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Le quartier Golden-gai à Shinjuku : un haut lieu de la prostitution devenu le paradis des buveurs

Culture Tourisme

La partie ouest de l’arrondissement de Shinjuku à Tokyo abrite un petit quartier unique en son genre appelé Shinjuku Golden-gai. Ce lieu aujourd’hui rempli de bars minuscules a d’abord été voué à des activités de marché noir et de prostitution avant de devenir le rendez-vous de prédilection d’intellectuels amateurs de discussions bien arrosées se prolongeant jusqu’à l’aube. À l’heure actuelle, il est en train de s’ouvrir à tous les types de clientèle depuis que ses établissements sont peu à peu repris par des jeunes.

Le Shinjuku Golden-gai est une petite enclave intacte du Tokyo de jadis nichée au cœur de Shinjuku, un des principaux quartiers commerçants de la capitale japonaise. Ces derniers temps, les touristes venus de l’étranger sont de plus en plus nombreux à se presser dans ses petites ruelles, si bien qu’il est animé de jour comme de nuit.

Une ambiance tout à fait singulière

Situé à moins de dix minutes à pied de la sortie est de la gare de Shinjuku, le Shinjuku Golden-gai est accolé au Kabuki-chô, un quartier chaud regorgeant de bars, de restaurants, de cinémas et d’autres divertissements. En y pénétrant pour la première fois, difficile de ne pas être surpris par le changement soudain d’atmosphère qui caractérise cet endroit singulier…

Le côté souvent énigmatique des enseignes lumineuses éclectiques du Golden-gai fait partie intégrante de son charme étrange. On ne peut guère s’y fier pour se faire une idée de ce qui se passe à l’intérieur des bars. Les initiés se glissent furtivement derrière la porte d’entrée de leurs bistrots préférés.

À l’intérieur du quartier, quelque 280 minuscules établissements vétustes se serrent les uns contre les autres. Chacun a une superficie au sol d’à peine 10 à 15 mètres carrés et il est le plus souvent pourvu d’un petit escalier menant à un premier et plus rarement un second étage. Les ruelles étroites sont pleines de gens en quête de la prochaine étape de leur tournée des bars.

Nao est la propriétaire du Nabesan, un débit de boissons qui a ouvert ses portes il y a 45 ans. D’après elle, « pour apprécier pleinement le Golden-gai, mieux vaut connaître son histoire avant de venir y boire ». Voici donc un aperçu de l’évolution de ce quartier à nul autre pareil depuis ses origines jusqu’à aujourd’hui.

Nao, la patronne du Nabesan, en train de fumer une cigarette derrière le comptoir exigu de son minuscule bar du Golden-gai

Du marché noir à la prostitution

Les débuts du Golden-gai remontent à 1945, juste après la défaite du Japon à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. À l’époque, l’endroit, appelé Sankô-chô, se limitait à une sorte de terrain vague envahi par des roseaux à plumes (susuki) et pratiquement dépourvu de constructions. Les forces d’occupation ont décidé d’y transférer les activités de marché noir qui se déroulaient jusque-là du côté est de la gare de Shinjuku.

Le Golden-gai a la forme d’un vaste carré enclavé entre la mairie d’arrondissement de Shinjuku et le sanctuaire shintô Hanazono jinja. Du côté ouest, il est bordé par un espace vert de promenade appelé Shiki no michi (« Chemin des quatre saisons »), orienté nord-sud et parallèle à la rue où se trouve la mairie. Shiki no michi a été aménagé sur le site d’une ancienne ligne de tramway en service jusqu’en 1970. Son aspect a donc considérablement évolué au fil du temps.

La structure du Golden-gai repose sur un quadrillage constitué par sept ruelles dont six sont orientées est-ouest et une nord-sud. Les six premières ont pour nom, du nord au sud, Hanazono Hachiban-gai, Hanazono Goban-gai, Hanazono Sanban-gai, Hanazono Ichiban-gai, G2 dôri et G1 dôri. La septième, qui traverse le côté ouest du quartier du nord au sud, est appelée Maneki-dôri. Ces petites rues sont elles-mêmes reliées à des venelles à peine assez larges pour laisser le passage à une personne !

Le Golden-gai est géré par deux associations indépendantes appelées respectivement Sankô-chô (Association pour la promotion de la zone commerciale de Sankôchô) et Hanazono-gai (Association commerciale du Shinjuku Golden-gai). La première s’occupe de la partie nord du quartier et la seconde de sa partie sud. Pourquoi deux organismes distincts ? À l’origine, chacun regroupait des types d’activités différents. Sankô-chô était spécialisé dans les bars, les restaurants, les salons de coiffure et les cliniques alors que Hanazono-gai se consacrait essentiellement aux divertissements.

