Tokyo de jadis et d’aujourd’hui, à travers estampes et photographies

Ukiyo-photo Cent vues d’Edo [18] : les cerisiers imaginaires du fleuve Tama

Art Culture

Le photographe Kichiya immortalise les lieux de Tokyo qui sont peints sur la célèbre série d’estampes d’Utagawa Hiroshige Cent vues d’Edo, du même point de vue, sous le même angle, et pendant la même saison. La 42e entrée de la série s’intitule « Les fleurs des berges de Tamagawa » (titre original : Tamagawa tsutsumi no hana). L’estampe représente des fleurs de cerisiers imaginaires le long d’un canal du fleuve Tama, qui fournissait l’eau potable de la ville d’Edo (l’ancienne Tokyo).

Des cerisiers sortis de l’imaginaire de Hiroshige

À l’époque d’Edo, Tamagawa-jôsui était une dérivation du fleuve Tama (Tamagawa) qui amenait l’eau potable à partir de Hamura (aujourd’hui ville de Hamura, préfecture de Tokyo) jusqu’au poste d’approvisionnement en eau de Yotsuya. C’est en ce lieu que se gérait la distribution d’eau potable de toute la ville d’Edo à travers des canaux souterrains. À proximité se trouvait le quartier de Naitô-Shinjuku, un haut lieu animé de la prostitution, non reconnu par le gouvernement.

En outre, afin d’attirer encore plus de visiteurs de la capitale, il fut décidé de planter de nombreux cerisiers sur les berges de la Tamagawa-jôsui. Or, c’est sans autorisation que quelqu’un installa sur le terrain privé où se trouvait les cerisiers une pancarte indiquant qu’il s’agissait d’arbres du shogunat, provoquant ainsi l’ire du gouvernement. Celui-ci fit alors raser tous les cerisiers deux mois avant qu’ils ne donnent leurs premières fleurs. Mais Hiroshige avait peint son estampe avant l’affaire, comme une suggestion de ce à quoi ressemblerait l’endroit une fois achevé, ce qui n’advint jamais…

Ma photo est prise du côté nord du grand parc de Shinjuku-Gyoen, sur la voie qui fut construite après comblement de la Tamagawa-jôsui. Et comme l’on raconte que Hiroshige aurait peint son estampe tout près de la « porte Shinjuku », une des trois entrées du parc de Shinjuku-Gyoen, j’ai donc cherché un cerisier sur le côté gauche de la route, mais, 160 ans plus tard, il n’y en a toujours pas. Il y en avait en revanche sur la droite, dans un virage qui rappelait fort bien une courbe de la Tamagawa-jôsui à proximité de la « porte Ôkido ». C’est là que j’ai pris ma photo.

À droite : « Les fleurs des berges de Tamagawa » (titre original : Tamagawa tsutsumi no hana), la 42e entrée de la série Cent vues d’Edo, de Utagawa Hiroshige.
À droite : « Les fleurs des berges de Tamagawa » (titre original : Tamagawa tsutsumi no hana), la 42e entrée de la série Cent vues d’Edo, de Utagawa Hiroshige.

Un sobre hanami au parc de Shinjuku-Gyoen

Ce qui est aujourd’hui connu comme le grand parc de Shinjuku-Gyoen était à l’époque d’Edo la résidence du clan Naitô, du domaine de Takatô à Shinshû (l’actuelle préfecture de Nagano). Douze ans après la fin de l’époque d’Edo, en 1879, l’endroit devint officiellement « Jardin botanique de Shinjuku » géré par l’Agence de la Maison impériale. Le parc fut ouvert au public après la fin de la Seconde Guerre mondiale en 1949 et dépend aujourd’hui du ministère de l’Environnement.

Le lieu compte plus de 10 000 arbres, dont 1 300 cerisiers de 65 variétés différentes. En clair, un magnifique paysage au printemps. De fin mars à fin avril, le parc ouvre tous les jours et accueille de très nombreux visiteurs de 9 heures à 16 heures. Par contre, l’alcool y est interdit ! Impossible donc d’organiser un hanami bruyant et arrosé le soir sous les cerisiers nocturnes… Je le conseille plutôt à ceux qui aiment admirer les cerisiers dans le calme et en plein jour.

(L’entrée coûte 500 yens pour les adultes, 250 yens pour les plus de 65 ans et les lycéens, gratuit en-dessous.)

Cent vues d’Edo

Les Cent vues d’Edo sont à l’origine un recueil d’estampes ukiyo-e (« peintures du monde flottant »), l’un des chefs-d’œuvre d’Utagawa Hiroshige (1797-1858), qui eut une énorme influence sur Van Gogh ou Monet. De 1856 à 1858, l’année de sa mort, l’artiste se consacre à la réalisation de 119 peintures de paysages d’Edo, alors capitale shogunale, au fil des saisons. Avec ses compositions audacieuses, ses vues « aériennes » et ses couleurs vives, l’ensemble est d’une extraordinaire créativité et est acclamé depuis lors comme un chef d’œuvre dans le monde entier.

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Tokyo ukiyo-e cerisier