Derrière le marché des rencontres rémunérées au Japon

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Au Japon, quand des jeunes femmes proposent compagnie à des hommes plus âgés, sans relation charnelle, cela s’appelle le papakatsu. Cette activité illustre toutefois les risques de faire confiance à des inconnus, avec de nombreuses dérives. Penchons-nous sur l’histoire récente de ces rencontres rémunérées, des clubs des années 70 aux réseaux sociaux d’aujourd’hui.

Des jeunes femmes payées en échange de leur compagnie

Le terme papakatsu fait référence aux jeunes femmes qui, à travers les applications et les réseaux sociaux, cherchent à rencontrer des hommes plus âgés prêts à les payer pour passer du temps en leur compagnie. Bien que similaire à l’image du sugar daddy répandue dans les pays occidentaux, l’expression japonaise implique généralement une relation platonique, à savoir partager des repas, des sorties shopping ou au cinéma, mais sans relation charnelle. En 2017, une série en ligne traitant de ce sujet a fait beaucoup de succès pour être ensuite diffusée par la grande chaîne Fuji Television.

Cette pratique a engendré une multitude de services en ligne. La plupart d’entre eux tentent d’attirer les femmes en vantant les mérites de leurs utilisateurs masculins, des individus riches et aux carrières prestigieuses tels que des médecins et des fonctionnaires d’État. Parmi les leurres couramment utilisés, citons la possibilité de gagner plus de 100 000 yens par mois (800 euros) et bien-sûr, la promesse de relations non sexuelles...

Il se trouve que ces rencontres rémunérées, même avec des mineurs, ne sont pas illégales tant qu’elles ne sont pas à caractère sexuel. Si les exploitants de ces sites assurent que les entrevues ne comportent aucune obligation d’avoir des rapports physiques, les experts préviennent néanmoins que ces services risquent de devenir des foyers de prostitution de mineurs, entre autres crimes.

Satomi (nom d’emprunt), une lycéenne de 17 ans, fait partie d’un groupe croissant de jeunes femmes impliquées dans le papakatsu. Mesurant un peu plus d’un mètre cinquante avec de longs cheveux noirs, elle dégage un air innocent et pur. Elle utilise Twitter et des applications de rencontres amicales pour trouver de nouveaux compagnons, écrivant dans son profil qu’elle est ouverte aux sugar daddies. Actuellement, elle sort régulièrement avec plusieurs hommes, tous salariés à temps plein, avec une tranche d’âge entre la vingtaine et la cinquantaine.

La motivation première de Satomi ne serait pas l’argent : elle insiste plutôt sur le fait qu’elle s’intéresse simplement aux hommes plus âgés. Elle facture 5 000 yens par heure (40 euros) pour un rendez-vous dans un café ou au restaurant, mais se refuse strictement à toute relation sexuelle avec ses clients, de sorte qu’ils ne se rencontrent jamais dans une chambre d’hôtel par exemple. Ainsi, pour ceux qui veulent simplement quelques heures de compagnie, le tarif de Satomi est moins cher que de se rendre dans un bar à hôtesses. La jeune fille dit qu’elle a commencé cette lucrative activité il y a environ un an, après qu’une personne l’a approchée sur Twitter.

« Tout ce que je fais, c’est prendre un café et écouter », explique-t-elle. « Je fais juste quelques signes de tête et je souris à toutes les choses ennuyeuses dont les hommes me parlent, mais la plupart d’entre eux sont contents et me disent que ça les apaise de me parler. »

Cette pratique est bien-sûr mal vue de l’opinion publique. En témoigne cette affaire d’avril 2018 où le gouverneur de la préfecture de Niigata a démissionné en disgrâce après que les tabloïds japonais ont signalé son implication dans des rendez-vous rémunérés avec des femmes qu’il avait rencontrées en ligne.

Clubs de recontres et clubs téléphoniques

L’industrie des rencontres rémunérées est bien antérieure à l’essor de l’Internet. On croit que l’expression japonaise enjo kôsai (rencontre rémunérée, souvent synonyme de la prostitution des lycéennes) est apparue au milieu des années 1990, mais en réalité, des jeunes citadins avaient utilisé cet argot 20 ans auparavant pour désigner la prostitution des femmes mariées.

