La modernité de l’esthétique traditionnelle

La force de l’artisanat japonais pour des masques hautes performances : protection et confort garantis cet été

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L’épidémie du Covid-19 a causé une pénurie sans précédent de masques de protection au Japon. De grandes entreprises comme Sharp, constatant combien le pays dépendait de la Chine pour se fournir en masques, ont commencé à en fabriquer dans leurs sites de production japonais. Au niveau local également, de nombreuses sociétés de petite taille travaillent sur la création de masques innovants et esthétiques faits à partir de matériaux traditionnels, comme le washi (papier japonais) ou la soie. L’été japonais étant particulièrement chaud et humide, l’accent est aussi mis sur les matières respirantes. Voici quelques exemples de masques de différentes régions du Japon confectionnés grâce à des techniques artisanales.

Masque en washi de Yamagata

Dans la préfecture de Yamagata, l’élevage du ver à soie était autrefois une activité importante pendant les longs mois d’hiver enneigés. Au cours de l’ère Meiji (1868-1912), les domaines de la filature et de la maille florissent dans la préfecture, poussées par une politique nationale de développement de la production de laine. Pendant cette période dorée, Yamagata comptait près de 400 usines textiles. Mais dû à la compétition féroce en provenance de la Chine et du Vietnam, il ne subsiste aujourd’hui qu’une vingtaine d’ateliers. Satô Sen-i est une de ces entreprises qui perdure depuis quatre générations dans la ville de Sagae. L’actuel président Satô Masaki a hérité de la passion de ses prédécesseurs pour la création de techniques de tricot innovantes. Des marques de vêtements de luxe du monde entier viennent se fournir en fil textile de haute qualité auprès de Satô Sen-i.

En janvier 2020, alors que le Japon faisait face à une pénurie de masques, l’entreprise a eu l’idée de fabriquer des masques haute performance grâce à ses techniques de tricot.

La plupart des masques lavables proposés à la vente sont faits en coton, qui est un tissu absorbant mais qui met du temps à sécher et permet aux bactéries de se multiplier. En anticipant le climat humide de l’été japonais, Satô Sen-i s’est penché sur la possibilité de créer des masques en papier japonais washi, un matériau respirant et qui sèche rapidement.

M. Satô revient sur le processus de conception de ce nouveau masque : « Le washi est un papier rigide. Un masque fait avec un tel matériau ne semble pas confortable. Nous avons porté nos efforts sur l’élaboration d’un produit dont la qualité renverserait cette image de rigidité. Dans le cas d’une fabrication traditionnelle de fil de washi, le papier est coupé finement avant d’être retordu, et ce procédé confère une texture robuste au produit final. Afin de le rendre plus souple et agréable au toucher, notre washi est coupé très finement puis froissé sans être retordu, puis entrecroisé avec du polyester. »

Le washi utilisé est extrêmement fin : il ne pèse que 12 grammes au mètre carré. Le masque, fabriqué avec une machine à tricoter sans couture, est conçu pour envelopper le visage. Et afin d’être sûr qu’il ne se déforme pas avec le temps, sa durabilité a été testée en le lavant 300 fois dans un lave-linge familial.

Pendant la crise du coronavirus, M. Satô a réalisé combien le potentiel de l’industrie japonaise de la maille était énorme : « La culture du port du masque a pu naître au Japon grâce à ses caractéristiques uniques. Notre entreprise a contribué à cette nouvelle culture en concevant une technique de fabrication qui reprend les méthodes de tricot occidentales et en y incorporant le washi, qui est un matériau traditionnel japonais. Mon désir est de créer à partir de zéro une nouvelle demande, aussi pour des masques que pour d’autres produits qui ont pu se développer grâce aux sensibilités uniques des Japonais. »

Le masque possède une poche contenant une feuille tricotée avec des fils enduits de cuivre aux propriétés antibactériennes et désodorisantes (photo fournie par Sato Seni).
Le masque possède une poche contenant une feuille tricotée avec des fils enduits de cuivre aux propriétés antibactériennes et désodorisantes. (Photo fournie par Satô Sen-i)

Un masque en soie créé par des artisans de Kyoto

La soie, de par son éclat unique et sa texture lisse, a été utilisée depuis les temps les plus anciens pour confectionner des vêtements. Principalement composée de protéines produites par les vers à soie, elle a un effet bénéfique pour la peau. De plus, elle est fraîche en été et tient chaud en hiver.

