Les bénévoles du soir de Kawaguchi : des cours de japonais pour les enfants étrangers

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La ville de Kawaguchi, près de Tokyo, accueille une population étrangère importante et diversifiée. Un groupe de bénévoles locaux a à cœur de transmettre aux enfants de ces résidents étrangers les compétences linguistiques en japonais dont ils ont besoin pour réussir dans la société.

Quarante ans à aider enfants comme adultes à Kawaguchi

Bienvenue à Cupola, une installation publique devant la gare de Kawaguchi, dans la préfecture de Saitama, près de Tokyo. En pénétrant dans le lieu, notre regard est immédiatement attiré par de nombreuses affiches colorées. Elles proposent une grande variété de cours de japonais pour les locuteurs non natifs. Ces cours sont dispensés par « l’École du soir des bénévoles de Kawaguchi » (ci-après, « l’École du soir »), établissement fondé il y a près de 40 ans. Lorsque je me suis rendu à Cupola, un grand nombre d’étrangers étaient là assis à des tables, désireux d’apprendre le japonais, accompagnés de bénévoles de l’école.

Un lycéen chinois a appris le japonais dans cette école et a été admis dans l’un des plus prestigieux lycées de la préfecture de Saitama. La boucle est bouclée : à son tour, il apporte son aide à un jeune élève, tout en continuant lui-même d’étudier. L’atmosphère de cette école lui a permis d’apprendre de façon naturelle et de se sentir suffisamment à l’aise pour poser des questions.

À l’école, des étudiants non-japonais peuvent parfois eux aussi apporter leur aide à d’autres jeunes élèves.
À l’école, des étudiants non-japonais peuvent parfois eux aussi apporter leur aide à d’autres jeunes élèves.

Un panneau souhaitant la bienvenue aux nouveaux élèves de l’École du soir.
Un panneau souhaitant la bienvenue aux nouveaux élèves de l’École du soir.

L’accueil est chaleureux. Une affiche à l’entrée de la salle de classe donne le ton : « Nous vous attendions. Ici, les cours sont gratuits. Aucune restriction d’âge ou de nationalité, ces cours sont accessibles à tous. N’hésitez pas à entrer. Toute personne souhaitant enseigner ici est la bienvenue. Aucun diplôme n’est requis. »

C’est Nogawa Yoshiaki, auparavant fonctionnaire, qui dirige ce programme. Ce dernier se souvient : « Tout d’abord, on avons eu six élèves et ils étaient tous japonais. Nous avons aussi accueilli de nombreux jeunes qui ne suivaient pas un cursus scolaire ordinaire mais maintenant, un grand nombre de nos élèves sont non-japonais. J’entends souvent dire que les écoles mettent en lumière les failles de notre société. » Les bénévoles étant peu nombreux, le programme accepte seulement les élèves de 13 ans et plus. Il y a même une liste d’attente.

Les responsables de l’École du soir ont également appelé les autorités locales à mettre en place des programmes après les heures de cours des établissements scolaires pour les habitants de la préfecture de Saitama. Convaincus des nombreux bons résultats obtenus par l’École du soir, les autorités ont finalement ouvert Yôshun, un établissement affilié au collège Shiba-Nishi, et qui a accueilli ses premiers élèves en avril 2019. Yôshun est située près de Shibazono-Danchi, un complexe de logements publics où la majorité des résidents sont chinois. Si les cours de cette école se destinent principalement aux natifs japonais au-delà de l’âge légal pour l’enseignement scolaire, Yôshun accepte également des élèves non-japonais.

Nogawa Yoshiaki, directeur de l'École du soir
Nogawa Yoshiaki, directeur de l’École du soir

« Les aider à s’épanouir »

Différents programmes sont destinés aux enfants entre 6 et 15 ans, dont le plus ancien est « la Classe de japonais pour enfants de Kawaguchi ». La plupart des élèves sont chinois ou vietnamiens, et de plus en plus d’enfants plus jeunes encore, entre 6 et 8 ans, suivent maintenant les cours de l’école. Le directeur adjoint du programme, Shibuya Jirô explique : « Même si des enfants étrangers reçoivent une éducation en japonais à l’école, beaucoup d’entre eux n’ont malheureusement pas le vocabulaire nécessaire pour assimiler des matières telles que les mathématiques ou les sciences sociales. »

La Classe de japonais pour enfants de Kawaguchi. De nombreux élèves sont vietnamiens ou chinois.
La Classe de japonais pour enfants de Kawaguchi. De nombreux élèves sont vietnamiens ou chinois.

