Les femmes dans le Japon d’aujourd’hui

Les femmes japonaises face aux dures réalités du travail et du mariage

Société

Le gouvernement japonais a annoncé haut et fort qu’il a pris des mesures pour faciliter l’accès des femmes au marché du travail. Mais les Japonaises n’en restent pas moins confrontées à des difficultés spécifiques tant du point de vue économique, que de leur vie professionnelle, du mariage et de l’éducation des enfants. Dans l’article qui suit, le chercheur en études de genre Kawaguchi Akira dresse un tableau de la situation des femmes dans le Japon d’aujourd’hui et en particulier du décalage entre leurs espérances et la réalité.

Le Japon, champion des pays développés en matière d’inégalités hommes-femmes

D’après le Rapport sur la parité entre les hommes et les femmes publié en 2014 par le Forum économique mondial (WEF), le Japon arrive à la 102e place sur 142 États recensés en termes de participation et de perspectives économiques des femmes, et à la 104e place pour toutes catégories confondues. Les résultats de l’Archipel sont dans l’ensemble très bas pour un pays développé. L’indice de l’écart entre les femmes et les hommes est de 0,12 (112e rang mondial) en ce qui concerne la direction d’entreprise ; de 0,75 pour le taux d’activité (83e rang mondial) ; de 0,87 pour les experts et les techniciens (78e rang mondial) ; de 0,60 pour le montant estimatif des revenus (74e rang mondial) ; et de 0,68 en ce qui concerne la parité des salaires à travail égal (53e rang mondial). Et on ne constate aucune amélioration sensible depuis 2006, date de la publication de la première édition de ce rapport du WEF.

Cela fait exactement trente ans que le Japon s’est doté d’une Loi sur l’égalité des chances devant l’emploi. Mais si la situation économique des Japonaises s’est améliorée de façon indéniable, il n’en reste pas moins que par rapport aux autres pays développés, les disparités entre les hommes et les femmes ont diminué beaucoup plus lentement dans l’Archipel.

Répartition traditionnelle des rôles dans la société et discrimination systématique des femmes par les entreprises

L’importance de l’écart entre les hommes et les femmes du point de vue économique dans la société japonaise s’explique pour l’essentiel par deux facteurs. Le premier c’est que le principe traditionnel de la répartition des rôles en fonction du sexe – « Les hommes au travail, les femmes à la maison » – a toujours une grande influence au Japon. Le taux d’emploi des femmes de l’Archipel ayant des enfants de moins de trois ans est seulement de 30 %, ce qui est très faible en comparaison des 52 % enregistrés en moyenne dans les pays membres de l’Organisation de coopération et développement économiques (OCDE).(*1) Au Japon, les femmes ont du mal à faire carrière parce qu’elles sont censées assumer la responsabilité des tâches ménagères et de l’éducation des enfants.

Le second facteur à l’origine du décalage entre les hommes et les femmes, c’est la discrimination dont celles-ci sont victimes de la part des entreprises. La plupart des grandes firmes nippones ont un système de formation interne fondé sur la garantie de l’emploi à vie. Elles embauchent des jeunes tout juste diplômés qu’elles prennent le temps de former. Au cours de cette période de formation, les nouvelles recrues changent de poste tous les trois quatre ans au sein de l’entreprise. Dans les sociétés qui ont des activités à l’échelle de la nation, ces mutations s’accompagnent souvent d’un changement de domicile. Ce système pénalise les femmes dans la mesure où la plupart d’entre elles ne peuvent pas s’éloigner de leur famille et sont contraintes de quitter leur emploi. Les Japonaises sont donc victimes d’une discrimination au moment de l’embauche et quand elles sont engagées, elles ne bénéficient pas des mêmes avantages que les hommes en termes de poste, de formation et de promotion.

Le système de gestion des ressources humaines en place dans à peu près la moitié des grandes entreprises de l’Archipel est emblématique de la discrimination à laquelle sont soumises les femmes. Il consiste en effet à répartir les nouveaux employés en deux catégories différentes suivant qu’on les affecte à des tâches principales (sôgôshoku) ou subalternes (ippanshoku). Le premier type d’emploi va de pair avec des transferts et la possibilité d’accéder par la suite à des postes d’encadrement alors que le second ne comporte ni mutations ni promotions.

