Allons voir les festivals japonais !

Gion matsuri : le plus célèbre festival d’été du Japon

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Du premier au dernier jour de juillet, la ville millénaire de Kyoto se pare aux couleurs de « Gion matsuri », le festival de Gion. Ce sont évidemment les temps forts du « yoiyama », du 14 au 16, et la procession des « yamahoko » le 17 qui attirent le plus de monde. L’esprit de l’hospitalité des citoyens de Kyoto, qui allaient jusqu’à importer des objets précieux de l’étranger pour décorer leurs chars, a toujours soutenu ce festival traditionnel, le plus important de tous les matsuri d’été du Japon. (Note : en juillet 2022, le festival a enfin pu se dérouler après deux annulations pour raisons sanitaires en 2020 et 2021)

L’avenue Shijô-dôri, le soir du 16 juillet lors de la parade de yoiyama. Les lanternes komagata illuminent le crépuscule. De nombreux touristes étrangers assistent à l’événement.

Gion matsuri au son des « hayashi »

Kon kon chikichin ! Kon chikichin !

La musique des ensembles traditionnels appelés hayashi résonne dans toute la ville le soir du yoiyama. Les voix des petits vendeurs de chimaki, papillotes de riz glutineux fourré cuites à la vapeur dans une feuille de bambou semblent les accompagner. Comptées à partir de la procession du 17 juillet, les trois soirées précédentes sont appelées yoiyama (Fête de la veille) le 16, yoi-yoiyama (fête de l’avant-veille) le 15, et yoi-yoi-yoiyama (fête de l’avant-avant-veille) le 14.

Un Gion-bayashi directement dans un char décoré yamahoko. Les membres du hayashi ont longuement répété pour cette occasion.

L’avenue Shijô, l’artère principale de Kyoto, avec ses grands magasins qui se suivent les uns après les autres, change totalement de visage pendant le Gion matsuri, quand passe le Naginatahoko (char de long sabre) de 25 mètres de haut et les autres chars somptueusement décorés qui le suivent. Les plus importants de ces chars, appelés yamahoko, défilent aussi dans le sens nord-sud, sur la rue Muromachi et la rue Shinmachi, chaque quartier des alentours vendant ses spécialités à l’occasion et pendant toute la durée du festival.

Vue de l’avenue Shinmachi-dôri en pleine effervescence. À gauche, le yamahoko que l’on aperçoit tout au fond est le fameux char de Minami-Kannonyama. À droite, un stand où chacun achète des tenugui (petites serviettes rectangulaires), uchiwa (éventail non-pliable), amulettes porte-bonheur à l’effigie de chaque quartier.

À l’approche du soir, les lanternes s’éclairent sur les chars décorés. Toutes les rues, réservées aux piétons pour l’occasion, s’emplissent de spectateurs en yukata (kimono léger). Puis, à 22 heures, les hayashi de chaque quartier défilent au son du hiyori-kagura, musique toute spéciale pour avoir beau temps le grand jour du 17. Les spectateurs flânent au son des musiques qui se superposent en une mixture sonore très festive.

Tous les orchestres de quartier se dirigent à l’otabisho où les mikoshi (sanctuaires portatifs) seront posés jusqu’au 24 juillet, le jour de leur retour au sanctuaire de Yasaka.

Les virages aux carrefours spectaculaires

Enfin, c’est le matin du 17 juillet. Les stands des forains ont été démontés et la ville est plongée dans le silence. C’est alors que la procession des yamahoko commence.

Le yamahoko de Kita-Kannonyama avance dans la rue de Shinmachi-dôri. Les haleurs sont habillés de haori (manteaux courts) blancs, alors que les pilotes, chargés d’ajuster la direction du char, sont vêtus de bleu. Afin d’éviter de toucher les câbles électriques (certains chars faisant plus de 20 mètres de haut), des guides sont également postés sur le toit du char.

