Quand gourmandise rime avec plaisir

Le quartier chinois de Nagasaki : tisser des liens culinaires avec le Japon à travers le « chanpon »

Gastronomie Tourisme Échanges internationaux

Le célèbre plat de nouilles chanpon de Nagasaki aurait été imaginé à la fin du XIXe siècle par un restaurateur d’origine chinoise. Fusion des cuisines japonaise et chinoise, ce mets particulièrement nourrissant reste un pilier du quartier chinois historique de Nagasaki.

Des liens aux racines profondes

Les échanges entre Nagasaki et la Chine remontent à de nombreux siècles. Même durant la période du sakoku, lorsque le pays fermait largement ses frontières, quelque 10 000 immigrants chinois vivaient dans un quartier international, le tôjin yashiki, qui dominait Nagasaki. Lors de sa dissolution à la fin de l’époque d’Edo (1603-1868), les résidents chinois s’installèrent sur une portion de terre-plein gagnée sur la mer, ancien quartier d’entrepôts, qui a donné naissance à l’actuel Chinatown de Nagasaki.

Le quartier chinois de Nagasaki regorge de restaurants et de bazars.
Le quartier chinois de Nagasaki regorge de restaurants et de bazars.

Le grand atout de Chinatown est sa culture culinaire, née du métissage entre cuisines japonaise et chinoise, avec en vedette les nouilles chanpon, à goûter absolument.

Ces nouilles de blé fermes et élastiques, servies dans un bouillon mijoté à partir d’os de poulet et de porc, témoignent d’un lien évident avec le râmen. Le plat s’en distingue toutefois par sa garniture de légumes sautés accompagnés de fruits de mer, notamment de crevettes et de pâté de poisson.

Les nouilles de Fuzhou à la mode de Nagasaki

Le berceau du chanpon est le fameux restaurant chinois Shikairô, ouvert en 1899 sur le site de l’ancien quartier chinois au sud-est, et désormais installé dans le quartier de Matsugae, près du Glover Garden.

Au début du XXe siècle, l’adresse était le repaire favori de Saitô Mokichi, poète et professeur à l’École spécialisée de médecine de Nagasaki, qui y conviait régulièrement des écrivains comme Akutagawa Ryûnosuke et Kikuchi Kan. L’authenticité de son chanpon a attiré quantité de dignitaires, dont l’empereur actuel, Naruhito, qui s’y est rendu alors qu’il était encore prince héritier.

Le Shikairô d’origine faisait aussi office d’hôtel. (Avec l’aimable autorisation de Shikairô)
Le Shikairô d’origine faisait aussi office d’hôtel. (Avec l’aimable autorisation de Shikairô)

Le restaurant actuel se reconnaît à ses piliers cramoisis qui tranchent avec la sobre façade de pierre.
Le restaurant actuel se reconnaît à ses piliers cramoisis qui tranchent avec la sobre façade de pierre.

L’établissement a déménagé à son emplacement actuel en 1973, et l’édifice de cinq étages date de 2000. Fort de son statut de plus ancien restaurant chinois de Nagasaki, c’est une destination touristique particulièrement prisée. Outre la salle, on y trouve une boutique de souvenirs et un musée du chanpon présentant photos et documents des débuts, qui racontent la naissance de ce plat.

Un chanpon de Shikairô qui met l’eau à la bouche. (Photo avec l’aimable autorisation de Shikairô)
Un chanpon de Shikairô qui met l’eau à la bouche. (Photo avec l’aimable autorisation de Shikairô)

L’intérieur expose des pièces historiques, des bols et des photos d’hôtes célèbres.
L’intérieur expose des pièces historiques, des bols et des photos d’hôtes célèbres.

Le fondateur, Chen Ping Shun, est arrivé à Nagasaki en 1892 depuis Fuzhou, dans la région du Fujian (au sud-est de la Chine). Il se portait garant d’étudiants chinois et, désireux d’offrir à ces jeunes un plat nourrissant et familier, il a eu l’idée du chanpon. En combinant une recette de nouilles du Fujian avec des ingrédients locaux de Nagasaki, il a créé ce plat reflétant le mariage des cultures culinaires chinoise et japonaise.

Chen Ping Shun (rang du milieu, troisième en partant de la gauche) et sa famille. (Avec l’aimable autorisation de Shikairô)
Chen Ping Shun (rang du milieu, troisième en partant de la gauche) et sa famille. (Avec l’aimable autorisation de Shikairô)

Chen est aussi à l’origine d’un autre plat emblématique de Nagasaki, le sara-udon, inspiré d’une spécialité du Fujian de nouilles sautées avec de la viande émincée. La recette utilisait au départ de grosses nouilles proches de l’udon, d’abord cuites dans un bouillon puis sautées et garnies sensiblement des mêmes ingrédients que le chanpon. Comme il n’y a pas de soupe, le plat est servi dans une assiette plutôt qu’un bol, d’où le nom sara-udon (« udon servis à plat »). Une variante ultérieure à base de nouilles fines et frites en galette croustillante s’est depuis imposée comme le standard moderne.