Dans l’arrondissement de Fushimi à Kyoto, la société Kyoto Silk Kakô a créé un masque entièrement fait en soie (y compris les ficelles pour l’attacher aux oreilles), le « Fairy Silk Mask », qui rencontre un franc succès auprès de la clientèle féminine à la peau sensible.

Masque fait en soie tricotée, qui est utilisée pour fabriquer des vêtements de bébé. Les attaches sont aussi faites en soie et leur longueur peut être ajustée (photo fournie par Kyoto Silk Kakô).
Masque fait en soie tricotée, qui est utilisée pour fabriquer des vêtements de bébé. Les attaches sont aussi faites en soie et leur longueur peut être ajustée. (Photo fournie par Kyoto Silk Kakô)

« En 1985, notre entreprise a eu l’idée de fabriquer une serviette en soie, explique Yoshida Chie, directrice générale de l’entreprise. Elle s’inspire de l’histoire des maiko (apprentie geisha) qui gommaient leur peau à l’aide d’un morceau de soie provenant d’un kimono usé. À cette époque, la soie était un produit de luxe et on évitait autant que possible de la jeter. »

Depuis ses débuts, Kyoto Silk Kakô s’efforce d’exploiter au maximum le pouvoir naturel de la soie, comme avec son produit phare : le gant de toilette. Petite entreprise familiale traditionnelle, elle est composée de cinq artisans qui confectionnent soigneusement chaque produit dans un atelier d’une centaine de mètres carrés situé juste à 10 minutes à pied du du temple Daigo-ji, classé au patrimoine mondial de l’humanité.

Par le passé, elle avait déjà fabriqué des masques de nuit en soie pour les personnes souffrant de sensation de gorge sèche durant le sommeil.

« Avec l’épidémie du coronavirus, des clients nous ont fait part de leur problème de peau sèche causée par le port quotidien du masque de protection. Ils nous avaient expliqué qu’en portant nos masques de nuit sous leur masque de protection, leur peau était moins affectée. C’est comme cela que nous est venue l’idée de mettre au point des masques en soie haute performance. »

Masque en denim teint à l’eau naturelle d’Okayama

La préfecture d’Okayama est renommée pour sa production du tissu utilisé pour faire des jeans, le denim. La ville d’Ibara et le quartier de Kojima de la ville de Kurashiki, historiquement connus pour leur teinture à l’indigo (aizome), abritent aujourd’hui des usines de production de denim et de fabrication de jeans à la renommée mondiale. Parmi ces entreprises, on trouve Aoki Hifuku, fondée en 1961 à Ibara et qui a récemment lancé un masque lavable en denim. Le succès a été immédiat : les commandes affluent des aficionados du jean mais également du grand public. (Voir par ailleurs notre article : Momotaro Jeans : le denim premium d’un village de pêcheurs)

« Normalement, l’intérêt du denim est de suivre l’évolution de sa décoloration, mais pour nos masques, nous voulions élaborer un tissu qui ne déteint pas, explique Aoki Toshiki, designer et vice-président. Ce masque peut conserver ses couleurs d’origine même après 30 lavages. »

Deux morceaux de gaze en coton 100 % sont pliés et cousus avec la toile de denim. Les points de couture sont invisibles de l'extérieur (photo fournie par Aoki Hifuku).
Deux morceaux de gaze en coton 100 % sont pliés et cousus avec la toile de denim. Les points de couture sont invisibles de l’extérieur. (Photo fournie par Aoki Hifuku)

Aoki Hifuku a entrepris la conception de ce produit au cours du mois de mars, après que le directeur de leur agence bancaire leur a donné l’idée d’un masque lavable en denim. Le chambray, un type de denim léger utilisé pour les chemises, a été choisi pour sa respirabilité et sa légèreté. Le projet d’origine était de faire un masque en forme de bec de canard, mais une version à plis a été retenue au final. Ce style nécessitant beaucoup plus d’opérations de fabrication que le bec de canard, des techniques de couture très avancées sont requises. Malgré ces difficultés, Aoki Hifuku a tenu à remplir son objectif de créer le masque en denim ultime, le tout sans faire de compromis.

On retrouve les caractéristiques du denim d’Ibara dans ses masques : un tissu fin et une belle teinte uniforme. Le secret de cette étoffe élégante se trouve dans l’application d’un colorant réactif, qui consiste à teindre les fils avant qu’ils ne soient tissés. Cela permet également à la couleur de mieux tenir. L’eau utilisée pour la teinture provient des cours supérieurs de la rivière Odagawa.

