Les milles et une merveilles de Kyoto
Des vérités sur Kyoto : une remise en question d’idées reçues sur l’ancienne capitale
Société Tourisme Livre- English
- 日本語
- 简体字
- 繁體字
- Français
- Español
- العربية
- Русский
La vérité sur la cuisine de Kyoto
Ariga Ken, économiste et professeur émérite à l’université de Kyoto, connaît bien cette ville pour y avoir vécu un demi-siècle. Dans son nouveau livre, « Kyoto : l’avenir d’une ville industrielle inachevée » (Kyôto : Mikan no sangyô toshi no yukue), il déclare : « Les clichés qui tournent en boucle sur Kyoto ne reposent que sur peu de preuves tangibles et s’effondrent face aux faits. »
Ce qui distingue cet ouvrage des autres, c’est qu’il repose sur une analyse minutieuse de données statistiques sur la population, l’industrie, le travail, la circulation, et d’autres domaines de la ville. Ariga utilise ces chiffres pour retracer les transformations de l’environnement urbain de Kyoto depuis la Restauration de Meiji en 1868.
Quels sont les clichés qu’il réfute ? « Un exemple typique est l’adulation excessive pour la cuisine de Kyoto, devenue presque de rigueur dans toute discussion sur la scène culinaire de la ville. On suppose que les restaurants de Kyoto, en particulier ceux servant de la nourriture traditionnelle japonaise, sont les fiers héritiers d’une longue tradition et qu’ils ont toujours eu la même réputation d’excellence dont ils jouissent aujourd’hui, comme si cela n’avait absolument rien à voir avec la récente montée en popularité de la ville en tant que destination touristique. » C’est en effet ce que la plupart des gens pensent, et selon Ariga, ils ont tort.
En réalité, la popularité de la cuisine de Kyoto ne s’est faite que récemment. Les statistiques sur le nombre de personnes travaillant dans la restauration et l’hôtellerie montrent que le secteur a commencé à prospérer durant la période de bulle économique des années 1980, alors que d’autres grandes agglomérations régionales comme Osaka, Fukuoka et Kobe ont connu un développement bien antérieur de leur gastronomie. Sur les 50 meilleurs restaurants de Kyoto cités par un site de recherche spécialisé, seuls 10 d’entre eux remontent au XXe siècle ou auparavant. Les 40 autres sont tous de nouveaux venus, établis au tournant du millénaire.
Même la célèbre haute cuisine kaiseki souvent associée à la culture raffinée de la ville, a en réalité fait ses débuts au restaurant Kitchô à Osaka. La nourriture traditionnelle de Kyoto était alors assez différente, consistant principalement en des plats mijotés maison comme l’imobô (un mélange de morue séchée et d’ebi-imo, une sorte de taro), et utilisant de grandes quantités de légumes et d’ingrédients marinés. La ville étant éloignée de la côte, les seuls produits de la mer utilisés dans le régime alimentaire traditionnel étaient des produits conservés qui ne se gâtent pas, comme le maquereau salé et le hamo (murène japonaise).
Deux facteurs cruciaux ont apporté à la cuisine de Kyoto la renommée et le succès qu’elle connaît aujourd’hui. Le premier a été l’arrivée de nombreux touristes aisés, qui ont créé une nouvelle demande pour la haute gastronomie, et le second a été la construction d’autoroutes modernes qui, avec l’évolution des techniques de réfrigération, a rendu possible la consommation de fruits de mer frais au sein même de cette ville enclavée. En conséquence, plus de 60 % des établissements de haute gastronomie de Kyoto sont concentrés sur une portion relativement restreinte de la ville : principalement dans les arrondissements de Kamigyô, Nagagyô, Shimogyô, et le célèbre « quartier des geishas » de Gion.
Une ville de commerçants dotée d’une industrie à petite échelle
L’un des principaux sujets du livre est l’histoire de Kyoto en tant que ville industrielle, bien loin de son image internationale de « musée vivant » constitué de temples et de maisons de thé. Ce processus de modernisation, soutient l’auteur, reste aujourd’hui encore inachevé, ce qui pose plusieurs problèmes qui rendent sa régénération en tant que ville prospère du XXIe siècle particulièrement difficile.
Kyoto était connue pour son industrie traditionnelle de textile, représentée par les célèbres tissus ornés de Nishijin, utilisés pour les kimonos haut de gamme et les ceintures obi. L’industrie était dominée par des entreprises familiales de relativement petite taille. Les personnes qui les dirigeaient étaient les machi-shû, une classe commerciale et industrielle de marchands et d’artisans qui avaient une présence majeure dans la ville, aidant au développement de sa culture et jouant un rôle de premier plan dans le gouvernement local et pour les événements communautaires (dont notamment le Gion Matsuri, ainsi que d’autres festivals).
