Les règles de savoir-vivre au Japon

La position « seiza » et les multiples façons de s’asseoir au Japon

Tradition Culture

Au Japon, seiza est la façon traditionnelle de s’asseoir. Elle peut s’observer dans de nombreuses occasions telles que les cérémonies de prières bouddhiques ou encore la cérémonie du thé, mais elle n’est pas pratiquée n’importe comment et obéit à un certain nombre de règles. Petit éclairage sur l’histoire de cette coutume et sa place dans le petit monde du savoir-vivre à la japonaise. Nous verrons également dans cet article d’autres façons courantes de s’asseoir.

Comment s’asseoir au sol ?

Tout, d’abord, retirer ses chaussures en rentrant chez soi, s’asseoir sur des planchers en bois ou des tatamis sont tout à fait courants au Japon.

Si les chaises ont été progressivement introduites au cours de l’ère Meiji (1868–1912), jusque dans les années 1980, les familles se réunissaient traditionnellement autour d’une table basse posée sur un tatami pour manger ou se détendre. Encore maintenant, dans les temples et sanctuaires et dans certains restaurants, les visiteurs retirent leurs chaussures avant d’entrer et de s’asseoir à même le sol. Pour de nombreux visiteurs étrangers, plus habitués à s’installer sur des chaises, s’asseoir sur le sol relève quasiment du casse-tête : quelle est la position correcte à adopter ? Voici comment procéder :

Les principales façons de s’asseoir sur le sol

  1. Seiza : la personne s’agenouille et pose ses fesses sur ses chevilles et ses talons
  2. Kiza : la personne a les talons relevés en position de seiza, en équilibre sur ses talons.
  3. Wariza ou kamei : en position de seiza, la personne écarte les jambes vers la droite et vers la gauche en forme de « M ».
  4. Agura : la personne croise les jambes devant le corps, ce qui correspond à s’asseoir en tailleur. Si les jambes sont très près du corps, cette position est appelée anza.
  5. Kekkafuza : la personne croise les jambes et ramène ses talons de chaque côté sur les cuisses opposées. Cette façon de s’asseoir est notamment utilisée pour la méditation zazen. Elle peut se comparer à la position du lotus en yoga.
  6. Sonkyo : la personne s’accroupit en équilibre sur ses orteils. Lorsque ses talons sont abaissés au sol, cette position porte également le nom de « squat des toilettes ».
  7. Tatehiza : la personne se tient sur un genou et l’autre est replié.
  8. Taiiku-zuwari ou sankaku-zuwari : la personne est assise les fesses par terre, les genoux relevés et repliés vers le haut du corps. Les mains sont positionnées sur les genoux ou autour des jambes.

Les Japonais s’assoient de différentes manières. Les jambes peuvent être croisées ou repliées sur le côté, un style bien connu des non-Japonais. Pendant les cours d’éducation physique, les élèves s’assoient sur le sol en relevant les genoux vers le haut du corps ; cette position porte le nom de taiiku-zuwari ou « pose d’EPS », relativement confortable.

Des élèves d’école primaire assis en position de taiiku-zuwari dans la cour d’une école ou en cours d’EPS. (Pixta)
Des élèves d’école primaire assis en position de taiiku-zuwari dans la cour d’une école ou en cours d’EPS. (Pixta)

Dans des arts martiaux tels que le sumô, le sonkyo est une expression de gratitude. Le yokozuna Hakuhô (aujourd'hui à la retraite) lors de son entrée sur le ring, le 23 mars 2016. (Jiji)
Dans des arts martiaux tels que le sumô, le sonkyo est une expression de gratitude. Le yokozuna Hakuhô (aujourd’hui à la retraite) lors de son entrée sur le ring, le 23 mars 2016. (Jiji)

Seiza est la façon la plus exigeante de s’asseoir, une position difficile même pour de nombreux Japonais. Les genoux sont pliés et le poids du torse repose entièrement sur les mollets et les talons, perturbant la circulation sanguine et provoquant une ankylose des jambes en cas de pratique prolongée. Cependant, cette position s’observe toujours abondamment lors d’occasions formelles telles que les cérémonies de prières bouddhiques ou encore lors de la cérémonie du thé.

