Les jeunes Japonais éloignés de la politique : comment les sensibiliser à l’importance du vote ?

Politique Société

Au Japon, si le taux de participation aux élections chez les jeunes continue d’être bien bas, un professeur estime que l’attention portée à cette faible participation est trop importante, au détriment de celles d’autres catégories de la population. Aux gens âgés de montrer l’exemple, et aux jeunes de ne pas s’éloigner des questions politiques de leur pays.

À l’Université de Shimane où je suis professeur, il y a un club appelé Poli Rangers. L’objectif est de soutenir la participation positive des jeunes générations en politique. Je suis conseiller de ce groupe depuis ses débuts, en 2009. En 2021, nous avons organisé une simulation de vote en ligne pour les étudiants afin de coïncider avec les élections de la Chambre des représentants, ainsi qu’un « sondage d’entrée ». L’expérience en ligne avait notamment pour objectif de stimuler le débat sur l’augmentation de la participation électorale locale en proposant une forme alternative de scrutin. Quant au « sondage d’entrée », il se concentrait sur l’expérience en elle-même pour les étudiants de parler directement avec les électeurs. L’idée était de leur donner une « entrée » dans la participation en politique.

Un sondage réalisé auprès des électeurs par des étudiants à Matsue au moment de l’élection de la Chambre des conseillers en 2013. (Avec l’aimable autorisation de Maiguma Kôichi)
Un sondage réalisé auprès des électeurs par des étudiants à Matsue au moment de l’élection de la Chambre des conseillers en 2013. (Avec l’aimable autorisation de Maiguma Kôichi)

J’encadre également des séminaires sur l’administration publique avec pour objectif de mettre en œuvre des solutions aux problèmes sociaux, et porte une minutieuse attention aux activités du club Poli Ranger et à l’éducation pratique à la citoyenneté en collaboration avec l’assemblée municipale de Matsue.

C’est de ce point de vue, plutôt que sur la base d’une expertise académique précise, que j’écris cet article. J’espère que les différentes impressions que j’ai pu recueillir grâce à mes activités avec mes étudiants pourront apporter un changement.

Un rejet, c’est pire qu’une protestation

« Comment remédier à la faible participation électorale des jeunes ? », c’est une question qu’on me pose souvent. Mais elle a fini par me déranger moi-même. Je trouve qu’il y a quelque chose de fondamentalement étrange dans sa formulation.

« Tout est de la faute de ceux qui ne votent pas. » C’est la condition préalable incluse dans cette question, qui débouche un sujet réel : « Comment amener les jeunes aux urnes, alors qu’ils ont leurs propres problèmes ? » Mais personne n’interroge les spectateurs après une représentation soporifique d’un spectacle comique en leur demandant pourquoi ils n’ont pas ri. La participation des électeurs plus âgés est également souvent laissée de côté lorsque la question est abordée. Mais le problème est peut-être tout simplement notre comportement plutôt que celui des jeunes. Notons également au passage qu’il n’y a qu’en période électorale que tous les jeunes sont logés à la même enseigne et qu’ils sont considérés comme un groupe homogène où il n’est fait aucune différence entre chacun d’entre eux.

Je change de sujet mais j’aimerais attirer votre attention sur la chanson Ussee wa (littéralement « La ferme ! ») de la chanteuse japonaise Ado. Postée sur YouTube le 23 octobre 2020, elle a rapidement trouvé son public et a été visionnée plus de 200 millions de fois. Ado était encore au lycée lorsqu’elle a enregistré cette chanson. Avec sa voix puissante et des capacités de chant impressionnantes, elle crie ces mots, « La ferme ! La ferme ! La ferme ! », exprimant tout le mécontentement et toute la rage de la jeunesse face à tout ce qu’elle trouve énervant (une autre signification de « ussee »). Cette chanson a su trouver écho par-delà les générations.

Ussee wa (La ferme !) par Ado

Ne nous méprenons pas pour autant. Pour le critique musical Ayukawa Pate, la toile de fond n’est pas la « protestation » mais le « sentiment de désespoir face aux adultes et de rejet de ces derniers ». Protester est une forme de communication mais le rejet n’offre aucune possibilité de lien. Et ça, c’est très grave.

De telles perspectives ne sauraient être ignorées dans le contexte de participation politique. Des adultes, qui ne sont même plus dans leur ligne de mire, les prennent de haut et cherchent à leur faire la leçon ou tentent une approche avec un air de je-sais-tout seront purement et simplement ignorés. Alors comment faire ?

