La modernité de l’esthétique traditionnelle

Des éventails japonais « uchiwa » au summum de l’artisanat

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Les éventails uchiwa sont des accessoires non pliables dont la présence définissent presque à eux seuls l’été japonais. Parmi eux, certains sont décorés de motifs très originaux : nous vous présentons les éventails Sesson qui, avec leur forme carrée caractéristique, de grande taille et pourtant extrêmement légers, capables de générer un mouvement d’air conséquent, connaissent récemment une belle popularité. Derrière ce succès se cache une dame de 97 ans toujours à l’œuvre.

La technique de fabrication des éventails Sesson se transmet de génération dans la ville de Hitachi-Ôta (préfecture d’Ibaraki). Ces éventails sont décorés d’un motif symbolique de l’été, dessiné à l’encre dans le style traditionnel sur papier japonais (washi) : volubilis, chevaux, concombres, aubergines, etc. Ces motifs sont inspirés des œuvres du peintre Sesson, un bonze-peintre à la fin de l’ère Muromachi (XVIe siècle) à Hitachi-Ôta qui, dit-on, fabriquait et peignait ses propres éventails uchiwa. Les modèles se reproduisent encore de nos jours, soigneusement un par un, à la main, dans la même ville.

Deux éventails Sesson. Les copies des modèles de Sesson du 16e siècle, ou des maîtres-artisans des générations passées sont imprimées sur papier japonais avant d’habiller un éventail.
Deux éventails Sesson. Ce sont des copies des modèles de Sesson du XVIe siècle, ou des maîtres-artisans des générations passées sont imprimées sur papier japonais avant d’habiller un éventail.

33 gestes techniques accomplis par une dame de 97 ans

La dernière maître-artisan, de la quatrième génération, se nomme Akutsu Fusako.  Âgée aujourd’hui de 97 ans, cela fait plus de 80 ans qu’elle fabrique à la main des éventails Sesson.

La maître-artisan réalise tout toute seule, à commencer par les baleines de l’éventail, fendues dans une seule pièce de bambou.
La maître-artisan réalise tout toute seule, à commencer par les baleines de l’éventail, fendues dans une seule pièce de bambou.

La structure en bambou est réalisée dans des cannes de la variété Madake qui poussent à proximité. Après 8 mois de séchage à l’air libre, elle habille la structure de papier japonais, et ce ne sont là que quelques uns des 33 gestes techniques nécessaires à la création d’un éventail Sesson...

« Jusqu’à l’âge de 90 ans, j’ai accompagné mon fils en montagne, pour lui éduquer le regard à choisir les bons bambous. » Aujourd’hui, ce dernier semble posséder ce fameux talent.

Dans un tronçon de bambou vert de 37 cm de long, Mme Akutsu pratique 9 fentes verticales à l’aide d’une grande lame. Puis, après avoir désépaissi le tronçon, à l’aide d’un scalpel, elle marque 40 fentes pour en tirer des lames de moins d’1 mm d’épaisseur qu’elle ouvre à la main.
Dans un tronçon de bambou vert de 37 cm de long, Mme Akutsu pratique 9 fentes verticales à l’aide d’une grande lame. Puis, après avoir désépaissi le tronçon, à l’aide d’un scalpel, elle marque 40 fentes pour en tirer des lames de moins d’1 mm d’épaisseur qu’elle ouvre à la main.

Les baleines sont écartées et étalées régulièrement grâce à un lien tressé en jonc mouillé.
Les baleines sont écartées et étalées régulièrement grâce à un lien tressé en jonc mouillé.

Fabriquer les éventails

Chaque jour, vers 9 heures, la journée commence par la sortie à l’air libre des structures de bambou, qu’il faudra rentrer le soir vers 16 heures. Et ceci tous les jours sans exception de décembre à août, sauf les jours de pluie. Ce sont ainsi environ 1 000 structures d’éventail qui sèchent au soleil. « C’est assez physique, comme travail ! Je travaille 366 jours par an ! Mais c’est grâce à ce travail que mon corps est solide. »

Les structures de bambou sèchent à l’air libre. Mme Akutsu les sort le matin, les rentre le soir.
Les structures de bambou sèchent à l’air libre. Mme Akutsu les sort le matin, les rentre le soir.

Mme Akutsu ne ménage ni son temps si sa peine pour la fabrication de ses éventails. La réalisation d’un éventail Sesson consiste en deux grandes étapes : la réalisation des structures de bambou, et la pose de la couverture en papier japonais. La coupe des bambou madake s’effectue l’hiver. Fendre les bambous et réaliser les structures aussi sont des opérations de la saison froide. Il faut choisir des bambous dont l’espace entre les nœuds est suffisamment long, des bambous bien gros et bien droits. Puis, la fente et la réalisation de la structure doit se faire avant que le bambou ait séché, car sinon il ne se fend plus aussi régulièrement.

