Les légendes vivantes du Japon

Akiyoshi Toshiko : une Japonaise à la ruée vers le monde du jazz et les plus hautes distinctions mondiales

Musique

Akiyoshi Toshiko est une pianiste de jazz de renommée mondiale et la seule musicienne japonaise à avoir reçu le prix le plus prestigieux du monde du jazz. Cette légende est installée aux États-Unis depuis 1956. Un journaliste musical nous présente cette infatiguable artiste à la carrière exemplaire.

Aujourd’hui, s’il n’est pas rare de voir des musiciens japonais partager leurs activités entre Tokyo et New York ou d’autres villes culturelles, cette pratique était quasiment inexistante dans les années 50 et 60. La pianiste de jazz Akiyoshi Toshiko, pourtant, a été l’une des premières artistes à s’expatrier.

À la découverte du jazz dans le Japon d’après-guerre

Née en 1929 en Mandchourie, à l’époque sous domination japonaise, Akiyoshi Toshiko s’est mise au piano toute jeune, en première année d’école primaire. Elle a été rapatriée au Japon à la fin de la Seconde Guerre mondiale et s’est installée avec sa famille dans la préfecture d’Ôita. Elle s’est produite dès l’âge de 16 ans en tant que pianiste de jazz au sein d’une base militaire de la fameuse station thermale de Beppu, pour ensuite monter à Tokyo en 1948. Dans la capitale toujours sous tutelle des forces alliées dirigées par les États-Unis, les nombreux divertissements culturels offraient de bonnes occasions de se faire connaître, notamment pour les musiciens. Akiyoshi Toshiko n’a donc pas hésité.

« Les groupes de musique à Tokyo, ce n’est vraiment pas ce qu’il manquait ! Il y avait peu de musiciens indépendants à l’époque, comparé à la tendance actuelle. Les salles de danse étaient également très nombreuses et généralement distinctes entre les Japonais et les Américains. Il y avait donc de quoi faire pour nous les musiciens, d’autant plus que la majorité avait déjà une bonne expérience des orchestres militaires. Les stars, c’étaient les plus jeunes artistes et ceux plus âgés qui avaient déjà joué dans de grandes villes comme Shanghai. »

Active dans le monde de la musique à Tokyo, Akiyoshi Toshiko n’était pas comblée pour autant. Ses performances ne lui semblaient pas satisfaisantes, et elle s’est alors plongée dans les tous derniers disques venus directement des États-Unis pour aiguiser son oreille au jazz.

La scène japonaise de l’époque faisait la part belle à des styles dansants comme le swing jazz. Quant au jazz moderne comme le bebop, apparu dans les années 1940, il n’était guère implanté sur l’Archipel, qui n’en comprenait pas réellement la structure musicale. Pour Akiyoshi Toshiko néanmoins, la motivation de saisir ces nouveaux genres n’en était que plus grande. Elle n’hésitait pas alors à se rendre dans les cafés jazz, écoutant avec attention chaque mélodie afin de pouvoir les reproduire du mieux possible. Les réactions n’étaient toutefois pas encourageantes, comme elle l’explique.

« Le public n’aimait pas. On m’a mise à l’écart des concerts plusieurs fois à cause de ça. »

Mais pas question d’abandonner. La pianiste a crée un groupe baptisé Cosy Quartet, dont fera bientôt partie le jeune saxophoniste Watanabe Sadao. Le mot d’ordre : mettre en avant les derniers styles de jazz.

« Nous gagnions difficilement notre vie comme ça, mais la satisfaction de jouer ce que nous aimions était le plus important. »

Une rencontre fatidique avec Oscar Peterson, et un premier album

C’est alors que la grande aventure musicale d’Akiyoshi Toshiko allait connaître un tournant en 1953. Cette année-là, les plus grands musiciens américains de jazz se rendaient au Japon pour participer à l’événement « Jazz at the Philharmonic ». Parmi les légendes présentes se trouvait le pianiste Oscar Peterson.

« Il était quasi impossible à cette époque de trouver un lieu où se poser pour écouter du jazz, car il n’y avait que des salles de danse. Ce n’est qu’en octobre 1953 qu’un véritable café jazz (jazz kissa) a ouvert ses portes. C’était le Tennessee Coffee shop du quartier de Ginza côté ouest, où j’y jouais avec mon groupe et le saxophoniste Watanabe Sadao, qui n’avait même pas encore 20 ans. »

C’est alors qu’un soir, Oscar Peterson a débarqué dans le café et les a vu jouer.

« De pianiste à pianiste, il m’a fait savoir qu’il avait apprécié ma performance, et a par la suite bien voulu me recommander au producteur Norman Granz. Grâce à lui, j’avais donc droit à mon premier enregistrement. »

Le disque Toshiko’s Piano est ainsi sorti aux États-Unis et a conduit Akiyoshi Toshiko à obtenir une bourse d’étude pour le Berklee College of Music, à Boston.

Le premier album d’Akiyoshi, Toshiko’s Piano, sorti en 1954.
Le premier album d’Akiyoshi Toshiko, Toshiko’s Piano, sorti en 1954.

