Vers une nouvelle ère impériale, vers un nouveau Japon

Le 22 octobre et le 14 novembre 2019 : deux dates majeures pour l’empereur

Politique Société

Si l’accession au trône du nouvel empereur a eu lieu le 1er mai 2019, deux grandes cérémonies auront lieu cet automne pour marquer ce grand événement. D’une part, le 22 octobre, où aura lieu la cérémonie de l’avènement. D’autre part, la nuit du 14 novembre, où le souverain célébrera un rituel unique à chaque règne : la grande fête des récoltes, une tradition shintoïste ancienne.

Images de l’époque de Heian

Les principales festivités marquant l’intronisation d’un nouvel empereur sont normalement organisées au moins un an après son accession au trône, pour respecter l’année de deuil suivant le décès de son prédécesseur. Cette fois-ci, l’ancien empereur ayant décidé d’abdiquer, elles sont organisées plus tôt.

L’avènement sera marqué par une cérémonie nationale. Le 22 octobre a été déclaré jour férié à cette occasion. Le rituel qui se déroulera dans la Salle des pins (Matsu-no-ma), lieu le plus officiel du palais impérial, aura tout d’une image de l’époque de Heian (794-1185).

En se basant sur le déroulement de la cérémonie précédente, en 1990, on peut estimer que l’empereur, vêtu du sokutai, un habit dont l’usage lui est réservé depuis l’époque de Heian, prendra place sur son trône afin de déclarer son avènement. L’usage du trône remonte à l’époque de Heian. Celui-ci, fabriqué en 1915 pour l’intronisation de l’empereur Taishô, mesure 6,5 mètres de haut et pèse 8 tonnes. L’impératrice, vêtue du kimono d’apparat jûni-hitoe, prendra place à son côté sur un trône plus petit. Les autres membres majeurs de la famille impériale assisteront à la cérémonie, eux aussi en grande tenue de l’époque de Heian.

Les invités seront plus nombreux que la fois précédente, avec 30 pays supplémentaires représentés – soit 195 en tout ; quelque 2 500 invités, contre 2 200 en 1990, Japonais et étrangers, sont conviés. Le jardin intérieur sur lequel s’ouvre la Salle des pins sera orné d’étendards multicolores devant lesquels se tiendront les membres du personnel de l’Agence de la maison impériale en tenue protocolaire avec épées et arcs entre autres.

Le banzaï du Premier ministre

Après la déclaration de l’empereur, le Premier ministre Abe Shinzô lira un message de félicitations puis il invitera les participants à crier trois fois « banzaï » en l’honneur du souverain.

Cette cérémonie d’environ trente minutes aurait dû être suivie par une parade emmenant le couple impérial en voiture décapotable du palais impérial jusqu’à leur résidence d’Akasaka (voir le parcours prévu). Cependant, en raison des dégâts causés par le passage du terrible typhon Hagibis du 12 et 13 octobre, le gouvernement a annoncé que cette procession serait reportée au dimanche 10 novembre. D'une part en respect aux victimes de la catastrophe, et d’autre part parce que la parade demande de mobiliser beaucoup d’effectifs alors qu’ils sont en ce moment nécessaires aux opérations de secours et de reconstruction dans les zones sinistrées.

L’empereur Akihito salue la foule massée avenue Aoyama-dôri lors de la parade pour son avènement, le 12 novembre 1990 à Tokyo (Jiji)
L’empereur Akihito salue la foule massée avenue Aoyama-dôri lors de la parade pour son avènement, le 12 novembre 1990 à Tokyo. La procession, forte de 44 voitures, a été acclamée par environ 120 000 spectateurs. (Jiji Press)

Une cérémonie unique

Parmi les cérémonies qui ont le plus fait débat lors de la précédente accession au trône figure la grande fête des récoltes, le Daijô-sai, durant laquelle le souverain prie pour la paix dans le pays et des récoltes abondantes. Quasiment semblable au rituel de la fête des récoltes célébré chaque année par l’empereur dans son palais (appelée Niiname-sai), elle en diffère néanmoins par son ampleur, beaucoup plus importante, et sa rareté : elle n’a lieu qu’une fois par règne, à l’occasion de l’intronisation d’un nouvel empereur. Étant donné qu’il s’agit d’un rite shintoïste, le prince Fumihito, le frère du souverain actuel, lors d’une conférence de presse donnée l’automne dernier, a émis des doutes sur l’opportunité de financer cette cérémonie sur les deniers publics ; il a suggéré à demi-mot une célébration plus modeste, ce qui n’a pas été sans susciter une polémique.