Tous les bénévoles de ce programme ont à cœur une seule et même chose : aider les enfants à s’épanouir et donner un coup de pouce à ceux qui ont soif d’apprendre. Derrière leurs efforts : le souhait sincère de voir les enfants étrangers qui vivront au Japon se construire, pas à pas, un avenir radieux.

Quand l’enseignement à l’école ne suffit pas

Selon une étude menée par le Conseil d’administration de Kawaguchi jusqu’en mai 2025, près de 3 000 enfants non-japonais sont inscrits dans les écoles primaires, collèges et lycées publics de la ville. 1 600 d’entre eux, dont 60 % sont chinois et 20 % sont turcs, ont besoin d’un soutien scolaire en japonais.

À Kawaguchi, plus de 90 enseignants sont présents pour donner des cours supplémentaires en japonais. Ce programme est donc encadré par une équipe de pédagogues relativement nombreux, mais les cours de japonais de base dispensés dans les écoles ne suffisent pas pour permettre aux enfants d’apprendre de façon efficace. Satô Akinori, membre du Conseil municipal de l’éducation, explique : « Même si les enfants peuvent s’exprimer en japonais, ils n’auront pas les capacités nécessaires pour une bonne compréhension en classe si, par exemple, ils ne connaissent pas bien les termes “vertical” ou “horizontal” utilisés en mathématiques. » C’est pour cela que, pour les enfants qui veulent apprendre davantage, les cours de japonais proposés par des groupes civiques sont un complément essentiel à l’enseignement à l’école.

La diversité en réponse à des problèmes locaux

La professeure Tsuboya Mioko de l’Université de la ville de Yokohama, experte dans le soutien aux enfants non-japonais, explique que les premiers programmes bénévoles de soutien pour adultes en langue japonaise ont commencé dans les années 1970, lorsque l’Archipel a admis des réfugiés du Vietnam et des pays environnants pendant le conflit en Indochine. Plus tard, des centaines d’adultes étrangers ont afflué vers l’Archipel, dont des jeunes Japonais laissés sur la touche dans le chaos après la Seconde Guerre mondiale, qui avaient grandi en Chine, et des Sud-Américains d’origine japonaise. Les programmes d’apprentissage se sont davantage encore développés après le séisme de Kobe en 1995. De nouveaux programmes, qui se destinaient aux enfants, ont également vu le jour.

Aujourd’hui, les programmes font face à divers problèmes tels que l’âge élevé des bénévoles, le manque de personnel pour leur succéder et des conditions financières instables. Et l’École du soir n’est malheureusement pas une exception.

La Loi sur la promotion de l’enseignement de la langue japonaise, entrée en vigueur en 2019, prévoit des mesures dont l’objectif est d’élargir les opportunités d’apprentissage de la langue pour les non-Japonais. Cette législation nationale définit les rôles des groupes communautaires dans l’enseignement du japonais, en parallèle avec le système éducatif, et indique que le gouvernement continuera de s’appuyer sur le soutien communautaire pour l’enseignement de la langue.

Un environnement politique en pleine mutation

À Kawaguchi, les citoyens jouent un rôle majeur dans la promotion de la coexistence avec leurs voisins non-japonais. Le complexe HLM Shibazono Danchi, où la majorité sont chinois, en est un bon exemple. Cependant, la ville se diversifie, avec des personnes de nationalités de plus en plus variées, engendrant des conflits concernant le traitement des déchets ou encore le bruit en raison de coutumes différentes. Lors des élections à la Chambre des conseillers qui ont eu lieu en juillet dernier, certains candidats ont tenu des propos qui pourraient être qualifiés de peu inclusifs pour les personnes de nationalité étrangère. Ôtsu Tsutomu, un nouveau candidat du parti Sanseitô, qui prône « Les Japonais d’abord », a remporté un siège représentant la préfecture de Saitama. Il a obtenu près de 42 000 voix à Kawaguchi, soit 16 % du total des suffrages exprimés et le score le plus élevé de la ville.

