L’ère Heisei en un coup d’œil

De tragiques désastres naturels à l'ère Heisei (1989-2019) : la gestion des risques plus que jamais d’actualité

Société Catastrophe Environnement

Au cours de l’ère Heisei (1989-2019), le Japon a été le théâtre de deux séismes particulièrement dévastateurs qui ont frappé respectivement la région de Kobe (appelé séisme de Hanshin-Awaji) en 1995, et le nord-est de l’Archipel, en 2011, ayant provoqué un tsunami et la catastrophe de Fukushima. Il a dû aussi faire face à plusieurs inondations et éruptions volcaniques de grande envergure. Les trente années qui viennent de s’écouler risquent donc de rester dans les mémoires comme une période marquée par les calamités naturelles.

La période de haute croissance économique du Japon : un calme relatif en termes de calamités naturelles

Voyons pour commencer ce qu’il s’est passé auparavant, de la fin de la Seconde Guerre mondiale à l’achèvement de l’ère Shôwa, en 1989. Entre 1945 et 1960, l’Archipel a été régulièrement touché par des phénomènes naturels qui ont causé au total plus de 1 000 morts pratiquement chaque année. Durant la longue période où il avait été en guerre, le Japon n’avait pas été à même de prendre des mesures pour protéger les forêts et maitriser les crues si bien qu’il était pratiquement à la merci des calamités naturelles.

Il a fallu attendre que le typhon Vera ravage la baie d’Ise et tue 5 098 personnes en 1959, pour que le gouvernement réagisse. En 1961, il a promulgué la Loi de base sur les mesures en cas de catastrophe. Mais ce texte a le grave défaut de prendre en considération uniquement les désastres passés et de ne rien prévoir pour la gestion de ceux susceptibles de se produire dans l’avenir. Dans les années 1960, l’économie nippone était florissante avec un taux de croissance supérieur à 10 % par an. À l’époque, le Japon n’aurait eu aucun mal à financer des mesures pour faire face à de futurs cataclysmes. Mais l’ironie du sort a voulu qu’à ce moment-là, il ne soit touché par aucune calamité majeure et qu’il n’éprouve pas le besoin d’investir dans la lutte contre les fléaux naturels.

Entre 1959 et 1989, la catastrophe naturelle la plus grave dont l’Archipel a été victime a été celle de Nagasaki, où des pluies torrentielles ont provoqué des glissements de terrain entrainant la mort de 299 personnes. Mais pendant ces trente années, le Japon n’a eu à souffrir d’aucun typhon ou de tremblement de terre de grande envergure. Du coup, les habitants de l’Archipel ont commencé à se sentir en sécurité et à se demander si les grandes catastrophes naturelles ne faisaient pas partie d’un passé révolu. Le gouvernement a fini par croire que le pays était armé pour faire face aux cataclysmes et à se sentir assez sûr de lui pour penser qu’il pouvait contribuer à la préparation de la communauté internationale à la gestion des risques. C’est ainsi qu’il a proposé de faire de 1990 la première année de la Décennie internationale de la prévention des catastrophes naturelles (IDNDR) de l’Organisation des Nations unies. Une proposition qui a été adoptée à l’unanimité par les états membres de l’ONU.

L’ère Heisei : une période marquée par les calamités naturelles

L’ère Heisei a commencé le 8 janvier 1989 avec le début du règne de l’empereur Akihito et elle prendra fin le 30 avril 2019, au moment de l’abdication du souverain. Le mot « Heisei » signifie « l’avènement de la paix sur toute la planète». Mais dans la réalité, il en est allé tout autrement. En 1989, le Japon et le reste du monde ont en effet été affectés par des phénomènes naturels catastrophiques. Aux États-Unis, le séisme de Loma Prieta survenu le 17 octobre a tué 63 personnes et causé d’énormes dégâts dans la baie de San Francisco et les comtés de Santa Cruz et de Monterey. Le 21 juin 1990, la terre a tremblé en Iran et fait 40 000 victimes. En 1991, on a dénombré 143 000 morts et plus de 10 millions de réfugiés au Bangladesh, après le passage du cyclone tropical Gorky (02B). La même année aux Philippines, le mont Pinatubo s’est réveillé après cinq siècles d’inactivité et il a donné lieu à la plus importante éruption volcanique du XXe siècle, une éruption qui a eu des conséquences à l’échelle planétaire. En fait, les années 1990 ont coïncidé avec une recrudescence des calamités naturelles majeures dans le monde.

