La modernité de l’esthétique traditionnelle

Tsuchiya Kaban : du cartable d’écolier au sac à dos pour adulte

Culture

La maison Tsuchiya Kaban a vu le jour en 1965. Depuis lors, elle fabrique de superbes cartables d’écolier (randoseru) réputés pour être à la fois inusables et indémodables. De quoi satisfaire les parents les plus exigeants et accompagner les enfants japonais durant les six années que dure leur scolarité primaire. Au Japon, le succès des randoseru ne s’est jamais démenti et il est maintenant en train de gagner le reste du monde. Nous avons rendu visite aux ateliers de Tokyo de Tsuchiya Kaban au moment où les employés mettaient la dernière main à la nouvelle collection, juste avant de prendre les commandes pour la rentrée.

Un cartable constitué de plus de 150 pièces différentes

Quand on entre dans les ateliers de Tsuchiya Kaban, on a l’impression qu’il s’agit du gymnase d’une école japonaise. À ceci près que l’endroit est rempli de piles de cartables rouges et noirs soigneusement alignés. Un groupe d’artisans spécialisés dans le travail du cuir assemble des sacs à la fois pratiques, soignés et pratiquement inusables qui sont destinés à des enfants de six ans. La maison Tsuchiya Kaban est en train de préparer sa nouvelle gamme de randoseru, des cartables qui sont aussi devenus un accessoire de mode prisé dans le monde entier (voir article « Le cartable japonais randoseru s’exporte »).

« Nous fabriquons chaque randoseru de façon à ce que la personne qui l’achètera soit entièrement satisfaite. J’ai toujours voulu faire les meilleurs cartables du Japon et que tous mes clients soient contents », affirme Tsuchiya Kunio, le fondateur de l’entreprise à laquelle il a donné son nom il y a plus d’un demi-siècle. Cet homme de 78 ans ne fait absolument pas son âge et il porte un tablier en denim comme ses employés. « Nous ne laissons passer absolument aucun défaut. Pas la moindre anomalie, même sur une livraison de cinq cents cartables. Pour les clients, la seule chose qui compte, c’est le sac qu’ils achètent. »

Tsuchiya Kunio, le fondateur de la marque Tsuchiya Kaban, avec l’un de ses fameux cartables d’écolier.

La maison Tsuchiya Kaban fabrique des randoseru depuis 51 ans et elle est devenue une des marques d’articles en cuir les plus réputées du Japon. Chaque cartable se compose de plus de 150 pièces qui sont assemblées au cours d’un processus complexe comportant plus de 300 opérations.

La première étape consiste à fabriquer le renfort de dos, une des spécificités des cartables de la marque Tsuchiya Kaban. Cette partie du sac est souple et pour qu’elle s’ajuste parfaitement, elle comporte deux couches de rembourrage constituées de deux sortes différentes de mousse polyuréthane. L’assemblage du cuir et de la mousse polyuréthane est effectué à la main. Le dos du cartable est en vachette naturelle souple pour lui assurer une bonne respirabilité. Le côté inférieur du renfort de dos comporte une découpe en forme de U pour éviter l’excès d’humidité quand l’enfant transpire et assurer un meilleur confort du dos. Cette découpe vient s’ajuster dans l’échancrure de la partie supérieure du dos du sac.

Fixation par une couture à la machine du renfort de dos (de couleur noire) sur la partie supérieure du dos (de couleur blanche) du cartable pour écolier de Tsuchiya Kaban. Le côté inférieur du renfort de dos comporte une découpe en forme de U qui vient s’encastrer dans l’échancrure du haut du dos du cartable.

Pour fabriquer ses cartables, Tsuchiya Kaban a recours à divers appareils en particulier des machines à coudre, mais dans l’ensemble le travail d’assemblage se fait à la main. En raison de leur origine naturelle, les cuirs utilisés présentent en effet des variations d’épaisseur, de souplesse et de texture d’une peau à l’autre, ce qui pourrait provoquer des irrégularités et des déformations si la production était automatisée.

L’objectif de ce travail de haute précision, c’est de faire des cartables à la fois confortables et suffisamment rigides pour être solides et ne pas se déformer. Ils sont en effet soumis à rude épreuve par les enfants qui n’arrêtent pas de sauter, de tomber et de courir, chose bien naturelle à leur âge. Tsuchiya Kaban utilise donc des matériaux particulièrement résistants pour renforcer la structure de ses sacs. Le soufflet du cartable est consolidé par une armature solide de plastique. Et les courroies latérales sont doublées par une bande de renfort et entièrement surpiquées pour les rendre à toute épreuve.