La seiza est une position inculquée depuis l’enfance. Les Japonais se résignent donc et acceptent que leurs jambes s’engourdissent peu à peu sous le poids de leur corps. Mais pour de nombreux non-Japonais, cette position relève plus de la torture... Pourquoi est-elle donc considérée comme la façon correcte de s’asseoir au Japon ?

Si vous avez des fourmis dans les jambes lorsque vous êtes assis en seiza, la position kiza peut être un bon moyen pour faire circuler à nouveau le sang dans cette partie du corps. (Pixta)
Si vous avez des fourmis dans les jambes lorsque vous êtes assis en seiza, la position kiza peut être un bon moyen pour faire circuler à nouveau le sang dans cette partie du corps. (Pixta)

Engourdir les jambes pour mieux contrôler la personne

Jusqu’au Moyen-Âge, il était coutume de s’asseoir les jambes croisées ou avec un genou relevé, même lors d’occasions formelles. La position seiza aurait donc été pratiquée à cette époque. Notons également qu’elle est autrefois connue sous le nom de kiza (même si l’idéogramme utilisé était différent).

Dans les peintures, les personnages issus de la noblesse ou les guerriers de la cour sont souvent représentés assis, la plante des pieds se touchant. Cette position appelée rakuza (position confortable) ne semble pourtant pas être facile à adopter pour la vie quotidienne. (Copie d'une peinture originale d'Oda Nobunaga exposée au Musée national de Tokyo. Avec l'aimable autorisation de ColBase)
Dans les peintures, les personnages issus de la noblesse ou les guerriers de la cour sont souvent représentés assis, la plante des pieds se touchant. Cette position appelée rakuza (position confortable) ne semble pourtant pas être facile à adopter pour la vie quotidienne. (Copie d’une peinture originale d’Oda Nobunaga exposée au Musée national de Tokyo. Avec l’aimable autorisation de ColBase)

Autrefois, les criminels devaient rester assis en seiza pendant de longues périodes, une forme de torture qui avait pour objectif de les faire avouer ou exprimer des remords pour leurs actes. C’est peut-être également pour cette raison qu’une personne s’assoit dans cette position lorsqu’elle est rappelée à l’ordre ou qu’elle présente ses excuses.

Un tribunal de l’époque d’Edo (1603–1868). Les personnes qui étaient jugées étaient assises en seiza, à même le gravier. Extrait du Tokugawa Keijizufu, un ouvrage de référence illustré sur les affaires criminelles à l’époque du clan Tokugawa. (Avec l'aimable autorisation du musée de l'université Meiji)
Un tribunal de l’époque d’Edo (1603–1868). Les personnes qui étaient jugées étaient assises en seiza, à même le gravier. Extrait du Tokugawa Keijizufu, un ouvrage de référence illustré sur les affaires criminelles à l’époque du clan Tokugawa. (Avec l’aimable autorisation du musée de l’université Meiji)

Ce sont les shôguns Tokugawa qui, en ramenant la paix après un siècle de guerre, ont fait du seiza la façon correcte de s’asseoir. Avec les jambes engourdies, leur audience aurait été docile et donc rendue parfaitement inoffensive. Par ailleurs, il est impossible de se lever brutalement avec une station prolongée en position de seiza, ce qui permettait donc d’éviter toute agression éventuelle d’un supérieur. La position de seiza était également un moyen de montrer respect et obéissance au shôgun, à son vassal ou à un supérieur.

La position seiza a été imitée par des marchands aisés qui participaient à la cérémonie du thé ou à d’autres interactions sociales avec la classe des samouraïs. Elle a ensuite peu à peu été adoptée par les citadins en tant que moyen de montrer son respect à une personne d’un statut social plus élevé. S’asseoir en seiza est particulièrement bénéfique : elle permet d’améliorer sa posture, tout en allongeant naturellement la colonne vertébrale.

Un grand nombre de personnes dans le monde entier s’agenouillent pour prier mais cette dimension de respect est probablement unique au Japon. Cet aspect issu des coutumes observées par les samouraïs trouve son origine dans les plus de 250 années de paix instaurées dans l’Archipel par le clan Tokugawa.