Les chars du Gion matsuri sont divisés en deux catégories : les « yama » (montagnes) et les « hoko » (sabres), d’où leur nom générique de yamahoko. Les yama n’ont pas de toit, les mannequins décoratifs sont posés directement sur le char. Les hoko, eux, ont un toit. Ils sont proprement gigantesques. Les plus grands d’entre eux, comme le Kita-Kannonyama, ont en plus d’énormes roues. Les musiciens du hayashi sont installés à l’intérieur du char, sous le toit, et jouent tout au long de la procession.

Les yama transportent des mannequins. À gauche, le Kakkyoyama. Au centre, le Hokahoko. Les ondotori (conducteurs) donnent de la voix en s’accompagnant de leur éventail. À droite, le Funehoko, en forme de bateau.

La procession des chars sur Shijô-dôri.

Au total, 33 chars participent à la procession au rythme de leur Gion-bayashi. Le moment le plus spectaculaire est celui où chaque char tourne à angle droit au coin d’une rue. Car les essieux des chars ne sont absolument pas directionnels. Il faut donc les faire pivoter à 90°, en disposant des bambous sous les roues pour leur permettre de glisser. « Yôi-tose ! » Au signal des conducteurs, l’équipe des haleurs tire sur les cordes et le char de plusieurs tonnes pivote. C’est vraiment un spectacle à voir ! On peut dire que ces tsuji mawashi (virages aux carrefours) sont le point culminant de Gion matsuri.

Le char Minami-Kannonyama effectue un tsuji mawashi

Une fête pour apaiser les âmes des morts

Une maiko en yukata encourage le char

Le Gion matsuri est considéré à juste titre comme le plus important des festivals d’été au Japon. Ses origines remontent à plus de 1 100 ans en arrière.

À Kyoto, la capitale du Japon à l’époque, les épidémies étaient courantes en été, et faisaient de nombreuses victimes. La rivière qui traverse la ville, la Kamogawa, était également sujette à de violentes crues pendant la saison des pluies. Ce sont ces eaux qui stagnaient ensuite qui étaient la cause des épidémies.

D’autres régions étaient victimes de catastrophes naturelles. Le très gros tremblement de terre de Jôgan s’est ainsi produit en 869 au large de la côte de Sanriku dans le Nord-Est. Ce séisme, qui a été estimé à une magnitude de 8,4 a provoqué un tsunami d’une ampleur équivalente à celui de 2011. À l’époque, on pensait que les catastrophes naturelles, comme aussi les éruptions du Mont Fuji ou du Mont Aso (Kumamoto), étaient causées par les malédictions des âmes de mort brutale.

Le mikoshi de Susanoo no Mikoto quitte le Pavillon de la Danse du sanctuaire de Yasaka (à gauche). Le Maire de ville de Kyoto prononce un discours devant les 3 mikoshi de sortie (à droite).

Il faut apaiser les âmes courroucées dans tout le pays… C’est ainsi que le Gion matsuri était à l’origine un goryô-e (un rite d’exorcisme et d’apaisement des âmes courroucées) du sanctuaire Yasaka, autrefois appelé sanctuaire Gion.

« En réalité, explique M. Yoshida Kôjirô, président de la Fédération des yamahoko du Gion matsuri, l’événement principal au cœur du Gion matsuri est la sortie des trois mikoshi du sanctuaire de Yasaka. Le 17 juillet, jour du Shinkôsai (parade-aller), les trois divinités, à commencer par Susanoo no Mikoto, sont déplacées en palanquin jusqu’à un otabisho où ils résident jusqu’au 24 juillet, jour de la fête du Kankôsai (parade-retour) où ils retournent dans leur sanctuaire de Yasaka. Ces déplacements divins sont une façon de remettre en place ce qui était dérangé. Ces déplacements s’accompagnent de prières pour la disparition des épidémies et des impuretés. »

Les processions de yamahoko se divisaient alors, à l’origine, en deux événements, l’un la veille du Shinkôsai pour inviter les dieux à sortir, et l’autre au lendemain du Kankôsai pour remercier les dieux de leur visite. De nos jours, seule la procession de la veille est effectuée.

