Les règles de savoir-vivre au Japon

« Shûgi » et « Kôden » : comment offrir de l’argent pour présenter ses voeux ou ses condoléances

Tradition Vie quotidienne

Au Japon, la coutume veut que l’on offre de l’argent dans des enveloppes dédiées lors des mariages ou des funérailles. Présentons les règles complexes qui régissent cette pratique.

Éviter toute souillure

Offrir de l’argent fait partie intégrante de la culture japonaise. On donne des « shûgi » (somme d’argent offerte pour présenter ses voeux de bonheur ou de réussite) pour célébrer un mariage, une naissance, l’entrée à l’école ou dans la vie active, à l’occasion d’une remise de diplômes, ou encore pour la fête du shichi-go-san (signifiant littéralement 7-5-3, les familles se réjouissent que leurs enfants aient atteint ces âges).

Autrefois, comme on considérait que donner de l’argent laissait une trace et que c’était une souillure, on ne faisait pas ce type de cadeau pour d’heureux événements. Pour présenter ses vœux, les cadeaux en nature étaient traditionnellement la norme ; les dons d’argent ne se sont généralisés qu’à l’époque moderne, avec le développement d’une économie basée sur la circulation fiduciaire. Beaucoup de Japonais utilisent des billets neufs pour les shûgi, car ils considèrent qu’ils sont exempts d’impuretés.

Assortiment bigarré d’enveloppes shûgi-bukuro. En règle générale, plus le montant offert est important, plus l’enveloppe sera raffinée. (Pixta)
Assortiment bigarré d’enveloppes shûgi-bukuro. En règle générale, plus le montant offert est important, plus l’enveloppe sera raffinée. (Pixta)

Les sommes d’argent offertes lors de funérailles sont appelées kôden. Cette coutume s’est répandue dans les classes supérieures à partir de l’époque de Muromachi (1333-1568), mais à l’origine il était plus courant d’offrir de la nourriture à la famille endeuillée. Cette coutume a fini par céder la place à des dons d’argent (kôden) pour compenser les dépenses en encens ou l’achat de fleurs.

Comme il est considéré comme souillé ou impur, l’argent n’est jamais remis tel quel ; les billets sont glissés dans des enveloppes dédiées. Les papeteries en proposent une grande variété, le design varie en fonction de l’usage (shûgi ou kôden) et du montant du don. Les enveloppes simples sont parfaites pour les kôden et autres petits montants. Mais les shûgi représentant souvent de belles sommes, la première enveloppe est glissée dans une pochette en papier japonais (washi) appelée orikata. Cette pratique vient des familles de samouraïs qui avaient l’habitude d’emballer leurs cadeaux dans du washi.

Superstitions liées aux montants et aux façons d’envelopper

La somme varie en fonction du lien personnel et social, mais elle est généralement comprise dans une fourchette allant de 5 000 à 30 000 yens (30 et 175 euros), le premier chiffre du montant est souvent un nombre impair. Cette coutume vient de Chine, où l’impair est traditionnellement porte-bonheur. « Divisibles », les chiffres pairs sont particulièrement mal vus en cas de cadeaux de mariage car il convient d’éviter toute connotation de « séparation ». Mais si un donateur souhaite offrir 20 000 yens, il peut contourner la problématique du « 2 » en utilisant un billet de 10 000 yens et deux billets de 5 000 yens pour former la somme souhaitée. De même, le 4 (shi) et le 9 (ku), homonymes de « mort » et « souffrance », doivent être évités car ils mettraient le bénéficiaire mal à l’aise.

Les billets destinés au kôden ne doivent pas être neufs, car cela signifierait que l’on s’attendait au décès et que l’on s’était préparé à l’avance ; certaines personnes prennent soin de plier les billets neufs pour les « émousser ». L’usage veut que les billets soient glissés dans l’enveloppe verso apparent. (Pixta)
Les billets destinés au kôden ne doivent pas être neufs, car cela signifierait que l’on s’attendait au décès et que l’on s’était préparé à l’avance ; certaines personnes prennent soin de plier les billets neufs pour les « émousser ». L’usage veut que les billets soient glissés dans l’enveloppe verso apparent. (Pixta)

Les donateurs écrivent leur nom et leur adresse au dos de l’enveloppe et le montant au recto. Le montant est souvent écrit en idéogrammes plutôt qu’en chiffres, pour que la mention soit plus solennelle et le montant moins falsifiable. Mais les chiffres arabes ne sont pas à proscrire pour autant.