« Mon premier album est sorti aux États-Unis en 1954. À cette époque, un Japonais qui joue du jazz était déjà suffisamment exceptionnel, alors une femme japonaise...vous imaginez ! »

« Je pense que Berklee m’a acceptée pour des raisons d’ordre promotionnel. Voyez-vous, cela faisait à peine 10 ans que l’établissement avait été crée, et il n’y avait qu’environ 340 élèves. Alors pour augmenter leurs effectifs, disons que je tombais bien ! Sans mon album, je ne crois pas que j’aurais pu rentrer dans cette école. »

Akiyoshi Toshiko reste humble dans ses propos, mais un séjour d’études d’une telle qualité ne s’offre qu’à des individus dotés d’un réel talent. 

Comme l’artiste l’expliquait, une jeune japonaise débarquée au pays du jazz et jouant du bebop avec passion, cela était largement suffisant pour attirer les regards et faire sensation. Ainsi, en plein séjour d’études, la voici propulsée au Newport Jazz Festival ou encore au célebrissime club de jazz Boston Storyville, que des occasions en or pour perfectionner ses compétences. Son diplôme en poche, elle est partie vivre à New York pour une authentique carrière de pianiste de jazz professionnelle.

« J’ai essentiellement joué des trios et quators que j’avais moi-même mis sur pied. Et puis, j’ai eu la chance de partager la scène avec des personnalités, comme le célèbre bassiste Charles Mingus et son groupe. »

La consécration par les plus hautes distinctions du monde du jazz

Vingt ans après sa rencontre avec Oscar Peterson, Akiyoshi Toshiko en 1973 allait connaître un autre tournant dans sa vie d’artiste, en formant avec son mari, le saxophoniste Lew Tabakin, le groupe « Toshiko Akiyoshi – Lew Tabackin Big Band ».

« Lew jouait pour l’émission The Tonight Show, et quand le studio télé a déménagé de New York à Los Angeles, nous avons dû le suivre sur la côte ouest. Si les musiciens de studio étaient nombreux dans cette ville, le genre jazz n’était pas vraiment à l’honneur... Mais il existait un bâtiment du syndicat des musiciens où l’on pouvait y louer une salle de répétition pour 50 cents les trois heures, c’était plutôt rentable non ? Quelques années auparavant, en 1967, j’avais donné mon premier concert solo au Town Hall de New York, et à ce moment-là j’avais écrit cinq morceaux en imaginant pouvoir les jouer pour un big band (grand orchestre d’au moins dix musiciens). Lew le savait et m’a dit plus tard : “On va jouer tes compositions ! Laisse-moi trouver les musiciens pour ça.” Notre big band a finalement vu le jour, mais personne ne s’était dit qu’on allait en faire du sérieux ! C’est en quelque sorte le bouche-à-oreille qui a construit une notoriété et a poussé à nous lancer à fond dans cette entreprise. »

Confiante en ses capacités de créatrice, Akiyoshi Toshiko avait pour principe de ne jouer que les morceaux composés par son groupe. C’est ainsi que le « Toshiko Akiyoshi – Lew Tabackin Big Band » a sorti son premier disque, intitulé Kogun. Ajouté au succès au Japon et un peu plus tard à l’étranger, Kogun a été récompensé par divers prix, et le big band a pu s’inviter dans de nombreuses salles de concerts dans le monde.

Kogun, sorti en 1974, le premier album du Toshiko Akiyoshi – Lew Tabackin Big Band.
Kogun, sorti en 1974, le premier album du « Toshiko Akiyoshi – Lew Tabackin Big Band ».

Perfectionnant son doigté à travers ses albums et les multiples concerts qu’elle donnait à travers la planète, Akiyoshi Toshiko a atteint la consécration en devenant la première Japonaise à, d’une part, prendre place dans le panthéon du jazz international, l’International Jazz Hall of Fame en 1999, et d’autre part obtenir la plus prestigieuse distinction du jazz, le prix National Endowment for the Arts Jazz Master Award en 2006. 

Le dernier album en date est sorti en 2019 : Akiyoshi Toshiko ne semble ne montrer aucun signe de ralentissement malgré ses 91 ans !

Akiyoshi interprète « Hiroshima : Rising from the Abyss » lors d'un concert pour la paix mondiale le 6 août 2001 au Hiroshima Kôsei Nenkin Hall, marquant le premier anniversaire du XXIe siècle du bombardement atomique d'Hiroshima. (© Jiji)
Akiyoshi Toshiko interprète « Hiroshima : Rising from the Abyss » lors d’un concert pour la paix mondiale le 6 août 2001 au Hiroshima Kôsei Nenkin Hall, marquant le premier anniversaire du XXIe siècle du bombardement atomique de Hiroshima. (Jiji Press)

(Photo de titre : Akiyoshi Toshiko joue un concert commémoratif en 1979 au Shinjuku Kôsei Nenkin Hall, à Tokyon pour célébrer son obtention du prix du meilleur arrangement et de la première place dans le sondage annuel des lecteurs du prestigieux magazine Down Beat pour son groupe « Toshiko Akiyoshi - Lew Tabackin Big Band ». Photo : Uchiyama Shigeru)

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