Les yamahoko sont la fierté des habitants de Kyoto

Ce sont donc les citoyens de Kyoto qui ont fait de la procession des yamahoko, à l’origine événement somme toute subsidiaire d’un rite religieux, l’événement central du Gion matsuri aujourd’hui. Quand la capitale revint à Kyoto à l’époque de Muromachi (1336-1573), les fabricants de saké et les financiers commençaient à former l’élite montante du commerce et de l’industrie. Pour le Gion matsuri, chaque quartier tenait à présenter son yama ou son hoko pour faire étalage de son abondance et de sa richesse. Lors de la guerre d’Ônin (Ônin no ran 1467-1477) qui provoqua la fin du shogunat d’Ashikaga, Kyoto fut incendié et presque entièrement détruite, obligeant à une interruption du Gion matsuri. Mais les citoyens rétablirent le festival dès qu’ils le purent, sous la forme laïque de fête populaire que nous lui connaissons de nos jours.

Quand le commerce devient très actif, au cours de la période Azuchi-Momoyama (1572-1603) et l’époque d’Edo (1603-1868), les yamahoko sont devenus de plus en plus luxueux.

Comme l’explique M. Ishikawa Takashi, président de la Fondation pour la conservation du Kita-Kannonyama : « Depuis lors, chaque quartier rivalise pour présenter un yamahoko plus somptueux et plus beau que les autres.

La plupart des commerçants de Kyoto étaient économes et menaient une vie modeste et frugale. Mais ils étaient prêts à faire des folies de dépenses ostentatoires pour cette occasion annuelle unique. Certains riches marchands du quartier de Rokkaku-chô, comme Mitsui ou Matsuzakaya, qui disposaient de moyens financiers extraordinaires, faisaient venir des tapis précieux de Perse ou du Tibet, et tenaient à payer ce que les artisans pouvaient fabriquer de meilleur et de plus riche. Et surtout, ils invitaient tous les bons clients, ceux à qui ils devaient leur opulence tout au long de l’année, pour cette fête. C’était cela, déployer le sens de l’hospitalité urbain. »

Les chars sont décorés de riches parures.

La compétition que se livraient les bourgeois de chaque quartier pour déployer leur opulence et leur puissance financière a conduit les yamahoko à se transformer en véritables « musées mobiles », remplis jusqu’à la gorge d’objets précieux importés du monde entier. Par ricochet, les yamahoko que l’on se pressait de partout pour venir admirer sont devenus l’orgueil de tous les habitants de Kyoto.

Le festival de Gion est ainsi devenu le prototype de la fête locale d’été, conçue comme propitiatoire pour éloigner les épidémies. C’est ainsi que sont apparues sur son modèle le festival Hakata Gion Yamakasa dans la préfecture de Fukuoka, le Takayama matsuri dans la préfecture de Gifu, le Mikurumayama à Takaoka dans celle de Toyama, et bien d’autres qui présentent une procession de chars pour le plaisir des yeux et des cœurs.

« Omotenashi » ou l’hospitalité kyotoïte

Le sens particulier de l’hospitalité (omotenashi en japonais) des citoyens de Kyoto qui tiennent à déployer ce qu’ils peuvent offrir de meilleurs à leurs hôtes est particulièrement sensible lors du Byôbu matsuri (Festival des paravents), un événement qui fait partie du Gion matsuri et a lieu le soir de yoiyama. À l’origine, les citoyens des quartiers possédant un yamahoko déployaient de splendides paravents dorés à la feuille d’or et d’autres objets précieux de leurs entrepôts pour leurs familles et leurs amis. Ce jour-là, ils les présentent au public, et c’est ce qui forme le festival des paravents.

Une famille du quartier de Kita-Kannonyama ouvre ses porte pour faire admirer ses riches paravents (à gauche). À droite, les touristes attirés par autant de merveilles.

« La nuit de yoiyama est une occasion solennelle pour les citoyens de Kyoto d’accueillir les visiteurs et les clients en leur présentant des objets qui ne sont pas visibles les jours ordinaires, explique M. Ishikawa. Ainsi on ressent l’existence d’un Kyoto qui n’est visible que pendant la période de Gion matsuri. C’est cela, l’essence de l’hospitalité kyotoïte. »

(Photos : Nakano Haruo)

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