Le triste prix de l’excellence : l’image des JO d’hiver est-elle de plus en plus souillée ?

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Les Jeux olympiques d’hiver de Pékin, qui se sont achevés le 20 février, ont été marqués par une grande incertitude. Violations des règlements, contestations des épreuves notées, sanction des irrégularités. La plus grande compétition sportive du monde n’est-elle pas en train d’y perde de son équité ?

Colère et sentiment d’injustice des athlètes après certains arbitrages

Takanashi Sara, de l’équipe japonaise de saut à ski féminin, a été disqualifiée après son premier saut en finale par équipe mixte parce que le tour de cuisse de sa combinaison était deux centimètres trop grand. Afin d’augmenter la distance de vol autant que possible, les athlètes et l’équipe ont travaillé la flottabilité et la portance. Des règlements détaillés et stricts sont en place pour empêcher la tricherie et garantir l’équité de la compétition. Et c’est le savoir-faire de chaque équipe de confectionner pour ses athlètes un costume dans les limites du règlement.

L’inspection des combinaisons est effectuée sur tous les athlètes avant la compétition et de manière inopinée après. Au cours de l’épreuve par équipes mixtes, cinq athlètes de quatre pays, dont Takanashi, ont été jugés en infraction, mais la méthode d’inspection était différente de la méthode habituelle, puisque les athlètes ont dû enlever les guêtres qu’ils portent sous leur combinaison. Si l’équipe japonaise a soumis un avis à la Fédération internationale de ski sur la manière dont les inspections auraient dû être effectuées, la raison de cet incident n’est pas claire.

Dans la première manche du slalom géant parallèle féminin, la snowboardeuse Takeuchi Tomoka, participant à ses sixièmes JO, a été disqualifiée pour avoir interféré avec l’athlète allemande avec laquelle elle courait. Les deux athlètes ont chuté au même endroit, mais les images rediffusées à la télé ne montrent aucun contact, semble-t-il. Takeuchi a fini la course en tête, mais a été disqualifiée pour « abandon de course » et éliminée.

Après l’incident, Takeuchi a déclaré : « Six des huit arbitres étaient Allemands, je me suis dit que je n’avais aucune chance. Ce n’est pas ce que j’appelle l’esprit sportif, mais ça fait partie de la pression particulière qui règne sur les Jeux olympiques. »

Mais les expressions de mécontentement ne viennent pas seulement des perdants.

Hirano Ayumu, médaille d’or dans le half-pipe masculin, était perplexe quant au score de la seconde manche. « Je me demande ce que les juges considéraient comme critères », a-t-il déclaré. « Les athlètes prennent des risques et mettent leur vie en jeu. Pour le bien des athlètes, il serait préférable de régler la question sans ambiguïté », a-t-il ajouté.

À la deuxième manche, Hirano a exécuté un triple cork 1440 pour lequel il n’a été crédité que de 91,75 points. À la troisième manche, il a de nouveau réussi la même figure, obtenant cette fois 96,00 points et remportant la compétition. La question posée par Hirano après sa victoire était : « Quelle était la différence entre le deuxième et le troisième ? »

Des décisions ont également suscité la confusion chez les concurrents internationaux. En demi-finale de l’épreuve masculine de 1 000 m sur piste courte, deux coureurs sud-coréens ont été disqualifiés pour des infractions de changement de couloir. En finale, à laquelle participait la Chine, la Hongrie, arrivée en tête, a également été disqualifiée pour faute, et les médailles d’or et d’argent sont revenues à la Chine.

Dans les courses sur circuit court, où les contacts sont fréquents, les pénalités sont inévitables. Mais les Sud-Coréens, mécontents de la décision, ont annoncé leur intention de faire appel devant le Tribunal arbitral du sport. Les éditoriaux des principaux journaux sud-coréens ont condamné la décision de la Chine, estimant qu’il s’agissait d’une « fabrication à la gloire de Xi Jinping ». Des vidéos du match et des voix en colère ont été publiées et diffusées en ligne.

