La réalité du Covid-19 : ce que les médias ne vous disent pas

Société Santé

Kimura Moriyo, médecin et ancien agent technique du ministère japonais de la Santé, reproche aux médias japonais le sensationnalisme de leur traitement de la pandémie de Covid-19 et déclare que nous ferions mieux de nous focaliser sur le nombre des cas sérieux plutôt que sur le chiffre cumulé des infections. Récemment, elle a provoqué des remous en publiant un livre où elle se demandait si, tout compte fait, le Covid-19 était une menace aussi grave qu’on le prétend, et s’il n’était pas en train de se transformer petit à petit en un simple rhume.

Kimura Moriyo KIMURA Moriyo

Directrice de l’Institut de santé publique. Diplômée de l’École de médecine et des sciences médicales de l’Université de Tsukuba. Également titulaire d’une maîtrise d’hygiène et de santé publique de l’Université Johns Hopkins, où elle bénéficiait d’une bourse de la société Delta Omega. Après un passage comme coordinatrice de projet aux Centres des États-Unis pour le contrôle et la prévention des maladies, elle a pris la présidence de l’Association japonaise de lutte contre la tuberculose, puis un emploi d’agent technique au ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales.

Le nombre d’infections quotidiennes ne dit que la moitié de l’histoire

« En fait, on pourrait dire que le Covid-19 est un nouveau genre de rhume », déclare le docteur Kimura Moriyo. « C’est un virus saisonnier dont la propagation s’accélère en hiver et ralentit en été. Les principaux symptômes du variant Delta, identifié pour la première fois en Inde, sont l’écoulement nasal et le mal de tête. En mutant, le virus du Covid-19 a renoncé à une partie de sa puissance dans le but de renforcer ses chances de survie. À mesure que le Covid-19 se rapproche du rhume ordinaire, on enregistre une baisse spectaculaire du nombre de patients affectés de symptômes tels que la perte de l’odorat. Il est probable que le pourcentage des patients présentant des symptômes sérieux va lui aussi diminuer. »

Kimura, l’auteur de « Dans quelle mesure le Covid-19 est-il vraiment un grave problème ? » (Shingata corona, hontô no tokoro doredake mondai nanoka), dénonce le danger d’un attachement excessif aux nombres d’occurrences quotidiennes.

« Pour les personnes âgées, l’infection au Covid-19 est une affaire sérieuse. Mais la propagation de l’infection et l’augmentation du nombre de cas graves sont deux questions totalement distinctes. La tranche d’âge des 20-30 ans constitue le plus grand groupe de patients, et chez la plupart d’entre eux les symptômes sont bénins, voire totalement absents. Ce sont les octogénaires qui risquent le plus de perdre la vie. Lorsqu’on nous présente des statistiques au jour le jour, nous avons tendance à nous focaliser sur le nombre de nouveaux cas de Covid-19. En fait, nous devrions porter notre attention sur l’augmentation du nombre des patients affectés de symptômes sérieux plutôt que sur le chiffre cumulé des occurrences. »

A-t-on pensé à l’impact socio-économique ?

Kimura, qui prône une approche consistant à vivre avec la maladie plutôt qu’à essayer de l’éliminer, dit que nous devrions réfléchir aux conséquences socio-économiques des mesures que nous prenons. En mai, le Bureau du cabinet a annoncé une baisse de 4,6 % du PIB réel en 2020, soit la plus forte chute depuis 1995, l’année la plus récente avec laquelle on puisse établir une comparaison précise.

Kimura s’inquiète des effets que cela aura sur l’économie japonaise. « Le nombre total des contaminations comme celui des décès sont plus faibles au Japon qu’en Occident. Ceci étant, comment expliquer une chute aussi spectaculaire du PIB japonais ? Il existe une disproportion criante entre l’impact socio-économique de la pandémie et celui de la maladie. »

(Voir également l’évolution en temps réel de l’épidémie de coronavirus au Japon)

« En l’espace d’un an, le Covid-19 nous a coûté 10 000 vies. Dans le même temps, le suicide a provoqué la perte de 20 000 vies, consécutive à la première augmentation du taux de suicide enregistrée depuis onze ans. Si les entreprises continuent d’épuiser leurs réserves et d’aller droit dans le mur, la hausse du chômage va persister, et il en résultera un surcroît de suicides. Il existe une corrélation entre ces deux variables. Même si, dans le cas des économies occidentales, on ne peut pas vraiment parler de « reprise en V », ces sociétés n’en sont pas moins sur le chemin d’un monde post-Covid. Je ne pense pas qu’il convienne de laisser l’obsession japonaise d’élimination du virus provoquer la stagnation socio-économique. »

Prendre exemple sur l’Europe et relocaliser les patients de Tokyo

Avec la tenue des Jeux olympiques et paralympiques de Tokyo cet été, beaucoup de gens se sont inquiétés que l’afflux d’athlètes et de représentants des médias venus des quatre coins du monde ne provoque un emballement de la propagation des infections. Voici ce qu’en dit Kimura.