Jusque dans les années 1960, écrit Ariga Ken, les rues du centre-ville étaient encore disposées comme une grille d’échiquier de maisons traditionnelles machiya avec des toits en tuiles, avec des pâtés de maisons séparés par des routes étroites ayant à peine assez de place pour une seule voie de circulation. Depuis le début de l’ère moderne, la communauté locale s’est développée autour de ce noyau central, composé des commerçants de Muromachi, des artisans de Nishijin, ainsi que d’autres zones traditionnelles d’industrie artisanale.
La classe traditionnelle de commerçants et d’artisans a su conserver sa position dominante au sein de la communauté locale, empêchant ainsi la transformation de Kyoto en une ville industrielle moderne durant la période de croissance économique rapide d’après-guerre, contrairement à Tokyo et Osaka.
Kyoto n’est cependant pas dépourvue d’entreprises modernes de haute technologie, dont certaines font partie des plus connues du Japon : Nintendo, Kyocera et Murata Manufacturing y ont établi leur siège. Certains voient dans ces exemples de réussite technologique un lien avec l’histoire de l’artisanat de grande qualité de la ville, arguant que ces entreprises sont issues des industries traditionnelles et que la culture de l’artisanat raffiné de Kyoto fait partie de la raison de leur succès. Mais Ariga n’est pas convaincu par cet argument :
« Il est important de noter que ces entreprises n’ont pas été établies dans le centre de la ville, dans le quartier de Nishijin ou à Higashiyama (le centre traditionnel de la céramique de Kyoto) mais dans le sud-ouest de la ville, où elles se sont rapidement développées durant les dernières années du boom économique d’après-guerre. Elles ont par la suite souvent divisé leurs centres de production entre des usines à l’intérieur et à l’extérieur de la ville, et ont ensuite connu leur grand succès en s’éloignant de Kyoto. »
La raison en est simple : il est impossible de construire des bâtiments modernes de grande hauteur dans le centre de la ville, à cause des réglementations strictes visant à préserver l’apparence pittoresque de ses quartiers historiques. Ainsi, contrairement à d’autres grandes villes japonaises, le centre de Kyoto ne s’est pas transformé en vibrant quartier d’affaires rempli de gratte-ciels pendant la période de bulle économique.
Kyoto a certes su mieux conserver ses anciens quartiers traditionnels par rapport à d’autres villes japonaises, non pas parce qu’elle n’a jamais été ciblée par des bombardements pendant la guerre, comme beaucoup de gens le pensent, mais parce que des secteurs comme Nishijin et Muromachi ont continué à dominer la vie locale après la guerre, permettant de conserver des rues bordées de maisons traditionnelles machiya dans les zones centrales de la ville jusqu’aux années 1990.
La valeur touristique de Kyoto est-elle sa faiblesse ?
C’est à ce moment, après l’éclatement de la bulle économique, que les quartiers artisanaux ont connu un déclin terminal. Aucune nouvelle industrie n’est venue prendre leur place. Plusieurs facteurs ont entravé la croissance de nouvelles industries, notamment à cause des problèmes de planification urbaine liés aux restrictions de zonage du centre-ville pittoresque, ainsi que des retards dans la construction d’un réseau de transport moderne. Depuis 2010, la ville est devenue un véritable pôle du tourisme international au Japon, mais cela n’a bénéficié qu’à une petite section de l’économie locale : principalement les restaurants et autres petites entreprises touristiques, qui sont pour la plupart des nouveaux venus et non des entreprises familiales de longue date.
Ariga Ken soutient que Kyoto a peut-être « trop bien réussi pour son propre bien en tant que ville touristique », et que ce succès pourrait bien freiner tous les autres secteurs de son économie.
« Depuis l’effondrement de la bulle financière au début des années 1990, Kyoto a connu une transformation majeure non seulement dans l’apparence de ces rues et de ses structures industrielles, mais également dans la composition même de ses communautés locales. Et ces changements n’ont été que plus rapides à s’effectuer à mesure que l’image de la ville en tant que site touristique s’est affermie. Bien que Kyoto soit aujourd’hui sortie de la stagnation prolongée dans laquelle elle s’était enfermée durant les décennies d’après-guerre, la ville a perdu son caractère artisanal traditionnel en tant que foyer de la classe des machi-shū, et semble toujours chercher un nouveau rôle et une nouvelle identité. »
« Ces dernières années, la population locale de Kyoto ne cesse de diminuer, ce qui fait d’elle la plus grande ville du Japon à avoir une population en déclin. Cette baisse démographique est particulièrement prononcée chez les jeunes, soulignant le manque d’opportunités d’emploi et l’échec de la ville à offrir un environnement attrayant pour les jeunes familles. »
Ironiquement, le succès du secteur touristique de Kyoto pourrait menacer la viabilité future de la ville dans son ensemble. Que se passera-t-il donc lorsque le boom touristique actuel prendra fin ?
(Photo de titre : Nippon.com)