Je dois avouer que je n’ai pas la réponse à cette question. Mais tout d’abord, les électeurs plus âgés pourraient peut-être déjà régler leur problème de faible participation. S’est-on réellement penchés sur la question ou s’est-on simplement contentés d’en parler ? J’en veux pour preuve… Les preuves, je vous en donnerai plus tard. Pour le moment, j’aimerais de manière générale qualifier ces problèmes de « tromperie ». Car les jeunes sont capables de voir à travers les diverses formes de jeu de tromperie de leurs aînés... Le faible taux de participation est une manifestation de ce phénomène.

Cet article est en fait une lettre d’excuses, teintée de réflexion personnelle. Mais si tous les jeunes sont différents, les électeurs plus âgés le sont également. Certains sont de braves gens tandis que d’autres ne sont pas dans une position où ils peuvent être blâmés. J’aimerais que mes propos soient lus et compris dans ce contexte.

L’école, c’est la société, et un étudiant est un citoyen

Tout d’abord, force est de reconnaître avec quelle superficialité est abordée l’éduction civique, même s’il est vrai que les éducateurs ont fait quelques efforts pour remédier à la situation. S’il est devenu possible de voter à partir de 18 ans, l’intérêt pour ce changement n’a pas duré. Même après que le ministère de l’Éducation a levé l’interdiction effective des activités politiques étudiantes, qui datait de 1969, les écoles maintiennent toujours une certaine distance par rapport à la politique de nos jours, soi-disant au nom de la « neutralité ». (Voir notre article : Pourquoi les jeunes Japonais s’intéressent-ils aussi peu aux mouvements sociaux et politiques ?)

Simuler des élections est un bon moyen de bien comprendre la situation. La date du scrutin est laissée à la discrétion de la classe. Le vote est complètement fictif. Même s’il ne s’agit que d’une simulation, il serait tout de même mieux d’avoir un scrutin avec de vraies formations politiques et de vrais candidats, un scrutin qui aurait lieu en même temps qu’un vrai scrutin.

Les enseignants devraient aussi réfléchir au fait qu’ils n’ont jusqu’à présent pas considéré les étudiants comme des citoyens. Typiquement, le statut des étudiants en tant qu’individus ayant reçu une éducation pour endosser le rôle de « personnes qui représentent une nation et une société paisibles et démocratiques », Article 1 de la Loi fondamentale sur l’éducation, n’est pas reconnu. Par exemple, pendant la pandémie, dans de nombreux établissements, ce sont les enseignants seuls qui ont décidé de maintenir ou non les voyages scolaires. Et les règlements intérieurs absurdes dans les écoles bien trop éloignés des capacités émotionnelles des élèves, qui perpétuent un mode de pensée archaïque, n’en sont qu’une autre manifestation.

Un groupe de recherche du ministère des Affaires intérieures et des Communications a déclaré que « Les étudiants devraient s’impliquer dans la société, penser par eux-mêmes et prendre leurs propres décisions en tant que citoyens ». C’est probablement la raison pour laquelle les écoles encouragent les étudiants à participer à des activités communautaires et bénévoles. Mais la société n’est pas un endroit différent de l’école. L’école, c’est la société, elle en est son prolongement. À quoi bon former des personnes capables de « citoyenneté sensée » (article du même acte) s’ils sont mis à l’écart du processus de décision sur des questions sociales importantes qui les touchent de près, telles que le règlement intérieur d’un établissement scolaire ? L’éducation à la citoyenneté ne doit pas s’arrêter à la sortie de la salle de classe.

J’habite à Matsue, dans la préfecture de Shimane, la seule capitale préfectorale abritant une centrale nucléaire. De janvier à mars 2022, les demandes ont été soumises à Matsue et dans trois villes environnantes, Izumo également dans la préfecture de Shimane, ainsi que Yonago et Sakaiminato dans la préfecture de Tottori, pour la tenue d’un référendum, pour ou contre le redémarrage d’un réacteur à la centrale nucléaire de Shimane. Dans les quatre villes, le nombre de signatures recueillies était largement supérieur au nombre requis par la loi. Cependant, l’opposition des quatre maires a eu pour conséquence que les demandes rédigées par les municipalités ont été complètement ignorées par les assemblées. Les politiques évoquent toujours la façon dont les « citoyens jouent un rôle de premier plan », martelant qu’ils « accueillent favorablement toute participation ». Mais, voilà le résultat ; les opinions des citoyens sont allègrement ignorées. Les écoles ne sont peut-être qu’un microcosme de cette société.