Montants de shûgi en fonction de la relation aux jeunes mariés (sommes les plus citées)

Montants de kôden en fonction de la relation au défunt (sommes les plus citées)

Les double enveloppes vendues dans le commerce sont prêtes à l’usage, mais rappelons les règles de base. La position du pan replié à l’arrière de l’enveloppe extérieure diffère selon qu’il s’agit d’un shûgi ou d’un kôden. Pour un shûgi, le pan replié recouvre la partie supérieure, pour signifier que « le bonheur reste à l’intérieur ». À l’inverse, pour le kôden, le pan replié ne recouvre pas la partie supérieure, car on souhaite que « la tristesse ne reste pas ».

Pliage du orikata et positionnement du mizuhiki (Photo : Nippon.com)
Pliage du orikata et positionnement du mizuhiki (Photo : Nippon.com)

À chaque enveloppe sa signification

Les enveloppes de couverture dites orikata sont ceintes d’un lien fait de fils de papier japonais torsadés et noués appelés mizuhiki. Pour certains, l’origine des mizuhiki serait à retrouver dans les attaches que les nobles de la période Heian (794-1185) utilisaient pour clore leurs missives contenant des poèmes. Le terme de mizuhiki signifie littéralement « retirer (hiku) les impuretés avec de l’eau (mizu) ».

Il existe deux types de mizuhiki : le moro-wana musubi (cf. exemple 1 ci-dessous) et le musubi-kiri (exemples 2 et 3). Le premier se défait aussi facilement qu’un ruban. On l’utilise pour les heureux événements, comme les naissances ou les rentrées scolaires, car on espère que l’événement se reproduira. Les deux autres sont difficiles à défaire : ils conviennent aux funérailles, convalescences ou aux mariages, autant de célébrations qui ne devraient pas être amenées à se répéter.

Exemples de mizuhiki

(© Pixta)
(© Pixta)

  1. Moro-wana musubi : pour les heureux événements (qu’on souhaite voir se répéter). Également appelé moro-bana musubi, hana-musubi ou chô-musubi.
  2. Musubi-kiri, ma-musubi : pour les mariages ou funérailles (dont on ne souhaite pas la récidive).
  3. Musubi-kiri, awabi-musubi : cf exemple 2. Également appelé awaji-musubi.

Les enveloppes sont généralement en rouge et blanc pour les heureux événements mais en noir et blanc pour les funérailles. Quand on offre de l’argent à un convalescent, on préférera une enveloppe en rouge et blanc pour indiquer qu’on souhaite un prompt rétablissement mais on choisira un musubi-kiri, pour lui signifier qu’on espère que la situation ne se reproduira pas.

Les shûgi-bukuro portent une marque (noshi) dans le coin supérieur droit. À l’origine, le noshi contenait une fine bande d’ormeau séché qui, consommée avec du saké, permettait d’invoquer les divinités et assurait la longévité à celui qui la mangeait. L’ormeau séché était jadis une offrande de choix adressée aux esprits. Les noshi prennent parfois aujourd’hui la forme d’un pliage en papier qu’on retrouve notamment sur les cadeaux saisonniers (seibo et chûgen). Mais comme l’ormeau est un coquillage, on ne met pas de noshi quand on offre des produits de la mer. Enfin, il n’y a pas de noshi sur les enveloppes (kôden-bukuro) en usage lors de funérailles.