Le sara-udon de Shikairô existe avec de grosses nouilles souples (en haut) ou des nouilles fines croustillantes. (Avec l’aimable autorisation de Shikairô)
Le sara-udon de Shikairô existe avec de grosses nouilles souples (en haut) ou des nouilles fines croustillantes. (Avec l’aimable autorisation de Shikairô)

Une signification qui a évolué

L’origine du nom chanpon reste incertaine. Shikairô soutient qu’il provient d’un mot du dialecte du Fujian signifiant « manger ». Certains linguistes y voient plutôt l’écho d’un ancien terme pour « mélanger », comme dans le plat sauté d’Okinawa chanpurû.

L’intérieur du restaurant taïwanais Lao Lee (ci-dessus), et l’extérieur de la succursale de la chaîne Nagasaki Chanpon dans le quartier chinois.
L’intérieur du restaurant taïwanais Lao Lee (ci-dessus), et l’extérieur de la succursale de la chaîne Nagasaki Chanpon dans le quartier chinois.

Puisque le chanpon autorise toutes sortes d’ingrédients, les déclinaisons sont infinies.

Le plat phare de Lao Lee, table taïwanaise du quartier chinois de Nagasaki, est une version originale de chanpon agrémentée de karasumi, des œufs de mulet salés et séchés au soleil, qui apportent une puissante note savoureuse.

Les chefs terminent le chanpon au karasumi en faisant sauter les ingrédients à feu vif pendant quelques minutes.
Les chefs terminent le chanpon au karasumi en faisant sauter les ingrédients à feu vif pendant quelques minutes.

Des rues au parfum international

Le mélange de cultures japonaise et chinoise, né de l’immigration venue de Chine, a aussi façonné des paysages, des festivals et bien d’autres aspects uniques de Nagasaki.

L’histoire de l’enracinement des communautés chinoises se lit en flânant dans les rues de Chinatown. Les portes écarlates qui gardent les entrées nord, sud, est et ouest ont toutes été réalisées par des artisans de Fuzhou. La porte sud débouche sur le parc Minato, doté d’un portail chinois en pierre et d’un pavillon carré. Les scènes de joueurs de go et de shôgi à ciel ouvert évoquent une Chine d’autrefois.

La porte Sud vue depuis le parc Minato
La porte Sud vue depuis le parc Minato

Le parc Minato est le principal site du festival annuel des lanternes.
Le parc Minato est le principal site du festival annuel des lanternes.

Devant le parc Minato s’étire Fukken-dôri, qui adopte la prononciation japonaise des caractères de Fujian. Un peu plus au sud-est, la rue devient Tôjin-yashiki-dôri, avec ses bâtiments et ses murs qui rappellent l’ancien tôjin yashiki.

On trouve également des temples bouddhiques chinois dont les racines remontent à l’époque d’Edo. Le temple Sôfuku-ji, situé en hauteur à l’est sur Shianbashi-dôri, à été fondé en 1629 par des moines chinois afin de répondre aux besoins spirituels des immigrants du Fujian.

Le sanctuaire confucéen Kôshibyô, ainsi que le Musée d’histoire de la Chine, dans le quartier d’Ôuramachi à Nagasaki, ont été construits en 1893 par des immigrants locaux avec le soutien du gouvernement Qing pour vénérer le philosophe et conserver certains de ses effets. Aujourd’hui, le site accueille des expositions consacrées à Confucius et propose des événements mettant à l’honneur la culture chinoise, notamment des démonstrations de l’art traditionnel du changement de masque (d’une rapidité fulgurante !).

Cette exploration de la manière dont les influences japonaises et chinoises se mêlent dans la cuisine et le paysage de Chinatown constitue l’un des temps forts de tout voyage à Nagasaki.

Le temple Sôfuku-ji possède des bâtiments classés comme trésors des deux nations.
Le temple Sôfuku-ji possède des bâtiments classés comme trésors des deux nations.

Les 72 statues de pierre devant Kôshibyô représentent les 72 disciples de Confucius.
Les 72 statues de pierre devant Kôshibyô représentent les 72 disciples de Confucius.

(Reportage et texte de Nippon.com. Photo de titre : le chanpon au karasumi et le sara-udon du restaurant principal de Lao Lee à Chinatown. Toutes les photos © Nippon.com, sauf mentions contraires)

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