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« Shichifukujin » : les Sept divinités du bonheur au Japon

Culture Tradition

Ebisu, le dieu des pêcheurs, la déesse de la musique Benzaiten, le dieu guerrier Bishamonten… trois des Sept divinités du bonheur au Japon. Avec des origines diverses telles que shintoïsme, le bouddhisme, l’hindouisme ou encore le taoïsme, elles personnifient la chance et correspondent à sept vertus.

Le moine Tenkai, fondateur du temple bouddhique Tôeizan Kan’ei-ji, situé dans le quartier tokyoïte d’Ueno, et ancien conseiller politique du shogun Tokugawa Ieyasu, se plaisait à clamer que les sept vertus de l’homme d’État idéal sont la longévité, la prospérité, la popularité, l’intégrité, la dignité, la bonté et la magnanimité. Les Japonais croyaient que ces vertus pouvaient être accordées à la manière de bénédictions par les Sept divinités du bonheur, en japonais shichifukujin. Ebisu, une ancienne divinité tutélaire japonaise, est l’une d’entre elles. Les six autres sont Daikokuten, Benzaiten, Bishamonten, Hotei, Fukurokuju et Jurôjin, toutes originaires d’Asie continentale.

Ebisu (l’intégrité)

Ebisu est issu de l’union du dieu Izanagi et de la déesse Izanami, les divinités à l’origine de la création du Japon. Initialement connu sous le nom de Hiruko, le dieu Ebisu n’a pas toujours été chanceux dans la vie. Né avec une malformation, ses parents l’ont jeté à la mer dans une barque faite de roseaux. Par chance, le bateau parvint jusqu’au rivage. Là-bas, il fut recueilli et élevé avec amour, devenant par la suite un des Sept dieux du bonheur.

C’est ce lien d’Ebisu avec la mer qui lui valut d’être considéré comme le dieu des pêcheurs. C’est pourquoi, il est d’ordinaire représenté une canne à pêche dans une main et une grosse daurade, ou tai en japonais, dans l’autre main. Les daurades sont considérées comme de bon augure au Japon en raison de leur association avec le mot medetai, qui signifie « sous de bons auspices ».

Ebisu
Ebisu

Ebisu est probablement le plus connu des Sept divinités du bonheur au Japon. C’est lui qui figure sur le logo de « Yebisu », la marque de bière haut de gamme de Sapporo. On trouve cette boisson dans n’importe quel supermarché ou supérette du pays, il n’est donc pas surprenant qu’Ebisu soit très familier des Japonais.

La gare d’Ebisu, à Tokyo, a été construite en 1901, pour le chargement et le déchargement de la bière. La bière et, plus tard, le quartier doivent tous deux leur nom au dieu porte-bonheur du même nom. Il semble en effet que ce dernier ait été bénéfique à la marque Yebisu, dont le succès ne se dément pas depuis plus d’un siècle, et au quartier d’Ebisu qui est depuis devenu un endroit de la capitale plutôt aisé.

La bière Yebisu (© Kyôdô)
La bière Yebisu (Kyôdô)

Le dieu Ebisu est également présent dans la culture populaire. Dans le Kansai (Osaka et ses environs), chaque année, au mois de janvier, il est célébré à l’occasion de nombreux festivals, notamment aux sanctuaires Imamiya Ebisu à Osaka et au sanctuaire Nishinomiya dans le quartier du même nom, dans la préfecture de Hyôgo. Lors de ce festival, des hommes participent à une course, et les plus rapides deviennent des fuku-otoko, ou « hommes chanceux », bénis par la bonne fortune pour le restant de l’année.

Les coureurs s'élancent pleins d’espoir pour devenir les prochains « hommes chanceux » pour l'année qui débute, au sanctuaire de Nishinomiya. (© Jiji)
Les coureurs s’élancent pleins d’espoir pour devenir les prochains « hommes chanceux » pour l’année qui débute, au sanctuaire de Nishinomiya. (Jiji)

Daikokuten (la prospérité)

Daikokuten est le dieu de la prospérité. Il est en général représenté tenant un maillet et un sac en or. Le maillet est l’uchide no kozuchi magique, un outil qui peut faire apparaître n’importe quel objet voulu.

La forme du Daikokuten tire à la fois son origine de la divinité shintoiste Ôkuninushi et de la divinité hindoue Shiva dans sa représentation féroce de Mahâkâla, connue sous le nom de « Grande noirceur », ou destructeur ultime de toute chose. Les idéogrammes Ôkuni (大国) pouvant également se lire daikoku, homonyme de « grande noirceur » en japonais (大黒), ce dieu aurait ainsi été associé à la divinité hindoue Mahâkâla.

Daikokuten
Daikokuten

Benzaiten (la générosité)

Benzaiten est la seule déesse parmi les shichifukujin. Elle tire son origine de la divinité hindoue de l’eau Saraswati. Symbolisant les vertus de la musique, de l’éloquence et de la sagesse, elle est souvent représentée tenant un biwa, luth traditionnel japonais. Si son nom s’écrivait initialement 弁才天 (Benzaiten), en raison de ses nombreuses associations avec la richesse, son nom apparaît parfois sous une version légèrement modifiée avec un idéogramme central différent : le caractère chinois n’est plus 才 (génie) mais 財 (fortune/richesse).