« En termes de saisons, je ne pense pas que nous allons enregistrer une augmentation aussi importante des infections, en sachant toutefois que la température et l’humidité échappent à notre contrôle. S’il s’avère qu’on enregistre à Tokyo une augmentation du nombre des cas qui mette le système de santé sous pression, il deviendra impératif de prendre soin des patients gravement affectés. »

En quête de suggestions sur la façon de procéder, elle se tourne vers la situation que l’Europe a connue précédemment.

Au Japon, sur les 4 921 lits réservés aux patients gravement atteints par le Covid-19, seuls 942 sont occupés, ce qui représente un taux d’occupation de 19 %, [chiffres donnés par NHK à la date du 23 juin]. Certains disent qu’il est impossible de transférer les personnes gravement malades vers d’autres hôpitaux, mais je pense quant à moi que ces patients pourraient être transportés en faisant appel à la flotte d’hélicoptères des Forces d’autodéfense équipés d’unités de soins intensifs. Lorsque le système de santé de l’Italie s’est effondré, l’Allemagne a accueilli des patients en provenance de ce pays. Le Japon est un petit pays, qui devrait être en mesure de prendre en charge le transport sur son territoire des patients présentant de graves symptômes. »

À cette fin, Kimura prône un remaniement de la sous-commission gouvernementale de lutte contre la pandémie, qui devrait selon elle avoir à sa tête « des experts en chirurgie et médecine d’urgence ainsi que des professionnels capables à un autre titre de donner des consignes en ce qui concerne le soin des patients dans un état grave. »

L’équipe canadienne d’aviron arrive à l’aéroport de Narita le 2 juillet 2021, pour s’entraîner en prélude aux jeux à Sagamihara, dans la préfecture de Kanagawa. (Jiji)
L’équipe canadienne d’aviron arrive à l’aéroport de Narita le 2 juillet 2021, pour s’entraîner en prélude aux jeux à Sagamihara, dans la préfecture de Kanagawa. (Jiji)

Beaucoup redoutent aussi que l’afflux des visiteurs en provenance du monde entier provoque l’apparition d’une nouveau mutant japonais à Tokyo.

« Ce n’est pas exclu », convient-elle, « compte tenu de la facilité de mutation propre au Covid-19. Mais le virus se transforme de façon à améliorer l’efficacité de sa transmission. Tout naturellement, à mesure qu’il devient plus contagieux, le virus perd aussi de sa létalité, si bien qu’une augmentation du nombre total des occurrences ne se traduira pas par une augmentation importante des cas graves. »

Le Japon baisse les bras

Pour un pays qui a été sélectionné pour l’hébergement des Jeux olympiques, le Japon a pris beaucoup de retard dans le démarrage de sa campagne d’immunisation contre le Covid-19. La raison en est que, vu l’incapacité à mettre au point un vaccin local, les autorités japonaises étaient entièrement dépendantes de l’étranger pour l’approvisionnement en vaccins. Reste à savoir pourquoi le Japon s’est abstenu de toute tentative sérieuse de mise au point d’un vaccin.

Voici ce qu’en dit Kimura : « Avant la pandémie de grippe porcine de 2009, l’idée qui prévalait un peu partout dans le monde était qu’il n’y avait pas d’argent à se faire avec les vaccins. Mais la pandémie de grippe porcine a incontestablement montré aux nations occidentales et à la Chine l’importance de la vaccination dans la gestion des risques, et ces pays se sont investis dans ce domaine. Les pays qui ont réussi à mettre au point des vaccins contre le Covid-19 ont investi cent fois plus d’argent que le Japon dans la recherche en ce domaine. Le gouvernement japonais n’ayant investi ni dans la mise au point d’un vaccin ni dans aucune autre forme de recherche fondamentale, nous étions en retard quand le Covid-19 est apparu. »

Au Japon, le déferlement de procès liés aux effets indésirables des vaccins qu’on observe depuis les années 1980 a poussé les sociétés pharmaceutiques nationales à abandonner l’une après l’autre leurs programmes de mise au point de vaccins.