Les machines peuvent-elles compenser l’ambiguïté du jugement humain ?

Dans de nombreux sports de haut niveau, le jugement vidéo est utilisé pour compléter l'œil subjectif de l’arbitre par une machine. Au football, il existe des systèmes appelés Video Assistant Referee (VAR) et Technologie sur la Ligne de But, qui utilisent des caméras multiples ou une puce dans le ballon pour déterminer si un but a été marqué. Au tennis, les balles litigieuses sont jugées par des images infographiques en cas de contestation d’un joueur.

Cependant, il n’est pas certain que les machines puissent compenser toutes les ambiguïtés de jugement de l’œil humain.

L’épreuve de patinage de vitesse 500 m masculin a été émaillée d’une série de faux-départs mystérieux sur les deux dernières séries auxquelles participaient les deux athlètes japonais Morishige Wataru et Nihama Tatsuya. Les pistolets des juges s’allument quand les deux coureurs ne sont pas à l’arrêt, or, quand on revoit les images, les coureurs ne bougent absolument pas, alors que les caméras haute-définition les ont jugés faux-départs.

C’était une innovation de ces Jeux de voir une caméra de suivi dans chaque couloir afin de vérifier les mouvements des athlètes et de leurs patins avant le départ. Or, une vidéo montrant les coureurs en mouvement après l’allumage du pistolet est apparue sur internet, générant une polémique autour de cette « décision de faux-départ présumé ».

La technologie a également été mise en doute dans la compétition de curling. Deux petites lampes sont présentes de part et d’autre de la poignée de la pierre, de façon à juger si le lancer est valide ou pas. Si les deux lampes sont vertes, alors la pierre a été lâchée en-deçà de la ligne et le lancer est valide. Si l’une des deux est rouge, la pierre a été lâchée au-delà et le lancer est annulé. Pendant les derniers Jeux olympiques, plusieurs cas de capteurs n’ayant pas fonctionné se sont produits, et les joueurs ont dû faire appel aux arbitres. Dans le passé, ces derniers prenaient leur décision uniquement à l’œil.

Il serait dommage que l’introduction d’équipements de haute technologie, loin de clarifier les performances, entraîne de la confusion dans la compétition. Cela signifie qu’abandonner la décision finale aux machines n’est pas la panacée...

Le problème de dopage des athlètes russes : quand l’olympisme n’a rien de beau à montrer

Le dopage est l’une des formes de tricherie les plus graves dans le sport, et ces Jeux olympiques ont vue l’émergence d’un « point aveugle » dans le règlement.

L’affaire la plus médiatisée est celle de Kamila Valieva, patineuse artistique russe de 15 ans, pour violation des règles anti-dopage. Ce n’est qu’après la victoire de l’équipe du Comité Olympique Russe de patinage que le résultat des tests anti-dopage de cette même équipe à l’issue des championnats de Russie fin décembre 2021 a été publié, et ceux-ci se révélaient positifs à la trimétazidine, une substance utilisée dans le traitement des maladies cardiaque et interdite aux sportifs.

L’agence russe antidopage (RUSADA) avait suspendu Valieva au vu de ces tests, mais avait immédiatement levé sa suspension et accepté sa sélection en équipe olympique sous la pression d’un appel formé contre sa première décision. Le Comité International Olympique (CIO) et l’Agence mondiale antidopage (AMA), ont porté l’affaire devant le Tribunal Arbitral du Sport (TAS)

Toutefois, le code mondial antidopage considère les athlètes de moins de 16 ans comme « ayant besoin de protection », ce qui signifie que les mesures disciplinaires à leur encontre doivent rester souples. La durée maximale d’une suspension est de deux ans et la sanction la plus légère est un simple blâme. Le TAS en a tenu compte et a jugé que Valieva pouvait continuer la compétition. Au-delà de cette décision, le fait est qu’à 15 ans, Valieva est l’une des meilleures patineuse artistique du monde, et comme telle entourée d’entraîneurs, de médecins et du staff de son équipe et de sa fédération. La question de savoir comment la substance interdite s’est retrouvée dans son corps doit encore être résolue.