Dans le même temps, le Japon n’a pas été épargné. En 1991, des nuées ardentes en provenance du mont Fugen sur l’île de Kyûshû ont coûté la vie à plusieurs dizaines de personnes. En 1993, un séisme survenu dans la mer du Japon, au sud-ouest de l’île de Hokkaidô, a déclenché un tsunami qui a déferlé cinq minutes plus tard sur l’île d’Okushiri et tué plus de 200 de ses habitants. Le 17 janvier 1995, la région de Kobe a été ravagée par le tremblement de terre de Hanshin-Awaji qui a fait des dégâts sans précédent et montré la vulnérabilité des quartiers abritant d’anciennes structures en bois, qui avaient été négligés pendant la période de haute croissance des années 1950 et 1960.

Jusque-là, les autorités s’étaient fiées aux leçons du rand tremblement de terre du Kantô de 1923 qui avait détruit et réduit en cendres la quasi-totalité de Tokyo et fait 148 000 morts. Elles étaient persuadées que tant qu’on éviterait les incendies, il n’y aurait pas de pertes humaines importantes à déplorer dans les zones urbaines. Mais les nombreuses vieilles bâtisses en bois que comptaient encore à l’époque Kobe et ses environs ont piégé leurs occupants sous leurs toits massifs et entrainé la mort de plus de 6 000 personnes. Les Japonais ont pris pour la première fois conscience que la résilience sociale, c’est-à-dire la capacité d’une société à faire face aux risques des cataclysmes en s’y préparant, pouvait permettre de limiter leurs dégâts.

La série de séismes qui a frappé la région du Chûetsu, dans la préfecture de Niigata, le 23 octobre 2004, a engendré de nombreux glissements de terrain et démontré que les zones rurales vallonnées n’étaient pas elles non plus à l’abri des calamités naturelles. Et le 11 mars 2011, le terrible séisme du nord-est du Japon a déclenché un tsunami qui a fait plus de 22 000 morts, y compris des décès survenus un peu plus tard pour des raisons indirectement liées à la catastrophe (voir notre article lié).

À partir du début des années 1980, aucun désastre lié aux pluies, aux vents et aux typhons n’a fait plus de 100 morts pendant plus de 35 ans. Mais en 2018, les choses ont bien changé avec les glissements de terrain et les inondations qui ont dévasté l’ouest du pays et coûté la vie à plus de 240 personnes. Le Japon n’était pas non plus particulièrement armé pour affronter ce genre de phénomènes catastrophiques. On peut donc vraiment dire que l’ère Heisei a été perturbée par toutes sortes de calamités naturelles.

Un besoin urgent de revoir les mesures de gestion des risques liés aux catastrophes naturelles

Il a fallu attendre 1995 et le grand tremblement de terre de Kobe, pour que l’on prenne conscience de la reprise des activités sismiques de la fosse sous-marine de Nankai qui s’étend sur plus de 900 kilomètres le long de la côte est du Japon et correspond à la zone de subduction entre les plaques de la mer des Philippines et de l’Eurasie. Jusque-là, l’attention des sismologues avait été accaparée par les séismes de la région du Tôkai, au nord-est de la fosse de Nankai, depuis la baie de Suruga jusqu’à la préfecture de Shizuoka. En outre, depuis la promulgation de la Loi relative à la prévention des tremblements de terre à grande échelle de juin 1978, on croyait à tort que ce type de cataclysme pouvait être prévu à l’avance.

Mais devant l’étendue inimaginable des ravages du Grand tremblement de terre du nord-est du Japon de 2011, les spécialistes ont été amenés à reconsidérer l’envergure possible des futurs séismes. On pense à présent qu’un tremblement de terre majeur dans la fosse de Nankai englobant les zones sismiques de Nankai et de Tôkai, et un séisme dévastateur qui se produirait juste en dessous de Tokyo pourraient poser des risques énormes au niveau national. De même, une onde de tempête dans la baie de Tokyo ou des inondations le long des fleuves Tone et Ara – qui traversent  la capitale et les préfectures alentours  – sont elles aussi susceptibles de plonger le pays dans une situation critique.