Les étapes les plus délicates sont la fente des lames et le nouage des baleines. À l’extrémité verticale du tronçon de bambou il faut pratiquer environ 40 incisions à moins d’1 mm d’intervalle à l’aide d’une lame à double tranchant très aiguisée. Puis un tour de main particulier, entre le pouce et l’index, fait courir les incisions pour ouvrir et séparer chaque baleine. C’est presque de la prestidigitation, pour obtenir des lamelles très fines et souples. Puis, un brin de jonc (de la variété dont on fait les tatamis) est tressé entre les lamelles de façon à les maintenir dans le bon écartement. À ce moment, l’éventail commence à prendre forme.

Un jonc mouillé pour lui donner de la souplesse est tressé entre les baleines afin de leur donner l’écartement adéquat. Mme Akutsu fabrique entre 20 et 25 structures par jour.
Un jonc mouillé pour lui donner de la souplesse est tressé entre les baleines afin de leur donner l’écartement adéquat. Mme Akutsu fabrique entre 20 et 25 structures par jour.

Une dame d’une grande habilité

L’encollage et l’application des couvertures de papier japonais constituent l’étape suivante. D’abord la face envers, puis la face avers. La main presse le papier sur la structure, afin que le papier et le bambou apprennent à se marier l’un à l’autre. Les gestes sont nets, précis, et aucun mouvement est inutile. Les mains travaillent toutes seules, elles ont leur intelligence propre.

« Mon mari, qui est mort à 60 ans, possédait un bon sens pictural. Il m’a laissé, en plus des modèles de Sesson, une vingtaine de lavis des "Huit paysages de Mito" ou de fleurs de volubilis. Je les utilise toujours en les imprimant sur papier japonais. Grâce à lui, j’ai bien de la chance de pouvoir utiliser de si beaux motifs ».

Il faut un toucher très exercé pour réussir un parfait encollage et une parfaite mise en place du papier sur la structure. La colle est enduite au pinceau sur la structure de bambou, et le papier japonais fait main est plaqué dessus. La colle est fabriquée à base de farine de blé bouillie. Elle ne fabrique que la quantité nécessaire à la journée.
Il faut un toucher très exercé pour réussir un parfait encollage et une parfaite mise en place du papier sur la structure. La colle est enduite au pinceau sur la structure de bambou, et le papier japonais fait main est plaqué dessus. La colle est fabriquée à base de farine de blé bouillie. Elle ne fabrique que la quantité nécessaire à la journée.

Avec un bambou madake local soigneusement choisi, une structure liée avec un jonc solide, il faut du papier Nishinouchi résistant qui ne se déchirera pas facilement. Le papier Nishinouchi est un papier fait main dans la ville de Hitachi-Ômiya, exclusivement à partir de fibres de murier à papier (kôzo). Il possède une excellente durabilité. Fabriqués avec une telle exigence, les éventails sont très solides.

Mme Akutsu reçoit des lettres de clients qui l’assurent que ses éventails sont toujours d’une tenue parfaite après 10 ans de services. Certains utilisent même leur éventail depuis 20 ans.

« Un produit qui dure autant, ça ne fait pas marcher le commerce, ça ! » dit Mme Akutsu avec un sourire pétillant de malice.

La peinture bouddhiste représentant la divinité Benzaiten, exposée dans l’entrée, est une peinture originale offerte par un client. Mme Akutsu la salue tous les matins et tous les soirs, et la remercie pour cette journée de vie supplémentaire. Elle travaille sur la galerie extérieure de sa maison, exposée au sud et face au jardin.

 « Les hivers sont ensoleillés, il y fait bon. Je travaille tant qu’il fait jour, et dès qu’il fait nuit, la journée est terminée. » Elle se met alors sous son kotatsu  (table chauffante) et regarde les films de samouraïs à la télévision, prend son dîner, puis se couche à 20 heures 30 ou 21 heures.

« La maison est bien aérée. C’est-à-dire que les hivers sont froids, mais je n’ai pas besoin de ventilateur en été. Un éventail suffit amplement ! »

Ses trois enfants étant indépendants, Mme Akutsu vit seule et à son rythme. « Je travaille comme je veux, je vis selon mon bon plaisir. Autour de moi les voisins sont très gentils. Je n’ai jamais été aussi heureuse ! »

La maison, construite à l’époque Meiji, est bien ventilée en été, le soleil y rentre en hiver. Mme Akutsu travaille dans la galerie extérieure.
La maison, construite à l’époque Meiji, est bien ventilée en été, le soleil y rentre en hiver. Mme Akutsu travaille dans la galerie extérieure.

(Article écrit à l’origine en japonais. Reportage et texte de Mutsuda Yukie. Photos : Ôhashi Hiroshi)

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