Peut-être à cause du trouble émotionnel généré par cette affaire, Valieva s’est effondrée dans l’épreuve individuelle où elle concourrait également, et a terminée à la 4e place. À peine sa présentation terminée, son entraîneuse, Eteri Tutberidze, l’a prise a parti et lui a demandé : « Peux-tu m’expliquer pourquoi tu as abandonné pendant la deuxième partie ? » Une autre patineuse russe, Alexandra Trusova, 17 ans, arrivée à la deuxième place, a piqué une crise en éclatant en sanglot : « Tout le monde a une médaille d’or. Pourquoi suis-je la seule à ne pas en avoir une ? Je déteste le patinage artistique, je ne veux plus jamais aller sur la glace ». Ces scènes sont emblématiques de ce que les Jeux olympiques peuvent montrer de plus laid quand l’obsession de la victoire fait perdre toute humanité.

Finalement, aucune cérémonie de remise des médailles n’a eu lieu pour l’épreuve dans laquelle Valieva a concouru et gagné pour le Comité Olympique Russe. L’enquête étant toujours en cours, aucune médaille n’a été confirmée. En patinage artistique, l’âge des concurrents est devenu un problème. L’épuisement et les blessures des athlètes suscitent des inquiétudes. L’union internationale de patinage envisage de faire passer l’âge minimum, actuellement de 15 ans au 1er juillet d’avant le début de la saison, à 17 ans.

La quête de l’excellence repose-t-elle sur la victoire à tout prix ?

Les affaires qui ont émaillé ces Jeux olympiques prennent leur source dans la suprématie de la victoire sur l’excellence, derrière laquelle se cachent le nationalisme et le mercantilisme. La couverture médiatique et les attentes du public autour des médailles, l’excitation et les poussées de fièvre des réseaux sociaux, la pression exercée sur les athlètes… Les règles les plus précises, la technologie de pointe au service de l’arbitrage et des tests antidopage plus stricts ne garantiront pas l’équité dans le sport si l’esprit de fair-play fait défaut.

La sécurité des athlètes est également une question émergente. Surtout pour les Jeux olympiques d’hiver, dont de nombreuses épreuves sont acrobatiques. Le mur de neige du half-pipe fait 7,2 mètres de haut. Les meilleurs riders sautent à plus de cinq mètres au-dessus du bord du tube et enchaînent les « big air », soit l’équivalent d’un immeuble de quatre étages au total. A-t-on réfléchi suffisamment aux conséquences d’une chute ?

La progression du niveau des compétition fait elle aussi apparaître des limites. En patinage artistique, Hanyû Yuzuru a plusieurs fois tenté le quadruple axel mais n’y est jamais parvenu. Évidemment qu’il est tentant pour un champion du calibre de Hanyû de vouloir devenir le premier au monde à réussir une figure. Mais quoi, ensuite ? Admettons que quelqu’un y arrive. Qui sera le premier à réussit le quintuple saut ? Depuis quand le patinage artistique est-il devenu le concours de celui qui fait le plus de sauts multiples ?

Depuis les Jeux olympiques de l’été dernier à Tokyo, le CIO a ajouté le mot « ensemble » à la formule « plus vite, plus haut, plus fort ». Cela exprime la volonté de rassembler les gens dans une forme d’harmonie, mais c’est aussi le signe que la devise traditionnelle commence à épuiser sa signification. Il est temps pour le CIO et le reste du monde de repenser l’olympisme de fond en comble.

(Photo de titre : Kamila Valieva [au centre] fond en larmes après sa performance en patinage libre féminin. À gauche, son entraîneuse Eteri Tutberidze. Pékin, 17 février 2022. Reuters)

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