Exemples de noshi. De gauche à droite : un pliage contenant une longue bande de papier représentant de l’ormeau séché ; un noshi stylisé; le terme noshi (のし) calligraphié en hiragana. (Pixta)
Exemples de noshi. De gauche à droite : un pliage contenant une longue bande de papier représentant de l’ormeau séché ; un noshi stylisé; le terme noshi (のし) calligraphié en hiragana. (Pixta)

Traditionnellement, la dernière étape consiste à calligraphier au pinceau sur l’enveloppe l’idéogramme attendu : pour un mariage ou tout autre heureux événement on peut écrire 寿 (kotobuki ; meilleurs vœux) ou 御祝 (o-iwai ; félicitations). Pour un kôden, tout va dépendre de l’appartenance religieuse, mais 御霊前 (goreizen ; offrande à l’esprit du défunt) est le terme le plus passe-partout. Écrire à l’encre claire signifie que des larmes de tristesse ont dilué l’encre. Des stylos pinceaux pré-encrés appelés fude-pen se trouvent facilement dans le commerce. Quelle que soit la circonstance, le nom du donateur doit être écrit en bas, au recto de l’enveloppe.

Sur beaucoup d’enveloppes vendues dans le commerce, la formule de vœux est déjà écrite. (Pixta)
Sur beaucoup d’enveloppes vendues dans le commerce, la formule de vœux est déjà écrite. (Pixta)

Glisser une enveloppe dans une pochette en soie appelée fukusa permet de ne pas la salir, c’est une marque de bonnes manières. Les fukusa étaient à l’origine de petits carrés de tissu (furoshiki), mais de nos jours il existe des pochettes rectangulaires dédiées. Pour les heureux événements, le fukusa peut être de couleur chaude ou vive. Une teinte plus sobre est préférable en cas de funérailles et le violet convient à toute occasion.

Quand on donne son enveloppe, il faut la tenir à deux mains, et adapter l’expression de son visage à la circonstance.

Une pochette en soie (fukusa) (Pixta)
Une pochette en soie (fukusa) (Pixta)

Comment donner le shûgi ou le kôden

Illustration de Satô Tadashi
Illustration de Satô Tadashi

  1. Tenez l’enveloppe à deux mains en la prenant par le bas, puis déplacez votre main droite vers le coin supérieur droit.
  2. Faites pivoter l’enveloppe de 90 degrés dans le sens des aiguilles d’une montre, puis déplacez votre main gauche sur le coin gauche proche de vous.
  3. Afin que le destinataire puisse la recevoir dans le bon sens, faites à nouveau pivoter l’enveloppe de 90 degrés et déplacez votre main gauche sur le coin gauche proche de vous.
  4. Présentez l’enveloppe à votre destinataire en la tenant à deux mains.

De nos jours, l’usage veut que les organisateurs des festivités offrent un uchi-iwai, en remerciement des montants reçus ; la valeur du cadeau est fonction des sommes perçues. À l’origine, on pensait que ce cadeau en retour permettait de répandre la nouvelle et le bonheur aux foyers. Ainsi, aucun cadeau de retour n’est offert en cas de funérailles puisque cela impliquerait la répétition et la dissémination de l’événement tragique. Un esprit d’entraide et de réciprocité sous tend cette coutume d’offrir de l’argent à l’occasion de mariages ou d’enterrements, et comme la roue tourne, chaque famille est susceptible de recevoir un jour des shûgi ou des kôden.

Les étrennes (otoshi-dama) du Nouvel An

Avec les étrennes (otoshi-dama), le Nouvel An est aussi une occasion d’offrir de l’argent. Les parents placent une petite somme dans une enveloppe dite pochi-bukuro qu’ils donnent à leurs enfants ou à leurs proches. Jadis, pour les fêtes de fin d’année, il était coutume de manger des gâteaux de riz dits kagami mochi pour rester en bonne santé. La pratique a perduré, mais on a pris l’habitude de faire d’autres présents et depuis la guerre, les Japonais se sont mis à offrir des étrennes (otoshi-dama).

Kagami mochi (à gauche) et pochi-bukuro (à droite). Cette enveloppe contient des étrennes (otoshi-dama). Pochi vient de « petit » et suggère qu’il s’agit d’une petite somme d’argent. (Pixta)
Kagami mochi (à gauche) et pochi-bukuro (à droite). Cette enveloppe contient des étrennes (otoshi-dama). Pochi vient de « petit » et suggère qu’il s’agit d’une petite somme d’argent. (Pixta)

(Article supervisé par Shibazaki Naoto, professeur associé à l’Université de Gifu, spécialiste des études sur la psychologie des bonnes manières et conseiller pour les enseignants dans ce domaine. Photo de titre : Pixta)

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