La grande fête des récoltes se déroulera la nuit du 14 novembre, dans les jardins Est du palais impérial, comme la fois précédente. Un ensemble de bâtiments en bois sera construit spécialement pour cette occasion. Dans une faible lumière, le nouvel empereur, tout de blanc vêtu, gagnera la salle principale où se déroulera le rituel. L’impératrice et les membres de la famille impériale, eux aussi vêtus de kimonos de cérémonie blancs, y assisteront.

Les bâtiments construits pour la précédente grande fête des récoltes, en novembre 1990 dans les jardins Est du palais impérial (Jiji)
Les bâtiments construits pour la précédente grande fête des récoltes, en novembre 1990 dans les jardins Est du palais impérial (Jiji Press)

Seul l’empereur pénétrera dans la partie la plus sacrée du bâtiment où, à la lueur de torches, il prendra place sur son trône face à l’autel sur lequel il déposera du riz, du saké noir et blanc ou encore des ormeaux mijotés, des offrandes destinées à la déesse du soleil, Amaterasu, et aux autres dieux du rite shintoïste. Ensuite, il les remerciera pour la paix et les récoltes abondantes accordées à son pays et à son peuple, avant de lire une prière les invitant à renouveler leur protection. Pour finir, l’empereur et son entourage mangeront les offrandes.

Le précédent empereur avant la grande fête des récoltes, sous un dais en bambou surmonté d’un phénix, le 23 novembre 1990 au palais impérial (Jiji)
Le précédent empereur avant la grande fête des récoltes, sous un dais en bambou surmonté d’un phénix, le 23 novembre 1990 au palais impérial (Jiji Press)

À l’issue de cette cérémonie d’environ trois heures, le souverain prendra du repos. Le rituel recommencera aux premières heures le lendemain matin, où la même cérémonie sera répétée dans un autre bâtiment. Il s’agit de rites profondément ancrés dans la culture agricole du Japon.

Un rituel peu compris par l’opinion publique

Cependant, cette cérémonie « secrète », menée par l’empereur à l’intérieur d’un bâtiment sans qu’aucune image ne filtre, donne lieu à des suppositions variées, renforcées par le fait qu’il existe un lit sur place : dormir en compagnie des dieux conférerait au souverain une stature divine, selon certains. L’Agence de la maison impériale réfute néanmoins cette hypothèse d’une divinisation de la personne impériale, soulignant que la couche en question est un espace réservé au repos de la déesse Amaterasu, où il n’y a pas de lit et dans lequel l’empereur ne pénètre pas.

La grande fête des récoltes n’est actuellement régie par aucune législation. Avant-guerre, elle figurait dans la Loi de la maison impériale, mais elle a été retirée de la nouvelle mouture, promulguée en 1947. La fois précédente, en vertu du principe de séparation de l’État et de la religion interdisant à l’État les activités religieuses, le gouvernement avait renoncé à élever ce rite au rang de cérémonie nationale. Il a néanmoins estimé que « la Constitution reconnaît la filiation héréditaire impériale et la grande fête des récoltes (qui existe depuis l’époque de l’empereur Tenmu au VIIe siècle), en tant que cérémonie traditionnelle de l’accession au trône impérial, possède un caractère public. Ces points rendent possibles le financement public d’un rite à caractère religieux. » La grande fête des récoltes est donc considérée comme un rite public de la maison impériale, dont le coût est prélevé sur le budget alloué aux activités de la famille impériale.

L’Agence de la maison impériale a réduit de 20 % la superficie des bâtiments construits pour l’occasion, qui seront pour certains en préfabriqué et non en bois ; les bâtiments principaux seront dotés d’une toiture en bois au lieu de la traditionnelle toiture en joncs ; le nombre d’invités a été ramené à 700, soit 200 de moins que la fois précédente. Malgré tout, en raison de l’augmentation du coût de la main-d’œuvre et du matériel, les frais engagés s’élèveront à 2,7 milliards de yens, en hausse de 470 millions.

Ces bâtiments, construits pour un rituel unique se déroulant au cours d’une seule nuit et démolis immédiatement après, étaient autrefois peu élaborés. Mais avec la divinisation de l’empereur mise en œuvre par l’ancienne Loi impériale, leur coût a fortement augmenté. De plus, certains invités de la précédente cérémonie ont fait remarquer que si l’atmosphère était intéressante, il n’y avait aucun spectacle à voir, et que de surcroît, il faisait froid ; de nombreuses personnes partiraient en cours de route. Cette fois encore, la grande fête des récoltes sera célébrée dans un contexte de relative incompréhension de la part de l’opinion publique...

(Photo de titre : le couple impérial lors de la cérémonie de l’avènement ; à gauche, le Premier ministre Kaifu Toshiki crie banzaï, le 12 novembre 1990 au palais impérial. Jiji Press)

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