur d’Urata anime maintenant le port d’Ajiro. (© Kawamoto Daigo)
La bonne humeur d’Urata anime maintenant le port d’Ajiro. (© Kawamoto Daigo)

Une femme parmi les animateurs du salon

Kanazawa Maki, qui travaille dans l’entreprise Haida Ôshiki d’Owase, dans la préfecture de Mie, a fait un exposé pour les enfants lors du salon de l’emploi. Elle a parlé de son métier, et présenté ses outils de travail, ainsi que toutes sortes de poissons que l’on trouve dans les filets maillants déployés par son entreprise, tout particulièrement la sériole de printemps, une spécialité d’Owase.

Kanazawa explique qu’elle a toujours aimé les poissons depuis toute petite, et qu’elle a effectué des études d’océanographie à l’université. Une fois ses études achevées, elle a mis de côté son projet de devenir pêcheur, en partie en raison de l’opposition de ses parents. Mais si elle a travaillé dans un grand magasin puis dans une compagnie de transport maritime, elle est toujours restée accrochée à son rêve. Elle a participé à une foire de l’emploi et également à plusieurs initiations à la pêche dans des ports différents avant de contacter une entreprise et d’être embauchée il y a maintenant trois ans.

Kanazawa parle de l’attrait de l’industrie de la pêche, une peluche de sériole à la main.
Kanazawa parle de l’attrait de l’industrie de la pêche, une peluche de sériole à la main.

Kanazawa prend la mer tous les matins à 4 heures pour aider à récupérer les filets maillants qui font 100 mètres de longueur et 60 mètres de profondeur. Les filets sont soulevés par des grues, mais certains poissons peuvent peser jusqu’à dix kilos, et les sortir des filets est un dur labeur.

Tout sourire, elle décrit la grande variétés de poissons qu’on retrouve dans les filets et raconte son plaisir à aller travailler chaque jour.

Kanazawa à bord du bateau de pêche (© Ryoushi.jp)
Kanazawa à bord du bateau de pêche (© Ryoushi.jp)

De l’industrie et l’assiette

En ce moment, Kanazawa travaille à développer une marque pour la sériole japonaise (buri), mettant en œuvre l’expérience acquise en relations publiques chez le transporteur maritime. Les sérioles d’Owase sont abattues selon la technique ikijime qui préserve le maximum de fraîcheur, et vendues sous la marque « Yui » en tant que produits à haute teneur en matière grasse et goût exceptionnel. Ceci fait partie d’une initiative de Haida Ôshiki d’augmenter le taux de produits à forte valeur ajoutée. Pleine d’enthousiasme, Kanazawa explique : « Ce n’est pas juste une question d’augmenter les revenus. Les marques permettent aux consommateurs de reconnaître les poissons de qualité, et soutiennent la culture piscicole. Je suis convaincue que les femmes pêcheurs peuvent faire le lien entre l’industrie de la pêche et l’assiette. »

Ses collègues plus expérimentés trouvent son esprit d’initiative très prometteur dans la mesure où il intègre la distribution et la consommation. De son côté, l’entreprise fait des efforts pour créer un environnement plus adapté aux femmes, comme l’installation de toilettes séparées. En automne 2024, ils ont embauché une deuxième femme.

L’industrie de la pêche au Japon fait face à de sérieuses difficultés. Dans une société japonaise qui œuvre à améliorer l’égalité des sexes, des femmes qui dans le passé ne pouvaient que rêver de ce métier font maintenant leurs preuves au sein de l’industrie. Il est certain que leur nouveau regard et leurs idées vont largement contribuer à sauvegarder le monde de la pêche au Japon.

Kanazawa montre ses outils de travail à des enfants qui sont intéressés par la pêche.
Kanazawa montre ses outils de travail à des enfants qui sont intéressés par la pêche.

(Photo de titre : à gauche, Kanazawa Maki, de l’entreprise de pêche Haida Ôshiki © Ryoushi.jp. À droite, une femme participant à la foire de l’emploi de l’industrie de la pêche. Toutes les photos : Nippon.com, sauf mentions contraires)

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