En 2012, 72 % des entreprises recrutant du personnel pour des postes de type sôgôshoku avec des mutations à la clé ont déclaré que plus de 80 % de leurs employés de cette catégorie étaient des hommes. À l’occasion de la même enquête, 52 % des firmes ayant une filière ippanshoku ont affirmé que plus de 80 % des recrues de ce type étaient des femmes.(*2) Ce qui revient à dire que lorsque la gestion des ressources humaines repose sur la double filière en question, le choix se fait en fonction du sexe du candidat. Le Japon est le seul pays développé où les entreprises ont ouvertement recours à un tel subterfuge.

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(*1) ^ OECD Employment Outlook (Les Perspectives de l’emploi de l’OCDE), 2014.

(*2) ^ Koyô kintô kihon chôsa (Enquête nationale sur l’égalité hommes-femmes au travail), ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales, 2012.

L’augmentation du nombre des femmes qui travaillent va de pair avec celui des emplois précaires

Le taux d’emploi des femmes progresse, même si c’est lentement. En 1990, juste avant l’éclatement de la bulle économique, 56 % des femmes âgées de 15 à 65 ans travaillaient. Et en 2014, ce pourcentage a atteint 64 %. Mais durant toute cette période, le taux d’emploi des hommes est resté pratiquement le même.

L’augmentation de la proportion des femmes dans la population active ne signifie pas pour autant qu’elles ont davantage de chances de faire valoir leurs compétences. Entre 1990 et 2015, le nombre des Japonaises travaillant à temps complet est passé de 10 500 000 à 10 150 000, soit une diminution de 3,3 %. Dans le même temps, celui des femmes cantonnées dans un emploi précaire a plus que doublé puisqu’il a progressé de 6 460 000 à 13 430 000.(*3) Si le taux d’emploi des Japonaises a augmenté, c’est donc essentiellement à cause des emplois précaires féminins. Une tendance qui contribue plus que tout autre facteur au maintien de l’inégalité des salaires entre les hommes et les femmes.

Des femmes poussées à travailler à cause de la baisse des salaires des hommes

La baisse des salaires masculins a contribué à faire grimper le taux d’emploi des femmes. Depuis l’éclatement de la bulle économique au début des années 1990, les salaires des hommes qui ont poste à temps complet stagnent et le nombre des emplois précaires masculins augmente. En 2014, on a recensé 2 350 000 emplois temporaires ou CDD masculins de plus qu’en 1990, soit une augmentation de 171 %. La baisse des revenus des employés de sexe masculin a contribué à augmenter le nombre des femmes qui travaillent pour deux raisons.

En premier lieu, le mariage est exclu pour les hommes de plus en plus nombreux qui ont de trop faibles revenus. Les Japonais des deux sexes ont donc tendance à se marier plus tard ou pas du tout et les femmes qui restent célibataires en continuant à travailler se multiplient. En second lieu, les couples mariés ne peuvent plus espérer un niveau de vie comparable à celui du temps où le mari faisait vivre toute sa famille avec son seul salaire, ce qui pousse les femmes à contribuer à leur tour aux revenus du ménage. Beaucoup de Japonaises continuent à travailler une fois mariées. Et si elles quittent leur poste quand elles ont des enfants, elles reprennent un emploi à temps partiel dès que ceux-ci ont grandi. Elles rejoignent ainsi le groupe de plus en plus vaste des salariés précaires.