La série de violentes secousses sismiques survenue en avril 2016 à Kumamoto, dans l’île de Kyûshû, a prouvé quant à elle que la Loi sur les secours en cas de catastrophe de 1947 et la Loi de base sur les mesures en cas de catastrophe de 1961 ne permettraient pas de faire face à des séismes beaucoup plus destructeurs, et qu’elles ne seraient d’aucune utilité dans le cas d’une urgence nationale due à ce type de phénomène naturel. Tous ces textes législatifs doivent donc être amendés sans tarder. Malheureusement, le service du Bureau du Cabinet chargé de la gestion des risques des cataclysmes ne dispose pas de moyens suffisants pour acquérir les connaissances explicites nécessaires sur le sujet sous la forme de documents écrits ou visuels, de données mathématiques ou de savoirs contenus dans des manuels.

Entre juin et septembre 2018, de nouvelles catastrophes se sont succédé à un rythme rapide : séisme du nord de la préfecture d’Osaka, pluies torrentielles et inondations dans l’ouest du Japon, typhon Jebi et tremblement de terre dans la partie sud de l’île de Hokkaidô. Les autorités ont été monopolisées par la prise en charge de ces désastres tant et si bien qu’elles n’ont pas eu le temps de s’occuper de l’amendement des lois liées à la gestion des catastrophes. Par ailleurs, les inondations survenues dans l’ouest de l’Archipel ont mis en lumière un nouveau problème auquel il va falloir trouver une solution rapide, à savoir le nombre élevé de décès parmi les personnes, pour la plupart âgées, qui avaient besoin d’aide pour évacuer les lieux à temps.

Le rôle capital des nombreux bénévoles prêts à aider les sinistrés

À partir de la Restauration de Meiji, en 1868, le Japon a commencé à se transformer en un État moderne et c’est le gouvernement central qui a pris l’essentiel des mesures de gestion des risques de catastrophes. Mais au moment du grand tremblement de terre de Kobe, en 1995, les choses ont complètement changé, quand 1,4 million de personnes se sont portées volontaires pour participer à la reconstruction et au retour à la vie des zones affectées. Ce désastre a montré à quel point il est important non seulement de se prendre en main soi-même et d’agir en concertation avec les autres dans l’intérêt de la communauté, mais aussi de créer un nouveau système de collaboration avec les institutions centrales et locales. Au moment du grand séisme du Nord-Est du Japon, en 2011, les associations à but non lucratif et les organisations non gouvernementales (ONG) ont grandement aidé les victimes à retrouver une vie normale et les autorités sont à présent d’accord pour reconnaître qu’elles vont avoir un rôle indispensable à jouer dans l’avenir.

Les progrès en matière de sciences de la nature et de génie civil ont par ailleurs permis non seulement d’améliorer la précision des prévisions météorologiques au niveau local mais aussi de mettre en place des barrages pour contrôler les crues, des canaux de dérivation, des vannes, et des digues le long des rivières et des côtes, ainsi que des amortisseurs parasismiques et des systèmes d’isolation antisismique dans les grandes structures. À mon avis, tous ces éléments font partie intégrante du Japon en tant que « civilisation du désastre ». Je pense aussi que la sagesse acquise, transmise et partagée par les communautés locales à travers l’expérience de multiples catastrophes — autrement dit la « culture du désastre » — s’est développée par le biais des relations humaines. En revanche, une trop grande dépendance des infrastructures publiques et de l’aide venue d’en haut contribue à émousser notre sens inné du danger et à nous empêcher de garder vivante et active la sagesse liée à l’expérience des catastrophes.