À cette époque, les personnes désireuses de faire des rencontres enregistraient leur nom auprès des « Date clubs » après un premier entretien avec les exploitants de ces services, par ailleurs gratuits pour les femmes. Les hommes, eux, payaient des frais d’inscription, étaient examinés pour leurs revenus et devaient également couvrir les frais de rendez-vous. Mais les clubs eux-mêmes ne s’occupaient que des présentations, laissant ce qui pouvait se passer par la suite à la discrétion des deux parties impliquées. Des femmes diplômées d’un lycée féminin réputé, des mannequins ou des hôtesses de l’air avaient alors la quasi-garantie d’un flux régulier de clients.

Les Date clubs ont finalement cédé la place aux « Telephone clubs » qui ne nécessite aucune inscription préalable et peuvent être utilisés par n’importe qui. Les hommes entrent dans l’établissement et se postent simplement devant un téléphone qui leur est attribué par un membre du personnel, en attendant que les femmes appellent le club.

Le premier magasin de ce type aurait ouvert à Kabuki-chô, le quartier chaud de Tokyo, en 1985. Les Telephone clubs offraient un plus grand anonymat que les Date clubs et attiraient une plus grande variété de clients. Cependant, ils ont provoqué la colère de l’opinion publique et ont rapidement été visés par des arrêtés locaux qui ont limité leurs lieux d’opération.

Un des premiers clubs téléphoniques de Tokyo établi à Kabukichô, berceau de l'industrie, a fermé ses portes en juin 2017. (© Shibui Tetsuya)
Un des premiers Telephone clubs de Tokyo établi à Kabuki-chô, berceau de l’industrie, a fermé ses portes en juin 2017. (© Shibui Tetsuya)

Ce système des rencontres payantes s’est développé davantage lorsque l’opérateur de téléphonie géant NTT a lancé son service de messagerie Dengon Dial en 1986, suivi de son service de numéro de téléphone au tarif majoré Dial Q2 en 1989. Les exploitants des Date clubs et de Telephone clubs ont rapidement adopté ces nouvelles technologies pour créer ce que l’on appelait des services de numérotation « à deux coups » qui connectaient les gens anonymement par téléphone – les hommes payaient 100 yens la minute pour appeler un numéro surtaxé tandis que les femmes composaient le numéro d’une ligne sans frais.

Cette technologie a entrainé une véritable transformation du marché : les utilisateurs n’avaient plus besoin de se rendre dans les magasins et les jeunes ont été particulièrement séduits par ce nouveau système. Une profusion de nouvelles lignes a surgi avec des services pour tous les goûts, même du sexe par téléphone.

Il se trouve toutefois que les factures téléphoniques hors-de-prix des utilisateurs, ainsi que les cas de prostitution de mineurs par ce biais ont fini par faire l’actualité. Ces services sont alors devenus une source de préoccupation publique, et les autorités ont pris des mesures pour freiner leur emploi.

Les dérives dramatiques à travers le net

Lorsqu’Internet a commencé à s’élargir au milieu des années 1990, ces entreprises ont pris la forme de site de rencontres permettant facilement à de parfaits inconnus de discuter. Mais des drames n’ont pas tardés à arriver. En 2001, plusieurs crimes très médiatisés ont été liés à ces plates-formes. Le premier concerne l’histoire troublante d’un lycéen qui a tenté de poignarder à mort – prétendument à sa demande – une femme au foyer qu’il avait rencontrée en ligne. Ce crime a été suivi par une autre affaire sanglante, à savoir le meurtre d’une étudiante universitaire à Kyoto par un homme avec qui elle avait échangé des courriels.

Ces événements tragiques ont conduit les autorités à adopter de nouvelles réglementations en 2003, interdisant aux personnes de moins de 18 ans d’accéder à ce genre de site. Mais l’arrivée de réseaux sociaux comme Mixi et Gree l’année suivante a rendu les rencontres en ligne plus aisées que jamais. Ces espaces sont devenus accessibles à tout utilisateur, et la messagerie directe a servi de moyen facile pour un certain nombre d’objectifs détournés, notamment celui de faire des avances sexuelles non sollicitées, ou de négocier les conditions de rencontres rémunérées.

Par ailleurs, alors que d’un côté, ces sites tentaient de restreindre les fonctions de messagerie directe, de l’autre, les smartphones commençaient déjà à prendre la place des plates-formes comme Mixi et Gree. L’utilisateur pouvait facilement accéder à des applications telles que Twitter, Facebook et LINE à partir des nouveaux appareils mobiles, et les groupes de rencontres rémunérées ont rapidement trouvé des moyens d’exploiter ces nouveaux modes de communication.