« La qualité de l’eau rejetée par notre usine après la teinture est régulée par des normes environnementales strictes. Elle est utilisée pour la culture locale de légumes et de riz avant de retourner dans la rivière. Notre masque en denim est un produit durable et son processus de fabrication l’est aussi. »

Une technologie utilisée par des athlètes médaillées d’or

Basé à Sabae dans la préfecture de Fukui, Hatta Tateami utilise une machine à tricoter très rare dans le monde, le métier Rachel à double fonture, qui permet de produire avec minutie une maille dense dont la réputation est reconnue dans l’industrie textile. Cette étoffe a la particularité d’être composée de trois couches (envers, revers et partie intérieure) qui lui confèrent une respirabilité et un confort excellents.

Hatta Tateami a notamment conçu la maille des chaussures de Takahashi Naoko, la première athlète japonaise à avoir remporté une médaille d’or lors d’un marathon olympique à Sydney en 2000 et Noguchi Mizuki, qui a répété l’exploit quatre ans plus tard aux JO d’Athènes. Outre les chaussures de course d’athlètes de classe mondiale, l’entreprise propose sa technologie dans des domaines variés comme les doublures haute performance pour vêtements de sport ou les sièges de voiture, continuant ainsi d’explorer le potentiel du métier Rachel.

Cette étoffe a la particularité d'être composée de trois couches (envers, revers et partie intérieure) qui lui confèrent une respirabilité et un confort excellents.
La technique de tricotage du métier Rachel conçoit une étoffe qui a la particularité d’être composée de trois couches (envers, revers et partie intérieure) qui lui confèrent une respirabilité et un confort excellents (photo fournie par Hatta Tateami).

Depuis sa fondation en 1949, Hatta Tateami s’est consacré à développer son savoir-faire de manière discrète. Mais aujourd’hui, dans un contexte de crise sanitaire, elle propose son premier produit directement destiné aux consommateurs.

« Avant l’épidémie, nous avions déjà le projet de mettre en vente un produit pour les clients particuliers, se remémore Sabo Shôko, en charge du développement produit au sein du département commercial. Nous cherchions un moyen alternatif pour notre entreprise de continuer ses activités. C’est alors qu’est venue l’idée de commercialiser des masques que nous avions fabriqués pour nos employés. Leurs retours avaient été très positifs. »

Ces masques sont entièrement faits à Fukui, de la production des fils à la couture des masques. Le tissu, dense et de bonne épaisseur (1,7 mm), laisse un espace entre le masque et la bouche pour faciliter la respiration et permet de parler clairement. Un masque d’été encore plus respirant est en cours d’élaboration et devrait être dévoilé à la fin du mois de juin.

Un atelier établi dans un gymnase d’école

Dans le gymnase d’une école primaire aujourd’hui fermée situé sur la péninsule de Noto (préfecture d’Ishikawa), Marui Orimono a aménagé 20 machines à coudre pour fabriquer ses masques. Bien que la société soit le numéro un du marché de la fibre synthétique au Japon, elle n’a jamais fabriqué de produits destinés directement aux consommateurs, comme Hatta Tateami.

Okajima Aya du comité de planification de l’entreprise explique comment l’idée d’un masque spécialement conçu pour l’été leur est venue : « Comme nous possédons une usine en Chine, nous étions directement au courant de l’ampleur de la propagation du coronavirus. Dès la fin janvier, nous avons estimé qu’il y aurait une demande pour des masques d’été efficaces contre les coups de chaleur. » La vitesse de la mise en œuvre de ce projet a été la clé du succès.

Dans un espace respectant les règles de distanciation sociale, une quarantaine d’employés coupent et repassent les tissus, passent les élastiques dans les masques et emballent les produits finis. Ces masques sont conçus pour rester frais pendant la période estivale.

L’atelier est installé dans un vaste gymnase d'une école fermée (photo fournie par Marui Orimono).
L’atelier est installé dans un vaste gymnase d’une école fermée. (Photo fournie par Marui Orimono)

Le rythme de production initialement prévu était de 5 000 masques par mois. Mais à peine une trentaine de jours après la mise en vente en ligne des masques en avril, l’entreprise avait déjà reçu 20 000 commandes. L’atelier opère à plein régime, week-ends compris. Le chiffre des ventes est déjà cinq fois supérieur aux prévisions originales. 

(Photo de titre : fabrication du masque en denim lavable d’Aoki Hifuku. Photo fournie par Aoki Hifuku)

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