Le décalage entre l’idéal et la réalité

Les femmes japonaises souhaitent-elles vraiment travailler ? D’après une enquête réalisée en 2010 par l’Institut national de recherches sur la démographie et la sécurité sociale auprès de célibataires des deux sexes, la plupart des femmes célibataires espèrent quitter leur emploi après le mariage et la naissance des enfants puis à recommencer à travailler après avoir élevé leur progéniture. 35 % des Japonaises célibataires interrogées sur leurs souhaits en matière de vie professionnelle et familiale ont choisi cette option. 31 % préféraient continuer à travailler tout en se mariant et en ayant des enfants et ce faisant, elles espéraient concilier leur carrière et leur vie familiale. 20 % souhaitaient devenir des femmes au foyer à plein temps une fois qu’elles seraient mariées et mères de famille. 5 % ont manifesté le désir de rester célibataire en continuant à travailler. Enfin, à peine 3 % des femmes célibataires interrogées envisageaient de se marier sans avoir d’enfants.(*4)

L’enquête menée en 2010 par l’Institut national de recherches sur la démographie et la sécurité sociale portait non seulement sur la vie dont rêvent les femmes célibataires japonaises mais aussi sur ce à quoi elles s’attendent dans la réalité. Le contraste entre les deux est particulièrement frappant dans plusieurs cas. Si 20 % de ces femmes espéraient consacrer leur vie à leur famille, 9 % à peine pensaient que ce serait possible. De même, 25 % seulement de celles (31 %) qui souhaitaient concilier carrière et vie familiale croyaient qu’elles y parviendraient.Le choix des femmes qui voulaient rester célibataires en continuant à travailler semblait en revanche beaucoup plus réaliste, 5 % seulement considérant qu’il s’agissait d’un idéal alors que 18 % s’attendaient à ce que les choses se passent ainsi. Ce qui veut dire que ces Japonaises étaient persuadées qu’elles ne pourraient pas se marier même si elles le souhaitaient.

(*3) ^ Rôdôryoku chôsa (Enquête sur la population active), ministère des Affaires intérieures et des communications, 2015.

(*4) ^ Dai 14 kai shusshô dôkô kihon chôsa : kekkon to shussan ni kansuru zenkoku chôsa (14e enquête nationale sur l’évolution de la fécondité : attitudes envers le mariage et la famille chez les célibataires japonais), Institut national de recherches sur la démographie et la sécurité sociale, 2010

Une période défavorable au mariage

Comment les attitudes des Japonais ont-elles évolué en ce qui concerne le mariage et le travail ? Si l’on compare les réponses obtenues lors des enquêtes menées respectivement en 1987 et en 2010 par l’Institut national de recherches sur la démographie et la sécurité sociale, le changement est plus flagrant chez les hommes que chez les femmes. En 1987, 38 % des célibataires de sexe masculin concevaient leur future épouse comme une maîtresse de maison à plein temps alors qu’en 2010, ils n’étaient plus que 11 %. Dans le même temps, la proportion de ceux qui préféraient que leur partenaire continue sa carrière est passée de 11 % à 33 %. Si dans le passé, beaucoup de Japonais s’attendaient à ce que leur futur conjoint reste à la maison après le mariage, ils sont aujourd’hui de plus en plus rares.

Au cours de la même période, le pourcentage des célibataires de sexe féminin souhaitant se consacrer à leur foyer après le mariage a régressé de 34 % à 20 % entre 1987 et 2010. La proportion des femmes qui veulent concilier carrière et vie familiale a au contraire augmenté de 19 % à 31 %. En ce qui concerne la faisabilité de leurs vœux, la tendance est la même, le pourcentage des Japonaises qui s’attendent à mener une vie de mère de famille à temps complet passant de 24 % en 1987 à 9 % en 2010 et celui des femmes qui pensent qu’elles pourront mener de front vie professionnelle et vie familiale augmentant de 15 % à 25 %. On constate toutefois une progression remarquable  – de 7 % à 18 % – du nombre des Japonaises célibataires qui s’attendent à ne pas se marier et à continuer à travailler dans la réalité. La vie de femme au foyer à plein temps n’est certes pas vraiment facile. Et concilier les exigences d’un emploi avec les tâches domestiques et l’éducation des enfants n’est pas non plus une occupation de tout repos. Mais dans le Japon d’aujourd’hui, ce qui est de plus en plus difficile c’est tout simplement de se marier.

(D’après un texte en japonais du 21 juillet 2015. Photographie du titre : le quartier Marunouchi de Tokyo, Jiji Press.)
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