En 2017, l’Agence nationale de la police (NPA) a enregistré en 1 813 cas dans lequel des mineurs de moins de 18 ans ont été victimes d’actes obscènes ou de prostitution organisée à travers des applications ou sur des réseaux sociaux. Ce chiffre correspondait à plus du double du nombre d’incidents de 2008, la première année où le NPA avait établi ces statistiques.

En-deli, ou le travail du sexe déguisé

Vers la fin de la première décennie des années 2000, les rencontres rémunérées et le système du Delivery health, désignant le travail du sexe dans des chambres d’hôtel louées par les clients plutôt que dans un lieu fixe, ont donné naissance à des activités frauduleuses appelées En-deli. De quoi s’agit-il ?

En surface, les interactions prennent la forme d’une prise de rendez-vous rémunérée classique, les femmes affichant leurs profils sur des sites de rencontres occasionnelles. Mais lorsqu’un client contacte une femme pour convenir d’un rendez-vous, il interagit sans le savoir avec un répartiteur masculin (appelé uchiko). Tout en jouant le rôle de la femme ciblée par le client, c’est lui qui négocie des détails comme le lieu de la rencontre et le paiement, avant d’y envoyer au final, une call-girl.

Ces pratiques de prostitution dissimulée exploitent tout simplement la facilité d’inscription sur les sites de rencontres occasionnelles, et même si les auteurs sont découverts, ils disparaissent sans effort pour réapparaître sous un profil différent.

Ces réseaux illégaux se sont par la suite tournés vers les sites de rencontres plus classiques. Ce stratagème a engendré des conséquences tragiques en 2013, avec le meurtre d’une étudiante de 16 ans dans une école professionnelle de la préfecture de Hiroshima. Un groupe de jeunes liés au En-deli avait kidnappé la victime après à une dispute sur l’application LINE, puis l’avait torturée et assassinée. Six des sept personnes arrêtées pour le crime étaient des mineurs, dont trois jeunes filles, et l’une d’entre elles étant une En-deli professionnelle du sexe, qui vivait en colocation avec la victime. D’après l’enquête, un désaccord sur la distribution de l’argent gagné grâce à la prostitution serait à l’origine de ce drame.

La police japonaise veille

Si l’industrie des rencontres d’aujourd’hui est plus accessible que jamais, les dérives, parfois meurtrières, semblent pratiquement inévitables. Cela s’illustre tristement avec l’affaire de tueur en série de Zama, Shiraishi Takahiro, et les neuf corps démembrés découverts dans son appartement. L’incident macabre a engendré une attention particulière à la fonction « hashtag » de Twitter, que l’assassin utilisait pour faire connaissance avec ses victimes.

Ainsi, en ajoutant des hashtags à des termes tels que « papakatsu », « rencontres rémunérées » et « rencontres », Twitter peut malgré lui se transformer en un véritable service de compagnonnage. Une fois connectées, chacun est libre d’échanger en messagerie privée et convenir d’une rendez-vous. Et bien sûr, Twitter n’est pas le seul réseau social concerné. Il existe toutes sortes de façons pour les utilisateurs de se retrouver sur les réseaux sociaux, y compris divers sites de discussion, des sites spécialisés et même des applications comme Himabu, un service de chat pour les étudiants, populaire parmi les collégiens et les lycéens.

La police n’est toutefois pas restée passive et a renforcé sa capacité à surveiller l’activité en ligne. Les agents ont même commencé à discuter avec les comptes de messagerie liés aux rencontres rémunérées, organisant des réunions pour informer les personnes concernées des dangers de leurs actes. La police préfectorale d’Aichi a récemment lancé un programme dans lequel des étudiants bénévoles envoient des messages d’avertissement aux mineurs cherchant à faire des rencontres sur les réseaux sociaux. Ceci afin d’empêcher les pratiques de type papakatsu, en sensibilisant chacun au fait que les services de police restent vigilants.

Néanmoins, chaque fois qu’un nouveau service apparaît sur Internet, un moyen est trouvé pour le détourner et l’utiliser à des fins de rencontres, ce qui entraîne une nouvelle série de réglementations.

Nous pouvons dire que ce jeu sans fin du chat et de la souris est motivé par une chose, à savoir la nature des désirs humains. Ils continueront d’exploiter de nouveaux espaces à mesure que la société en ligne évolue...

(Reportage et texte : Shibui Tetsuya, édité par Power News. Photo de titre : Graphs/ Pixta)

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