(À gauche) Les angles des sacs étant particulièrement fragiles, le cuir est délicatement replié avec le bout des doigts et un poinçon, de manière à former de tout petits plis « façon chrysanthème ». (À droite) Les parties métalliques, qui portent le logo de l’entreprise, montrent à quel point le souci du détail est important pour Tsuchiya Kaban.

L’assemblage est une tâche particulièrement délicate parce que les randoseru de Tsuchiya Kaban sont constitués de peaux d’épaisseur différente. Pour chaque opération, il faut veiller à choisir la grosseur du fil et l’espacement entre les points qui conviennent. Les coutures sont effectuées à la machine parce qu’elles doivent être précises au millimètre près. La moindre irrégularité dans les points serait désastreuse car elle ferait perdre toute son allure au cartable.

Les écoliers utilisent le même randoseru à la fois simple, solide et de haute qualité de leur sixième à leur douzième année. Pour eux, cet accessoire devient un compagnon de route rempli de souvenirs qui les suit tout au long de leur scolarité primaire.

Couture d’assemblage effectuée à la machine dans les ateliers de Tsuchiya Kaban.

Des clients qui se renseignent avant d’acheter

Tsuchiya Kunio avait 27 ans quand il a décidé de se mettre à son compte et de créer une entreprise à laquelle il a donné le nom de Tsuchiya Kaban. Pour ce faire, il a quitté le fabricant d’articles en cuir qui l’avait employé jusque-là. Il a commencé seul en vendant ses sacs à l’endroit même où il les fabriquait. Au début, les clients étaient rares et le jeune artisan a mis du temps avant de se faire connaître. Les gens sont d’abord venus dans son atelier pour voir ce qu’il faisait et ils ne sont revenus qu’après avoir fait le tour des grands magasins et des autres points de ventes de cartables. « Notre boutique était vraiment toute petite. Et c’était une immense joie de voir les gens revenir acheter nos randoseru après avoir fait la comparaison avec ceux des grandes entreprises. »

Tsuchiya Kunio en train de donner des explications à l’une de ses employées, une spécialiste du travail du cuir responsable de l’assemblage final des sacs à la machine, qui travaille chez lui depuis cinq ans.

Depuis, la maison Tsuchiya Kaban s’est considérablement développée. En 2002, elle a commencé à recruter de jeunes artisans spécialisés dans le travail du cuir. Elle emploie à présent 180 personnes qui ont entre 20 et 79 ans. L’âge moyen du personnel est de 35 ans. L’entreprise assume toutes les tâches depuis la planification et la production, jusqu’au marketing, la publicité, la commercialisation et le service après vente. En s’appuyant à la fois sur le savoir-faire incomparable de ses employés les plus anciens et sur le sens de l’actualité des plus jeunes, elle a réussi a créer des produits qui s’adressent à toutes les générations.

Cet artisan du cuir – un des plus anciens de la maison Tsuchiya Kaban – se sert d’un maillet pour fixer un soufflet sur le corps d’un cartable.

Choisir son cartable en regardant comment on le fabrique

Le 9 juin 2016, le jour où Tsuchiya Kaban a présenté sa nouvelle gamme de cartables pour l’année scolaire 2017(*1), des familles avec de jeunes enfants ont envahi le siège de l’entreprise à Nishi-Arai, dans l’arrondissement d’Adachi, à Tokyo. Là où sont fabriqués et vendus les fameux randoseru. Il s’agissait pourtant d’un jour de semaine. Mais Tsuchiya Kaban n’allait pas tarder à commencer à prendre les commandes et il fallait faire vite. L’année précédente, les stocks avaient, paraît-il, été complètement épuisés dès la mi-septembre.

Des clientes en train d’examiner les cartables de la maison Tsuchiya Kaban pour la rentrée 2017. Elles ont le choix entre 60 combinaisons différentes de styles et de couleurs.

