Les techniques de rangement de Kondô Marie envoûtent le monde

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Connue sous le surnom de « Konmari », Kondô Marie est devenue célèbre au Japon en tant que spécialiste du rangement de maison, et son émission diffusée sur Netflix est actuellement un succès. Sa renommée l’a même transportée à la cérémonie des Oscars aux États-Unis, où elle y était invitée. D’où vient un tel engouement pour les méthodes de Konmari ? Analysons le phénomène qui s'est également étendu en France avec la parution de La magie du rangement en 2015.

Les techniques de rangement de Kondô Marie remportent un énorme succès aux États-Unis. Je m’y suis d’ailleurs rendue l’autre jour, et j’ai participé à une vente de charité qui appelait avec humour à réunir le plus de dons possibles grâce à une astuce : ranger sa maison à fond pour débusquer toutes les affaires inutiles. Et lorsque le visage de Kondô Marie est apparu en grand sur un diaporama, toute la salle s’est excitée. Pas besoin de mots, donc, pour décrire sa notoriété…

Son livre phare a été publié en 2010 au Japon, en 2014 aux États-Unis et en 2015 en France. Il s’agit de La Magie du rangement (Pocket).  L'émission Netflix diffusée depuis le 19 janvier 2019 montrant Konmari aux prises avec les pièces désordonnées de foyers américains redonne un nouveau souffle à la popularité de cette experte en rangement.

Voyons maintenant les caractéristiques propres au rangement « à la japonaise » en les mettant en contraste avec celles des États-Unis.

Comparaison avec le minimalisme

Cela peut paraître assez farfelu, mais la méthode de rangement de Konmari préconise tout d’abord de s'asseoir et de se calmer. L’image de cette jeune asiatique s’asseyant en posture formelle à genoux a un impact considérable dans ce programme de télé-réalité aux États-Unis. Il est déjà suffisamment drôle de voir ce petit bout de femme assise par terre au côté d’Américains plus trapus qui essaient de se relaxer, mais il est encore plus surprenant de les observer se concentrer mentalement avant de s’attaquer à leur rangement...

Le maître-mot de Konmari est « tokimeki », qui correspond à l’origine à la sensation que l’on ressent lorsque notre cœur palpite sous le coup d’une émotion. Pour notre experte, il signifie ici « procurer de la joie ». Ainsi, Konmari explique que lorsque vous rangez, le contact tactile avec chacun de vos objets vous permettra de décider de le jeter ou non en fonction de son degré de tokimeki, en clair, si l'objet en question vous procure ou non de la joie. Ne gardez que les choses avec lesquelles vous avez des « affections », et débarrassez-vous des autres.  L'idée d’ajouter une sorte de spiritualité dans le choix de jeter ou non les choses est absente des techniques de rangements conventionnelles.

Vous pouvez avoir un aperçu de ce type d’approche dans le concept du « minimalisme », que certaines personnes pratiquent et qui a tendance à se répandre aux États-Unis et au Japon. D’après ce que j’ai pu en voir, le minimalisme américain est divisé en deux grandes tendances.

La première existe pour une raison très simple et très concrète : moins il y a d’objets, moins il y a besoin de temps à consacrer pour leur entretien. Par exemple, dans les familles nombreuses, où prendre soin des affaires de tout un chacun devient un véritable cauchemar, ou encore dans les familles ayant des personnes atteintes de trouble du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), réduire le nombre d’affaires au minimum peut alléger le fardeau qui pèse sur leur esprit.

Une autre tendance est de renforcer sa richesse spirituelle en renonçant à ses richesses matérielles. Ce minimalisme trouve son origine dans la pensée zen. Les adeptes recherchent la beauté simple et la simplicité ultime. À première vue, de telles idées minimalistes semblent être proches de la spiritualité de la méthode Konmari. Mais pour atteindre cette richesse spirituelle, encore faut-il se réussir à se débarrasser de ses objets personnels, ce que beaucoup ont encore du mal à faire…

Cependant, la méthode Konmari, elle, consiste à « remercier » ses objets au moment de les jeter et de rendre hommage aux souvenirs que vous avez partagés avec eux. Tout le monde peut donc toucher du doigt la spiritualité alors qu’il s’apprête à se débarrasser des affaires dont il n’a plus besoin. Il est facile de transmettre cette idée sous la forme d’un programme télévisé, et j’imagine que c’est peut-être la raison pour laquelle elle a un succès retentissant aux États-Unis.

