Une balade culturelle et touristique autour de la ligne Yamanote

D’Ôsaki à Tamachi : explorer le passé et le futur de Tokyo

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Les tours résidentielles d’Ôsaki et Shibaura ainsi que l’immense projet de réaménagement entre Shinagawa et Takanawa Gateway incarnent peut-être le nouveau visage de Tokyo. Pourtant, l’ancienne rue commerçante bordant ce qui était autrefois la vieille route du Tôkaidô rappelle que le quartier de Shinagawa est avant tout un lieu chargé d’histoire et de traditions.

Entre passé et futur, à la pointe sud de la Yamanote

Notre promenade le long de la ligne Yamanote débute à la gare d’Ôsaki, tout au sud de la boucle, dans l’un des quartiers récemment réaménagés de Tokyo. C’est une partie de la ville que les étrangers découvrent rarement. Et pourquoi iraient-ils donc s’y aventurer ? C’est sans doute là qu’on distingue un touriste occasionnel d’un véritable voyageur ou explorateur urbain : ce dernier perçoit de l’intérêt là où d’autres ne voient que banalité ou routine.

La ligne Yamanote et ses 30 gares. (Pixta)
La ligne Yamanote et ses 30 gares. (Pixta)

En arpentant Ôsaki New City, un nouveau complexe mêlant habitations et bureaux, on a l’impression de déambuler dans l’une de ces vidéos promotionnelles vantant un paradis urbain imaginé par des promoteurs immobiliers. Le décor semble à la fois irréel et grisant.

Les berges de la rivière Meguro près d’Ôsaki ont récemment été réaménagées.
Les berges de la rivière Meguro près d’Ôsaki ont récemment été réaménagées.

Même si la gare est aujourd’hui encerclée de gratte-ciel étincelants, il suffit de gravir la colline voisine pour retrouver des vestiges d’un autre temps : le sanctuaire shintô Irugi, vieux de 400 ans, et son voisin bouddhique, le temple Kannon-ji. Mariant avec naturel spiritualité et activité commerciale, l’Irugi expose une belle collection de bannières traditionnelles colorées, chacune promouvant un type de prière tarifée : réussir un concours scolaire, guérir d’un mal persistant, donner naissance à un enfant en bonne santé, connaître le succès en affaires ou encore trouver l’âme sœur.

Le sanctuaire propose de nombreuses prières et amulettes, moyennant paiement.
Le sanctuaire propose de nombreuses prières et amulettes, moyennant paiement.

Je me réfugie ensuite sur les berges paisibles de la rivière Meguro, que je longe vers l’aval, jusqu’au point où la Yamanote effectue un brusque virage à gauche pour repartir vers le nord. Les promeneurs curieux peuvent explorer ce qui se cache au-delà des immeubles bordant le fleuve. On y découvre alors une nouvelle colline. En plein cœur de cette mégapole qui ne semble jamais dormir, ce petit quartier retiré s’apparente à un improbable paradis verdoyant.

Ici, les rues sont exceptionnellement silencieuses. Et selon votre sensibilité auditive, vous entendrez soit le bruissement des feuilles, soit le souffle continu des bâtiments (le long vrombissement des climatiseurs et le bourdonnement assourdi des appareils électriques...).

Trains et tombes illustres

Ma prochaine halte est le pont Iruki. Depuis ce point, on profite d’une belle vue sur les Shinkansen approchant lentement de la gare de Shinagawa, tandis que la ligne verte de la Yamanote s’en échappe à vive allure. Avec un peu de patience (et de chance), on peut même observer un moment où les deux trains se chevauchent.

Il s’agit d’un lieu fascinant pour les passionnés de trains, qui peuvent admirer les convois de diverses lignes : les rames bleues de la ligne JR Keihin Tôhoku, et les rouges de la Keikyû.

Mais ce n’est pas tout : un cimetière pluriséculaire appartenant au temple bouddhique Tôkai-ji se trouve coincé entre plusieurs voies ferrées, pendant que les trains défilent sans relâche. Ici, les morts ne peuvent vraiment reposer en paix que la nuit venue. Par ailleurs, c’est peut-être le seul endroit où l’on peut s’approcher d’un Shinkansen « en liberté » (c’est-à-dire hors d’une gare) au point de presque le toucher. Un petit sentier dans le labyrinthe du cimetière débouche abruptement sur le mur longeant les voies ferrées, et alors que l’on s’interroge sur le sens de cette impasse, un train à grande vitesse file à toute allure, nous tirant brusquement de notre rêverie.

Le cimetière pluriséculaire du Tôkaiji est coincé entre les lignes Shinkansen, Yamanote et Keikyû.
Le cimetière pluriséculaire du Tôkaiji est coincé entre les lignes Shinkansen, Yamanote et Keikyû.