Le plan du Golden-gai placé à l’entrée du quartier. Il permet de se faire une idée précise de la densité du tissu urbain de ce quartier de Tokyo. Du côté gauche, on aperçoit (en vert) le promenade Shiki no michi (« Chemin des quatre saisons ») situé à l’emplacement d’une ligne de tramway supprimée en 1970.

La configuration urbaine surprenante du Golden-gai lui vient de son passé en tant que lieu de prostitution. Au Japon, le commerce du sexe a été autorisé dans des zones bien spécifiques jusqu’en 1958, date de l’adoption de la Loi contre la prostitution. Bien que le Golden-gai n’ait jamais été officiellement un quartier chaud, le premier et le second étage de ses petites bâtisses faisaient office de maison de passe. Quand la prostitution est devenue illégale, ces établissements se sont reconvertis en bars, mais la façon très particulière dont ils sont alignés le long des ruelles témoigne clairement de leur passé trouble.

Une ruelle du Golden-gai photographiée du haut du premier étage d’un bar. Jusqu’à la promulgation de la Loi contre la prostitution de 1958, les prostituées recevaient leurs clients à l’étage des petites bâtisses du quartier.

Le paradis des discussions bien arrosées

À partir de 1970, Shinjuku est devenu un pôle de l’avant-garde de la musique, du cinéma, du théâtre et de l’art. De nouveaux courants en réaction contre les idées en place ont fait leur apparition et créé une ambiance fiévreuse qui a attiré toutes sortes d’intellectuels, écrivains, poètes, dramaturges, acteurs et autres individus en relation avec les médias. Dès lors, les conversations et les discussions jusqu’à l’aube autour d’un verre sur les sujets les plus divers sont allées bon train. Et pour certains, le Golden-gai est toujours l’endroit pour des conversations on ne peut plus cérébrales.

Chaque ruelle du Golden-gai a une ambiance bien à elle, mais la ruelle Sanban-gai est celle qui a le mieux conservé l’âme de ce lieu mythique.

L’écrivain Tanaka Komimasa (1925-2000) était un habitué du Golden-gai. En 1978, il a publié un livre intitulé Shinjuku furafura zoku (La faune enfiévrée de Shinjuku) où il décrit l’endroit en ces termes. « À l’origine, le Golden-gai était un quartier chaud. C’est un endroit à part de Shinjuku, où les employés de bureau ne vont pas boire. »  À l’époque, le quartier était fréquenté par des intellectuels amateurs de boissons alcoolisées qui venaient y discuter de littérature et de politique. Et il était considéré comme un lieu douteux et mal famé.

Un lieu fascinant ouvert à tous

Les touristes étrangers sont fascinés par les ruelles étroites du Golden-gai encore empreintes de l’atmosphère du Tokyo des années 1950 et 1960.

Pendant la bulle spéculative des années 1980, le Golden-gai a été menacé par les ambitions effrénées des promoteurs immobiliers. Ceux-ci ont essayé par tous les moyens d’en chasser ses occupants. Mais en vain. Le Golden-gai a réussi à surmonter cette crise, comme les précédentes.

Certains établissements ont été repris par des propriétaires plus jeunes qui ont rénové leurs locaux afin de les rendre plus attrayants. Les nouveaux venus ont réussi à s’harmoniser avec leurs ainés, mais le Golden-gai n’en a pas moins changé. Il attire à présent une clientèle plus diversifiée, tant chez les hommes que chez les femmes. À cela il faut ajouter les touristes étrangers grâce auxquels l’atmosphère du quartier est devenue encore plus dynamique.

Une enfilade de bars dans la ruelle Hanazono Goban-gai. Depuis quelques années, les employés de bureau japonais se rendent de plus en plus volontiers au Golden-gai pour une tournée des bars en solitaire.

Le Shinjuku Golden-gai s’est donc indéniablement transformé. Mais en dépit de toutes les mutations qu’il a connues, il y a un point sur lequel il n’a pas du tout varié : il reste en effet plus que jamais un paradis pour les buveurs. Toute la nuit durant, l’écho de la voix des fêtards ne cesse de résonner dans ses ruelles jusqu’au petit matin…

(D’après un article en japonais. Reportage et texte : Yamashita Kazuki. Photos : Kubo Takahiro. Photo de titre : l’entrée du Shinjuku Golden-gai, à Tokyo)

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