Nogawa Yoshiaki, directeur de l’École du soir, se dit inquiet de ce résultat : « Dans le contexte électoral, les discours haineux à l’égard des étrangers sont maintenant monnaie courante. »

Shibuya Jirô, enseignant de la Classe de japonais pour enfants de Kawaguchi, ajoute : « Au Japon, la main-d’œuvre n’est plus suffisante, le pays a donc besoin de travailleurs de l’étranger. Les problèmes auxquels le Japon fait face ne peuvent être résolus uniquement par le biais de mesures plus strictes réglementant les étrangers. Non, c’est beaucoup plus compliqué que cela. En fait, l’accent devrait bien au contraire être mis sur la garantie que les enfants des travailleurs étrangers reçoivent une éducation qui leur permettra de s’épanouir dans notre société. »

Cependant, malgré les inquiétudes concernant les discours haineux, les cours de japonais pour non natifs se poursuivent à Kawaguchi. Il y a des enfants qui ont besoin de cette aide. L’école cherche des moyens d’accueillir de nouveaux participants, japonais et non-japonais.

Depuis plus de 10 ans, Shibuya Jirô enseigne le japonais aux enfants à partir de 10 ans.
Depuis plus de 10 ans, Shibuya Jirô enseigne le japonais aux enfants à partir de 10 ans.

Aider les enfants kurdes à acquérir les compétences nécessaires en japonais

Parmi les résidents étrangers de Kawaguchi, les médias soulignent la présence d’une importante communauté de Kurdes qui ont dû fuir les violences ethniques en Turquie. Le gouvernement nippon ne leur accorde pas le statut de réfugié mais beaucoup d’entre eux sont en liberté provisoire pour raisons humanitaires après avoir été détenus dans des centres de rétention pour immigrés. Près de 400 enfants kurdes seraient dans cette situation à Kawaguchi. Komuro Keiko enseigne le japonais à 50 d’entre eux, âgés de 6 à 18 ans. Chaque cours est facturé 200 yens (1 euro), et Komuro compense elle-même la différence entre les revenus générés par les cours et les dépenses nécessaires. (Lire aussi : La communauté kurde dans le viseur des xénophobes de Saitama)

Komuro Keiko dirige la classe de japonais pour les Kurdes. (© Nippon.com)
Komuro Keiko dirige la classe de japonais pour les Kurdes. (Nippon.com)

Récemment, elle a eu la sensation que l’attitude des citoyens envers cette rapide augmentation du nombre de résidents étrangers dans leur ville était en train d’évoluer. Selon elle, 10 % des résidents japonais à Kawaguchi pensent qu’ils devraient se rapprocher de leurs voisins étrangers, tandis que 20 % sont plutôt réfractaires à leur arrivée. Par ailleurs, une vaste majorité pense tout simplement que ce problème ne les concerne pas.

Komuro constate elle-même que les enfants kurdes deviennent de plus en plus indisciplinés et ont du mal à se concentrer. « Certains enfants font face à des difficultés doubles, ne maîtrisant ni le japonais ni leur propre langue. D’autres, en collège et lycée, n’ont pas suffisamment de vocabulaire et ont des difficultés d’expression, ce qui les découragent. »

Les étrangers en liberté provisoire n’ont que peu d’opportunités d’exercer une activité professionnelle, avec un accès limité aux prestations sociales. Pour certains, cette situation est catastrophique. Par le biais de sa classe de japonais, Komuro apporte son aide. « Je veux faire quelque chose avant que ces enfants ne commencent à avoir des comportements problématiques. Ils n’ont pas choisi de venir au Japon, mais je veux qu’ils aient une vie heureuse. »

Les bénévoles eux aussi ont besoin d’assistance

La professeure Tsuboya Mioko, de l’Université de la ville de Yokohama, explique : « Les cours de japonais locaux ont commencé à l’initiative de bénévoles et se sont peu à peu développés. Ils ont été d’une grande aide pour de nombreux enfants étrangers, leur permettant d’acquérir un niveau d’éducation supérieur. Par ailleurs, le nombre d’enfants étrangers au Japon a augmenté rapidement si bien que le nombre de bénévoles est devenu insuffisant. Afin que ces cours puissent continuer à venir en aide à de nombreux enfants, les autorités devraient apporter leur soutien aux bénévoles, notamment en leur accordant des fonds et des locaux pour qu’ils puissent enseigner, et les aider à créer des associations à but non lucratif afin de renforcer leur crédibilité. Des mesures devraient également être prises pour impliquer des personnes ayant des liens avec d’autres pays ou encore des étudiants, afin de former la génération de demain qui, à son tour, enseignera le japonais à ceux qui en ont besoin. »

(Photo de titre : affiches faisant la promotion de cours de japonais dans un établissement de Kawaguchi, préfecture de Saitama. Photo de Matsumoto Sôichi, Nippon.com. Toutes les autres photos : © Tanaka Keitarô, sauf mentions contraires)

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