Scène de la cérémonie d'accession de Tokugawa Yoshimune au titre de huitième shôgun Tokugawa, dans Kanko azuma nishiki : Kyû Tokugawa hachidai shôgun senge no zu (« Gravure sur bois colorée de la Déclaration du huitième shôgun Tokugawa »). (Avec l'aimable autorisation de la salle des collections spéciales de la Bibliothèque centrale métropolitaine de Tokyo)
Scène de la cérémonie d’accession de Tokugawa Yoshimune au titre de huitième shôgun Tokugawa, dans Kanko azuma nishiki : Kyû Tokugawa hachidai shôgun senge no zu (« Gravure sur bois colorée de la Déclaration du huitième shôgun Tokugawa »). (Avec l’aimable autorisation de la salle des collections spéciales de la Bibliothèque centrale métropolitaine de Tokyo)

« Les trois tabous du zabuton »

La culture du tatami, une natte tressée plus moelleuse et plus chaude qu’un plancher en bois, a également joué un rôle majeur dans la diffusion de la position seiza. Initialement, les tatamis étaient réservés aux intérieurs de personnes issues de la noblesse ou de samouraïs. Mais ils se sont peu à peu répandus, faisant leur entrée chez les citadins au début du XVIIIe siècle.

Le tatami : confortable pour s'asseoir ou pour faire la sieste, il permet également d’absorber l'humidité, et d’empêcher la formation de moisissures. (Pixta)
Le tatami : confortable pour s’asseoir ou pour faire la sieste, il permet également d’absorber l’humidité, et d’empêcher la formation de moisissures. (Pixta)

Les zabuton, cousins moelleux et plats posés sur le tatami, ont eux aussi fait leur apparition à l’époque d’Edo. Ils permettaient de supporter plus facilement les douleurs causées par la position seiza.

S’asseoir sur un zabuton, oui, mais encore faut-il le faire correctement. Tout d’abord, la personne doit s’asseoir en kiza, derrière le coussin, les genoux repliés sous elle et les talons relevés, puis progresser vers celui-ci en avançant les genoux l’un après l’autre. Lorsque votre hôte vous invite à vous asseoir plus confortablement, remerciez-le avant de vous asseoir sur le zabuton les jambes croisées ou une jambe sur le côté.

Si vous êtes invité à un repas ou à toute autre activité qui se déroule dans une pièce avec un sol en tatami, il est important de ne pas oublier « les trois tabous du zabuton ». Tout d’abord, évitez de marcher sur le coussin. Deuxième chose, asseyez-vous où votre hôte vous dira de le faire et ne changez pas de place sans demander au préalable si cela est possible. Dernière chose et non des moindres, dans le cas d’une réunion plutôt formelle, ou lorsque vous avez une requête à faire ou devez présenter vos excuses, il est de bon ton de vous retirer du zabuton pour le faire, en position « inférieure » à même le tatami.

Le « devant » du zabuton est le côté qui ne laisse pas apparaître de couture et le pompon au centre indique le côté droit supérieur. (Pixta)
Le « devant » du zabuton est le côté qui ne laisse pas apparaître de couture et le pompon au centre indique le côté droit supérieur. (Pixta)

Synonyme de respect, la position seiza est une pratique culturelle unique. Et elle ne s’arrête pas à la vie quotidienne ; on la retrouve également dans le monde artistique et dans des arts martiaux, où les bonnes manières sont de la plus haute importance. Par exemple, en compétition, les joueurs de karuta, de shôgi ou de go s’assoient en seiza, leur permettant de se pencher plus facilement vers l’avant que s’ils étaient assis en tailleurs les jambes croisées.

Cela fait à peine un siècle que les Japonais considèrent la position seiza comme la façon correcte de s’asseoir. Elle faisait même partie intégrante des programmes scolaires avant la Seconde Guerre mondiale. Cependant, les choses ont à nouveau évolué. Les chaises et les canapés ayant eux aussi trouvé leur place dans le quotidien des Japonais, bon nombre d’entre eux ne peuvent même plus s’asseoir en tailleurs. La position seiza est donc encore plus difficile pour eux. À l’école, exiger d’un élève qu’il reste assis en seiza pendant une période prolongée est considéré comme de la maltraitance. De la même façon, bon nombre de seniors, même s’ils ont l’habitude de s’asseoir sur des tatamis, évitent les pièces de style de japonais en raison de douleurs dans les genoux ou dans le bas du dos.

(Article supervisé par Shibazaki Naoto, professeur associé à l’Université de Gifu, spécialiste des études sur la psychologie des bonnes manières et conseiller pour les enseignants dans ce domaine. Illustration de Satô Tadashi. Photo de titre : Jiji)

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