Poursuivant mon chemin vers le nord, le long de la ligne Keihin en direction de Shinagawa, j’arrive devant l’impressionnant escalier qui mène au sanctuaire Shinagawa (Shinagawa-jinja). À l’arrière de l’enceinte sacrée repose Itagaki Taisuke (1837–1919), patriote du clan Tosa (actuelle préfecture de Kôchi) et figure du Mouvement pour la liberté et les droits du peuple durant l’ère Meiji (1868–1912). Mais ce qui m’attire davantage, c’est la rue commerçante que j’aperçois de l’autre côté de la large avenue.

Entre quartiers anciens et Tokyo ultra-moderne

Saturé par les rues en béton armé, je découvre avec soulagement le quartier de Kita-Banba, plus chaleureux et intime, avec ses maisons de deux ou trois étages. Rues étroites envahies par les plantes sauvages, minuscule temple de quartier aux couleurs vives, boutique vendant zôri et geta (chaussures traditionnelles) que sa jeune propriétaire dit ouverte depuis l’époque Meiji, ou encore la quincaillerie Hoshino, si ancienne que son enseigne est inscrite de droite à gauche, comme à l’époque, et des habitants qui s’arrêtent pour discuter en rentrant chez eux.

L’une des plus vieilles boutiques de l’ancienne route du Tôkaidô vend des chaussures traditionnelles depuis l’ère Meiji.
L’une des plus vieilles boutiques de l’ancienne route du Tôkaidô vend des chaussures traditionnelles depuis l’ère Meiji.

La quincaillerie Hoshino est si ancienne que son nom est encore inscrit de droite à gauche.
La quincaillerie Hoshino est si ancienne que son nom est encore inscrit de droite à gauche.

La gare de Shinagawa, un peu plus au nord de Kita-Banba, occupe une place de choix dans l’histoire de Tokyo. Ce fut le point de départ de la première ligne Yamanote (quarante ans avant la boucle complète) et la première cible de Godzilla lors de sa visite dans la capitale, dans le film original de 1954.

Difficile d’imaginer aujourd’hui que la gare faisait autrefois face à la mer. Toute la zone située à l’est repose en fait sur des terres gagnées sur l’eau. Longtemps, les quartiers de Kônan et Shibaura, entre les gares de Shinagawa et Takanawa Gateway, n’étaient qu’entrepôts, usines et infrastructures de la ville. Mais depuis le tournant du siècle, les promoteurs se sont emparés de ce quartier prisé, y construisant une tour résidentielle après l’autre et attirant de nombreuses jeunes familles.

Le canal de Takahama longe les nouveaux quartiers résidentiels à l’est de la gare de Shinagawa.
Le canal de Takahama longe les nouveaux quartiers résidentiels à l’est de la gare de Shinagawa.

Le grand parc Kônan Ryokusui, bordé par le Tokyo Monorail, résonne de cris et de jeux d’enfants. On se demande ce qu’ils font là, dans cet ancien no man’s land qui, il y a 150 ans à peine, était encore sous les eaux. Le quartier a beau avoir été bâti et peuplé (je compte cinq tours résidentielles autour du parc), il conserve un caractère étrange, résolument artificiel, comme si les habitants n’étaient pas tout à fait censés y vivre.

De l’autre côté du canal, un enchevêtrement d’entrepôts gris, de grues et de bateaux de pêche rappelle qu’il ne s’agit pas ici d’une zone résidentielle classique, mais d’une version plus brute et plus ancienne de Tokyo.

Le renouveau autour de la plus jeune gare de la Yamanote

Takanawa Gateway, dernier-né du réseau Yamanote (et inaugurée en 2020), incarne l’avenir de Tokyo. Le bâtiment de la gare, signé par l’architecte Kuma Kengo, est indéniablement superbe. Mais les alentours sont encore en chantier. Même le week-end, les bruits de marteaux, perceuses et scies émanent du gigantesque site de construction voisin.

La nouvelle gare de Takanawa Gateway, conçue par l’architecte Kuma Kengo.
La nouvelle gare de Takanawa Gateway, conçue par l’architecte Kuma Kengo.

L’un des lieux sacrifiés par ce projet est le célèbre tunnel obake (fantôme), surnommé kubi-magari (littéralement « cou tordu »), parce que son plafond est si bas (170 cm) que les personnes de grande taille doivent se pencher pour le traverser. Hélas, l’aménagement d’une nouvelle route pour les voitures signe sans doute la fin prochaine de ce passage mythique.

Le tunnel obake ne fait que 170 centimètres de haut.
Le tunnel obake ne fait que 170 centimètres de haut.

Nous achevons cette promenade à Shibaura, près de la gare de Tamachi. Cette île artificielle constitue un havre résidentiel paisible pour une population aisée et ambitieuse. De gigantesques blocs de béton habités, comme le Grove Tower ou le Bloom Tower, me laissent songeur : que deviendront leurs résidents lors du prochain grand séisme, coincés sans ascenseur dans leurs tours et contraints de gravir 20 ou 30 étages avec vivres et bouteilles d’eau ?

Assis sur un banc face à l’un des canaux, je contemple les monorails glisser élégamment au-dessus de l’eau.

(Photo de titre : le Tokyo Monorail glisse au-dessus de la baie près de la gare de Tamachi. Toutes les photos © Gianni Simone)

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