« La société pharmaceutique Shionogi, qui se consacre assidûment à la recherche sur les maladies infectieuses, a investi davantage d’énergie dans la mise au point de vaccins que n’importe quelle autre entreprise japonaise. Au Japon, tant les scientifiques que les laboratoires pharmaceutiques sont aptes à mettre au point des vaccins. Cependant, pour déterminer l’efficacité d’un vaccin et évaluer ses effets indésirables, on ne peut échapper à l’obligation de conduire des essais cliniques impliquant la participation d’une cohorte de quelque 20 000 individus, comme l’a fait Pfizer. Ici, c’est impossible. Jamais, au grand jamais, le Japon ne réussira à mettre au point un vaccin tant qu’il sera dans l’incapacité de conduire des essais cliniques avec au moins 10 000 participants, comme c’est la norme outre-mer. »

Kimura Moriyo. (© Uwadaira Tsunebumi)
Kimura Moriyo (© Uwadaira Tsunebumi)

Kimura explique que, pour les essais cliniques, certains pays occidentaux ont recours à un dispositif qui n’existe pas au Japon.

« Aux États-Unis, des cohortes regroupant des millions d’individus, dont des vétérans de l’armée, des infirmiers et infirmières et des malades du cancer, prennent part aux essais cliniques, que ce soit à titre de volontaires ou en échange d’une rémunération. Le responsable de l’essai sépare les participants en deux groupes, l’un destiné à recevoir le vaccin et l’autre non, puis il veille à la bonne marche des opérations. »

« Faites cela au Japon et on vous accusera d’utiliser les gens comme des cobayes »

Le cas de la Grande-Bretagne met lui aussi en lumière la nécessité de changer d’attitudes au Japon.

« La Grande-Bretagne a effectué à titre expérimental des essais sur des êtres humains, dans lesquels jusqu’à 90 sujets en bonne santé et âgés de 18 à 30 ans étaient mis en isolement et délibérément infectés au Covid-19 dans un endroit sûr, afin de déterminer quelle quantité de virus était requise pour produire une infection, et avec quels autres virus le Covid-19 présentait des similitudes en termes de réponse immunitaire. Faites cela au Japon et on vous accusera d’utiliser les gens comme des cobayes. »

Ceci étant, que le Japon doit-il faire pour parvenir à mettre au point son propre vaccin ?

Le concept d’essai clinique est fermement établi dans les pays occidentaux, ainsi qu’en Chine et en Inde. C’est le recours à ces essais qui a permis à ces pays de mettre au point leurs médicaments. Le Japon, quant à lui, n’a jamais mené le moindre essai clinique de grande ampleur. Il n’existe dans ce pays aucun organisme public, laboratoire, université ou société pharmaceutique aptes à mener un essai d’envergure dans cette optique. La principale raison du retard considérable pris par le Japon dans le domaine de la mise au point des vaccins réside dans l’irrésolution du gouvernement. Pour nous préparer aux pandémies de demain, nous avons avant tout besoin que les pouvoirs publics prennent fermement les choses en main. »

Juste un autre genre de rhume ?

Kimura nous fait part de ses prédictions quant à l’avenir du Covid-19

« On voit sortir à l’étranger des textes qui prédisent que, d’ici une dizaine d’années, le Covid-19 ne sera plus qu’un rhume parmi d’autres. On dénombre actuellement quatre virus de la grippe, et il est probable que le Covid-19 sera tôt ou tard considéré comme une sorte de cinquième genre de grippe. Pour le moment, les personnes d’âge mûr et les personnes âgées vont devoir chaque année se plier ponctuellement à des immunisations. Vu que le virus mute, il est probable que, comme dans le cas de la grippe, différents variants seront associés pour créer le vaccin anti-Covid. »

Le livre de Kimura Moriyo « Dans quelle mesure le Covid-19 est-il vraiment un grave problème ? » (Shingata corona, hontô no tokoro doredake mondai nanoka) ISBN 978-4-86410-825-6

(Photo de titre : un centre de vaccination pris en charge par les Forces d’auto-défense dans l’arrondissement de Chiyoda, à Tokyo. Jiji)

média société santé coronavirus