La fragilisation des relations humaines dans les zones urbaines : un problème très grave

À la base de toute société, il y a la civilisation à partir de laquelle la culture se développe et fleurit. Mais à l’heure actuelle, où l’on crée de plus en plus d’infrastructures pour limiter les dégâts des catastrophes naturelles, les liens humains qui encouragent la résilience sociale se distendent au fur et à mesure que les membres des communautés locales vieillissent et que leur nombre diminue. Dans le même temps, la concentration excessive de la population dans la capitale ne fait que contribuer à nous éloigner de la sagesse propre à la « civilisation » et à la « culture du désastre ».

À Tokyo, les immeubles d’habitation très élevés font leur apparition un peu partout. Chacun apporte avec lui un millier ou plus d’habitants supplémentaires à la communauté locale où il est construit. Mais ces nouveaux venus n’ont que très peu de contacts avec les gens qui vivent sur place depuis des décennies et il n’y a pas d’interaction commune entre eux. Les services de base comme l’eau et l’électricité sont accessibles à tous, pas seulement aux occupants des buildings en hauteur. Mais en cas de séisme, la vie devient difficile voire impossible dans les appartements des grands immeubles, même s’ils ne sont pas endommagés. Dès que l’électricité est coupée, les ascenseurs cessent en effet de fonctionner, et l’eau de couler…

Il y a certes toujours la possibilité de se réfugier dans un centre d’accueil d’urgence. Mais comment les écoles publiques et les autres infrastructures locales prévues à cet effet pourraient-elles accueillir autant de monde. Les résidents du quartier sont supposés contribuer à la gestion de ces abris mais les habitants des grands immeubles ne prennent part à aucun des exercices qui vont de pair avec. J’ai l’impression que la ville de Tokyo et les mairies d’arrondissement n’ont pas du tout envisagé de solution pour gérer le problème des foules qui risquent d’envahir les centres d’accueil d’urgence ouverts à tous. La sagesse traditionnelle que les membres des communautés locales ont développée face aux désastres est en train de disparaître, ce qui pourrait contribuer à aggraver les dommages provoqués par les catastrophes naturelles. Dans le même temps, le risque qu’un tremblement de terre se produise juste en dessous de Tokyo ne cesse d’augmenter. (Voir notre article Le prochain grand séisme au Japon : où pourrait-il se produire ?)

Les catastrophes naturelles majeures de l’ère Heisei (8 janvier 1989-30 avril 2019) au Japon

Date Nature Nombre de victimes (décédées ou disparues)
Juin 1991 Éruption du mont Fugen (Kyûshû)  44
Juillet 1993 Séisme dans la mer du Japon suivi d’un tsunami dévastateur dans le sud-ouest de l’île de Hokkaidô 230
Janvier 1995 Grand tremblement de terre de Hanshin-Awaji (Kobe) 6 437
Mars 2000 Éruption du mont Usu (Hokkaidô) 0
Juin 2000 Éruption sur l’île volcanique Miyake-jima (archipel d’Izu) 1
Octobre 2004 Typhon Tokage

Séismes de Chûetsu (Niigata)
98

68
Juillet 2007 Séisme de Chûetsu (Niigata), épicentre dans la mer du Japon 15
Mars 2011 Grand tremblement de terre du nord-est du Japon suivi d’un tsunami gigantesque 22 199
Septembre 2011 Pluies torrentielles sur la péninsule de Kii (tempête tropicale Talas) 98
Août 2014 Glissements de terrain de Hiroshima 77
Septembre 2014 Éruption du mont Ontake (au centre du Japon) 63
Avril 2016 Série de séismes consécutifs de Kumamoto (Kyûshû) 26
Juillet 2017 Pluies diluviennes (Kyûshû)    41
Juin 2018 Séisme du nord de la préfecture d’Osaka 6
Juillet 2018 Pluies diluviennes et glissements de terrain dans les préfectures d’Okayama et de Hiroshima 245
Septembre 2018 Typhon Jebi

Séisme d’Iburi (sud de l’île de Hokkaidô)
14

42

(D’après un article en japonais du 2 avril 2019. Photo de titre : le bateau de tourisme « Hamayuri » déposé par le tsunami géant du 11 mars 2011 sur le toit d’une maison d’Akahama, dans la ville d’Ôtsuchi, préfecture d’Iwate, prise le 8 avril 2011. Jiji Press)

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