Aux électeurs âgés de donner l’exemple !

Au Japon, on répète souvent aux générations futures qu’ « un gouvernement local indépendant est une école de la démocratie », paraphrasant les propos du juriste britannique et homme politique James Bryce. Mais malheureusement, il y a un oubli fâcheux dans cette phrase : le mot « pratique ». « La meilleure école de la démocratie… est la pratique d’un gouvernement local indépendant. Cet oubli en dit long, et dans le même temps, fait perdre tout sens de la réalité. À la fin du XIXe siècle, Bryce voyait les origines de la démocratie aux États-Unis dans la « pratique » de débats par des citoyens qui se répartissent le nettoyage, l’entretien des routes et la gestion de ranchs. Au Japon, de nos jours, certaines personnes préfèreraient habiter dans des condominiums parce qu’elles ne veulent pas s’impliquer dans des associations de quartier. Les réunions de parents d’élèves pour choisir les membres des comités sont souvent qualifiées de « funérailles », comme si les parents qui étaient choisis étaient punis. Les enfants grandissent en observant leurs parents. Il faut reconnaître que les associations de quartier tout comme celles de parents d’élèves sont confrontées à un certain nombre de problèmes. Mais c’est justement ce qui en fait d’excellents lieux d’apprentissage. Les enfants ne sont pas les seuls à avoir besoin d’« écoles ».

Ma jeunesse coïncide plus ou moins avec les années 1990. À cette époque, le taux de participation à l’élection de la Chambre des représentants chez les jeunes dans la vingtaine se situait dans les 30 %, à peu près autant qu’aujourd’hui... Oui, l’intérêt de ces jeunes n’a absolument pas augmenté ; au contraire, le taux de participation de cette catégorie continue toujours à être le plus bas depuis un demi-siècle. Avons-nous donc bien le droit de critiquer les jeunes d’aujourd’hui, alors que nous n’avions pas fait mieux en notre temps ? Ajoutons que même parmi les personnes en âge d’élever des enfants, seule la moitié se rend aux urnes.

Continuons d’examiner la situation. Les personnes plus âgées disent souvent qu’il faut voter pour les politiques et non pour les personnes. Mais leurs belles paroles finissent par se traduire en « faites ce que je dis mais pas ce que je fais », car il n’est pas exclu qu’elles votent pour quelqu’un parce qu’elles ont un lien personnel avec lui, pour leur travail ou tout simplement parce que c’est un candidat célèbre et qu’elles en sont fans. Lorsque les étudiants de Poli Rangers ont procédé à leur « sondage d’entrée », ils ont tout de suite été confrontés à la sensation que les électeurs n’avaient pas forcément réfléchi trop longtemps avant de faire leur propre choix. Divers facteurs ont facilité la réélection de certaines personnes à plusieurs reprises, tandis que la tendance des politiques à se concentrer sur les questions éphémères et populaires du moment a créé un climat d’instabilité. Mais à qui la faute ? C’est aux électeurs plus âgés de donner l’exemple aux plus jeunes.

Ne vous désintéressez pas de la politique de votre pays

Il se peut que mes propos aient été un peu durs... J’ajouterai donc que des électeurs plus âgés ont également réfléchi à des solutions. Quid du vote en ligne ? Quid de l’abaissement de l’âge minimum pour les candidats ? Pourquoi ne pas mettre en place des « circonscriptions de jeunes » qui représenteraient les voix des jeunes et ou un système qui permettrait aux parents de voter par procuration pour leurs enfants ? D’autres idées ont également été proposées permettant aux électeurs de diviser leur vote par politique ou même de le déléguer à d’autres.

Mais comme aucune de ces idées ne sera retenue, il n’y a pas de quoi faire les fiers. La seule option que nous avons à l’heure actuelle est de nous excuser. Je n’irai pas par quatre chemins : mieux vaut ne pas attendre trop de la génération des électeurs plus âgés. Leur grand âge ne signifie en rien qu’ils sont exemplaires.

Mais pour conclure, laissez-moi vous dire ceci ; surtout ne vous éloignez pas des questions de politique dans votre pays. Même si nous prétendons ne pas être intéressés par certains sujets, ils ont à n’en pas douter un impact non négligeable sur nous. Et le type de politique qui vient mettre son grain de sel dans notre vie quotidienne est toujours... énervant ! (ussee wa !)

(Photo de titre : une simulation de vote dans un lycée de la ville de Matsue appelant à un amendement de la Constitution. Avec l’aimable autorisation de Maiguma Kôichi)

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