Le lien avec les vertus japonaises

Peut-on mettre en relation la méthode de rangement de Kondô Marie avec les valeurs traditionnelles des Japonais ? Je pense que oui.

Au Japon, il y a le concept du mottainai, ou « contre le gaspillage », qui amène tout un chacun à chérir davantage encore les objets qu’il possède. Dans ce cas, comment la méthode de rangement de Kondô Marie a-t-elle su trouver écho auprès des Japonais ? Pour ma part, je pense que c’est l’acte de remercier ses objets précieux avant de s’en débarrasser qui évite l’impression de gaspillage.

Mais un autre type de rangement avait fait parler de lui en 2009 au Japon. Il s'agit du danshari ou « faire le vide chez soi ». Le concept amené par Yamashita Hideko et tiré des enseignements du yoga consiste à « refuser » (dan) de s’attacher aux objets, à « jeter les choses » (sha) et donc à s’en « séparer » (ri). Pour ainsi dire, une approche complètement à l’opposé de l’esprit du mottainai, et même assez sévère. En effet, le danshari divise les personnes en deux types bien distincts : ceux qui sont capables d’appliquer ce concept, et seront félicités par la société, et ceux qui n’en sont pas capables, et se sentiront coupable de leur échec.

Notons cependant qu'aux États-Unis, les minimalistes adeptes du zen, ceux qui sont capables de se débarrasser de leur richesse matérielle au profit de la richesse spirituelle, ressentent de la satisfaction sans pour autant être acclamé par la société ! Je dirais même qu’elles sont plutôt traitées comme des personnes étranges... 

Le zen est intimement lié à l'esprit japonais. Les samouraïs possèdaient des vertus trouvant en grande partie leurs origines dans le zen, tels que la sincérité, la vigueur et la simplicité, par opposition à la luxure. Cette notion de simplicité, par exemple, remonte aux Réformes Kyôhô du shogun Tokugawa Yoshimune (1684-1751), et on la retrouve également après la restauration de Meiji de 1868, avec le « Rescrit impérial aux soldats et aux marins » délivré par l’empereur Meiji en 1882. « Ne pas se laisser tenter par la luxure » est un message qui s’étendra jusque dans les écoles et qui sera partagé par le peuple pendant la guerre bien sûr, mais également après le conflit.

Le message positif de Kondô Marie

Le Japon jouit d'une richesse matérielle due à la forte croissance économique de l'après-guerre. Mais derrière cela, le sens des valeurs d'avant-guerre persiste, et les personnes se retrouvent tiraillées entre les vertus spirituelles et la convoitise… Ceux qui se retrouvent à amasser des objets sans pouvoir s’en débarrasser sont considérées comme « paresseuses et désordonnées ».

Cependant, le véritable sens des valeurs vu par la méthode Konmari ne s’arrête pas là. Non, il n’y a rien de paresseux ou désordonné à refuser de jeter ses affaires. Bien au contraire, cela prouve que l’on désire conserver précieusement ses souvenirs et respecter le concept de mottainai. Mais, sachons remercier les objets qui ne nous procurent plus de joie, qui ne possèdent plus de tokimeki, et apprenons à nous séparer d’eux. Voici ce que propose Kondô Marie. Ce message résonne sans doute dans le cœur de ceux qui n’arrivent pas à se débarrasser de leurs affaires sous prétexte qu’ils peuvent, un jour, être utiles à nouveau…

Le rangement : une affaire de femmes ?

Je me suis également aperçue que les raisons du succès de la méthode Konmari étaient différentes en fonction de la culture du pays concerné. Par exemple, le rôle des hommes et des femmes. Dans le « Konmari Show » aux États-Unis, un grand nombre d’hommes se prêtent au jeu. De plus, Kondô Marie va jusqu’à se rendre sur le lieu de travail pour prodiguer ses précieuses techniques de rangement.

Au Japon, dans de très nombreux cas, c’est à des femmes que l’experte donne ses conseils, chez elles. Au Japon, beaucoup de femmes se sentent désemparées face à l’idée de devoir ranger, mais c’est précisément parce que ces dernières se voient attribuer malgré elles ce rôle. Ajoutons que les médias japonais contribuent eux aussi à véhiculer ce type d’idée préconçue. Cela a sans doute des conséquences sur la répartition inégale des tâches ménagères (voir notre article lié).

(Article écrit à l'origine en japonais. Photo de titre : Kondô Marie lors d"un événement à New York le 11 juillet 2018. AP/Aflo)

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