Les couleurs qui ont le plus la cote avec les filles sont le bleu lavande et le marron combiné avec du mauve ou du rose. Chez les garçons en revanche, c’est toujours le noir qui a le plus de succès. Le prix des cartables d’écolier de Tsuchiya Kaban va de 56 000 yens (environ 450 euros) à 140 000 yens (environ 1 120 euros) taxes incluses. La livraison est gratuite pour le Japon, mais les commandes en provenance de l’étranger ne sont pas acceptées. Les clients de Tsuchiya Kaban préfèrent en général la vachette à tous les autres matériaux qui leur sont proposés.

Sac à dos de la gamme Karuizawa, une édition limitée que la maison Tsuchiya Kaban fabrique à Karuizawa, dans la préfecture de Nagano.

Les locaux de Tsuchiya Kaban comprennent un espace permettant aux familles d’assister directement à une partie des opérations de fabrication des cartables. Les parents espèrent que leurs enfants prendront soin de leur sac en voyant à quel point les employés s’investissent dans la réalisation de chaque randoseru. De leur côté les artisans sont motivés par les frimousses des enfants appelés à utiliser le produit de leur travail dans les années à venir.

« Cet espace a été conçu pour que nos clients gardent un souvenir mémorable du moment où ils ont choisi leur cartable en famille », explique Seino Tomoko, responsable du secteur publicité de Tsuchiya Kaban. « Les parents sont souvent profondément émus quand ils voient leur enfant porter un cartable pour la première fois. Ils réalisent tout d’un coup à quel point il a grandi. »

Une famille en train d’assister au processus d’assemblage d’un randoseru, à partir d’un espace spécialement conçu à cet effet dans les locaux de Tsuchiya Kaban.

(*1) ^ Au Japon l’année scolaire débute au mois d’avril et finit au mois de mars de l’année suivante.

Les sacs à dos pour adultes de Tsuchiya Kaban : un nouveau marché prometteur

Outre ses fameux cartables pour l’école primaire, la maison Tsuchiya Kaban vend aussi des accessoires en cuir pour adultes. En 2015, à l’occasion de son cinquantième anniversaire, elle a lancé une collection de sac à dos pour adultes appelée « Otona randsel ».

« Les cartables randoseru traditionnels ont la particularité d’avoir la forme d’une boîte rigide qui permet de transporter des documents sans les abîmer, tout en étant très confortables pour le dos », ajoute Seino Tomoko. « Cela fait un certain temps que nous essayons de mettre au point un modèle pour adulte qui soit à la fois solide, beau et fonctionnel. Pour le 50e anniversaire de Tsuchiya Kaban, nous avons voulu faire quelque chose de nouveau et c’est ainsi que les deux modèles de la gamme « Otona randsel » ont vu le jour, en 2015. Ils coûtent 100 000 yens (environ 800 euros) l’unité, mais ils ont tous disparu en une journée partout où ils ont été mis en vente. »

Les modèles de sac à dos pour adulte « Otona ransel » de Tsuchiya Kaban ont eu tout de suite un énorme succès au Japon (photo avec l’aimable autorisation de Tsuchiya Kaban).

Le cartable d’écolier randoseru a été conçu en fonction de caractéristiques propres au Japon et à sa culture. Mais son esthétique particulière et ses qualités fonctionnelles semblent avoir également séduit les autres pays où il est en train de s’affirmer comme un accessoire de mode très recherché. Tsuchiya Kunio se réjouit à l’idée que l’usage de ce type de sac à dos se répande dans le reste du monde en accord avec les exigences et les goûts propres de chaque pays.

À l’heure actuelle, les notions de qualité et de solidité affichées par la maison Tsuchiya Kaban semblent quelque peu anachroniques. Mais ses clients n’ont pas l’air de s’en soucier. Pas plus que ses employés. Tous semblent avoir repris à leur compte la citation un peu désuète de Tsuchiya Kunio qui figure dans le catalogue de l’entreprise. « Plus on utilise les objets, plus on en vient à les aimer. Je voudrais vous faire partager l’expérience particulièrement enrichissante que constitue une telle relation. » Aujourd’hui, les employés de l’atelier de Tsuchiya Kaban continuent à appuyer tranquillement sur la pédale de leur machine à coudre, comme à l’accoutumée.

(D’après un article de Doi Emiko, Nippon.com. Photo de titre : les sacs de Tsuchiya Kaban font tous l’objet d’un contrôle de qualité rigoureux. Les photographies de l’article sont toutes, sauf indication contraire, d’Ôhashi Hiroshi.)

artisan entreprise randoseru