Benzaiten
Benzaiten

Au Japon, certains temples sont connus sous le nom de zeni-arai Benten. Benten est le nom simplifié de Benzaiten et zeni-arai signifie « laver de l’argent ». Comme son nom l’indique, le visiteur peut laver son argent dans l’eau de source de ces sanctuaires, et ainsi comme le dit la légende, le voir se multiplier et lui apporter la richesse. Situé près de la capitale, le sanctuaire Zeniarai Benzaiten, à Kamakura, est tout indiqué pour tenter cette expérience, qui on l’espère sera fructueuse.

Un visiteur lavant de l’argent dans l’espoir de le voir se multiplier...
Un visiteur lavant de l’argent dans l’espoir de le voir se multiplier...

Bishamonten (la dignité)

Souvent représenté arborant une armure, Bishamonten était un dieu guerrier. Les seigneurs de la guerre lui vouaient un véritable culte pendant la période des Provinces combattantes (1467–1568).

Uesugi Kenshin, l’un des plus puissants daimyô (seigneur féodal) de cette époque et un commandant militaire aguerri, était un fervent adepte de Bishamonten. Il avait pour coutume d’adresser des prières à la divinité guerrière avant chaque bataille. En raison de ses hauts faits militaires, beaucoup pensaient qu’il était peut-être une réincarnation de Bishamonten. Cependant, Bishamonten n’était initialement pas un dieu de la guerre. En Inde, il était considéré comme un roi céleste capable d’offrir des trésors. Il faudra attendre que le culte voué à cette divinité traverse la Chine pour qu’il soit vénéré comme un dieu.

Il est généralement représenté avec une pagode au trésor (stupa) dans la main gauche, représentant les préceptes de Bouddha et les richesses qu’il peut acquérir, et une longue lance pour éloigner les esprits maléfiques dans la main droite.

Bishamonten
Bishamonten

Fukurokuju (la popularité)

Dans le taoïsme, le dieu Fukurokuju est considéré comme la représentation divine de l’étoile du pôle sud nankyokusei. Il apporte chance pour ceux qui souhaitent avoir des enfants, prospérité, santé et longévité. Il est souvent représenté avec une grue, symbole bien connu de la longévité. On le confond souvent avec Jurôjin, ou tout du moins, on dit qu’ils seraient jumeaux. Mais on peut par exemple les distinguer en regardant l’animal qui les accompagne.

Fukurokuju
Fukurokuju

Jurôjin (la longévité)

Tout comme Fukurokuju, dans le taoïsme chinois, le dieu Jurôjin est considéré comme la représentation divine de l’étoile nankyokusei. Selon cette croyance, qui verra cette étoile verra sa vie prolongée. Il est souvent considéré comme étant le même dieu que Fukurokuju. Mais on le voit souvent représenté debout aux côtés d’un cerf, un moyen de différencier à coup sûr les deux dieux. Il apporterait longévité à qui le vénérera et aurait le pouvoir de guérir les maladies.

Jurôjin
Jurôjin

Hotei (la magnanimité)

Hotei est le seul shichifukujin qui a réellement existé en tant que personne. Il s’inspirait de Budai, un moine bouddhiste chinois qui vécu vers le Xe siècle et qui aurait erré dans les villes à demi-nu, prédisant la bonne aventure. Les caractères chinois de son nom 布袋 (Hotei) peuvent être également se lire nuno-bukuro, qui signifie littéralement « sac de vêtements ». Il est d’ailleurs souvent représenté transportant un imposant baluchon, d’où il sort du riz et des friandises qu’il donne aux enfants et aux plus démunis.

L’éventail qu’il tient dans la main droite représente la capacité d’exaucer des souhaits. Il apporte le bonheur sous la forme de rires et mariage heureux.

Hotei
Hotei

Shichifukujin Meguri (les pèlerinages des Sept Divinités du Bonheur)

Pour les habitants d’Edo (maintenant Tokyo), parcourir les sanctuaires ou shichifukujin meguri, qui abritent chacun des sept dieux était tout autant un rituel religieux qu’un loisir. Ces pèlerinages existent encore aujourd’hui et peuvent être pratiqués sans condition préalable requise. À Tokyo, les parcours les plus renommés pour se rendre sur les sites abritant les sept dieux dans chacun des sanctuaires sont Yanaka, qui serait le plus vieux de ces itinéraires de pèlerinage, qui passe par Arakawa, Taitô et Kita près d’Ueno ; Yamate, un circuit plus court, fait le tour de la gare de Meguro ; et Sumida, qui est un pèlerinage qui longe le fleuve Sumida en commençant près de la tour Tokyo Skytree. Il existe de nombreux autres pèlerinages de ce type d’un bout à l’autre de l’Archipel.

Autrefois, il était de bon ton de rendre visite aux shichifukujin à l’occasion du Nouvel An. Une coutume consiste à placer un morceau de papier avec le dessin d’un « bateau au trésor » transportant à son bord les sept dieux (voir photo de titre), sous l’oreiller d’une personne à qui on souhaite bonne chance pour son « premier rêve » de l’année. Plus récemment, pour stimuler le tourisme, certains sites présentent ces pèlerinages comme des voyages amusants et des parcours de marche à pied accessibles toute l’année. Pourquoi ne pas vous laisser tenter et voir ce que ces sept divinités du bonheur ont à vous apporter ?

(Toutes les photos : Pixta, sauf mentions contraires)

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