La situation des LGBT au Japon

Otsuji Kanako, première députée japonaise ouvertement homosexuelle : « Chacun fait partie d’une minorité »

Société Politique Genre

Les couples LGBT « ne peuvent pas faire d’enfants, et sont donc improductifs. Est-ce vraiment pertinent de dépenser l’argent du contribuable pour eux ? » Ces propos de la députée du Parti libéral démocrate japonais Sugita Mio parus dans un magazine en août 2018 ont créé un véritable tollé. Otsuji Kanako, premier membre de l’assemblée nationale japonaise à être ouvertement homosexuelle, nous en parle sans ménager ses mots.

Otsuji Kanako OTSUJI Kanako

Membre de la Chambre basse du Parlement représentant le Parti démocrate constitutionnel du Japon (PDC). Née en 1974, titulaire d'un diplôme de commerce de l'Université Dôshisha, elle a été membre de l'assemblée préfectorale d'Osaka avant d’annoncer publiquement son homosexualité dans son livre intitulé « Coming out : un voyage pour se trouver soi-même » (Coming Out: Jibunrashisa wo mitsukeru tabi). En 2013, elle remporte un siège à la Chambre des conseillers (Chambre haute du Parlement), faisant d'elle le premier membre de la Diète ouvertement homosexuelle au Japon, même si elle a choisi de ne pas se présenter aux élections plus tard cette année-là et a quitté ses fonctions. Elle siège à la Chambre des représentants depuis 2017.

Des propos qui ont secoué le pays

Les couples LGBT « ne peuvent pas faire d’enfants, et sont donc improductifs. Est-ce vraiment pertinent de dépenser l’argent du contribuable pour eux ? »

Face à ces propos de Sugita Mio, une députée du Parti libéral démocrate (PLD, le parti au pouvoir), parus dans un magazine en juillet 2018, la réponse de Otsuji Kanako ne s’est pas fait attendre. Une fois le magazine en kiosque, elle a écrit sur Twitter :

« Dans son article du Shinchô 45, une membre du LDP, Sugita Mio, remet en question la pertinence de dépenser l’argent des contribuables pour les couples LGBT, qu’elle juge « improductifs ». À cet égard, je tiens à souligner que les personnes LGBT, elles aussi, paient des impôts. Au risque d’énoncer une évidence, chaque être humain a de la valeur, simplement parce qu’il est vivant. »

Retweetés plus de 10 000 fois, les propos de Otsuji Kanako ont fait le buzz, déclenchant un véritable raz-de-marée sur la toile. Pis encore, de la façon la plus inattendue, ils ont donné lieu à un débat sur ledit article où la députée avait également jugé que la discrimination faite aux couples LGBT était dérisoire.

« Les propos de Sugita Mio comportent un certain nombre d’inexactitudes. » déclare Otsuji Kanako. « Elle affirme que les couples LGBT ne font pas l’objet d’une importante discrimination alors même que le Japon ne leur permet ni de se marier ni de prendre des dispositions juridiques pour l’héritage de leur conjoint. C’est pourquoi, les personnes LGBT ne peuvent recevoir un héritage. Par ailleurs, une personne homosexuelle mariée à l’étranger ne peut prétendre à un visa de conjoint, même si celle-ci souhaite s’établir dans l’Archipel.

Le Bureau japonais des droits de l’homme au sein du ministère de la Justice a défini 17 domaines de "sensibilisation prioritaire" pour l’exercice 2018. Des enveloppes ont été allouées à des domaines et catégories de population tels que les femmes, les enfants, la question des enlèvements de personnes par la Corée du Nord, l’orientation sexuelle, l’identité de genre ou les sans-abris, mais aucun budget national n’a été alloué la communauté LGBT en elle-même. En réalité, ce que cette communauté souhaite, c’est un cadre juridique plus large : une véritable protection de ses droits, ce qui ne nécessite aucune somme d’argent contrairement aux travaux publics, par exemple. »

La publication de l’article entraînera même une prise de position de la part de la population nippone elle-même ; le 27 juillet 2018, un grand nombre de Japonais se sont rassemblés devant le siège du PLD pour exprimer leur mécontentement. Un rassemblement qui fera des émules puisque le lendemain, un autre groupe a manifestera devant la gare d’Osaka, allant cette fois-ci, jusqu’à demander la démission de Sugita Mio. La professeure Okano Yayo de l’Université Dôshisha, spécialiste de l’idéologie politique et du féminisme, a prononcé un discours où elle s’est exprimée, non en tant que professeure, mais en tant que personne homosexuelle. Otsuji Kanako, qui était présente lors du rassemblement, se souvient :

« Okano Yayo m’a confié qu’elle avait écrit son discours avec le plus grand soin et qu’elle l’avait préparé, lu et relu, maintes et maintes fois. Mais elle savait que tout cela n’allait pas suffire et qu’elle allait fondre en larmes. Car elle allait elle aussi faire son coming out ; révéler une partie d’elle-même. Okano Yayo a dit sa colère contre les propos de Sugita Mio et le PLD tout entier. Évoquant sa propre expérience, elle a exprimé le souhait de venir en aide à ceux qui n’ont eu d’autre choix que de renoncer à leurs sentiments, comme cela a été le cas pour elle dans le passé. Faire part de tout cela lui a demandé beaucoup de courage. Refoulant sa colère pendant son discours, elle a mesuré chacun de ses mots et chacune de ses expressions. »

Un jeune homme est intervenu et a confié que l’article avait choqué et fait fondre en larmes un de ses amis de la communauté LGBT. « Sugita Mio a blessé des personnes qui font tout ce qu’elles peuvent pour faire face aux préjugés » a conclu Otsuji Kanako.

Rassemblement devant la gare de Shibuya suite aux propos de Sugita Mio le 5 août 2018 (Jiji Press)
Rassemblement devant la gare de Shibuya à Tokyo suite aux propos discriminatifs de Sugita Mio le 5 août 2018 (Jiji Press)

Alors que les débats autour des propos de Sugita Mio se multipliaient, la députée du PLD avait choisi de garder le silence, tout du moins pendant un temps. Le 24 octobre 2018, elle a en effet répondu aux questions des journalistes à la Diète. Le lendemain, elle a publié une déclaration sur son site internet, où elle présentait ses excuses pour le malentendu concernant le mot « productivité », utilisé par inadvertance, et pour la controverse suscitée. Elle s’est engagée à réfléchir au fait que ses propos aient pu blesser certaines personnes ou les aient rendues mal à l’aise». Toutefois, elle ne s’est ni excusée pour l’article en lui-même, ni ne l’a retiré.

Les réseaux sociaux à la rescousse

Comme l’a écrit Otsuji Kanako dans son tweet, l’article de Sugita Mio était une attaque sans fondement dirigée contre la communauté LGBT. Ce type d’attaque n’a rien de nouveau et vise différents groupes de personnes.

« Au tournant du millénaire, Nippon Kaigi (une organisation japonaise conservatrice créée en 1997) s’est attaquée à la neutralité de genre, qui est un mouvement visant à l’élimination de la discrimination basée sur le genre, inhérente à la culture et à la société », raconte Otsuji Kaneko.

« S’opposant à une éducation qui ne reposerait pas sur le genre, en invoquant l’argument ridicule selon lequel ses partisans tentaient d’éliminer les distinctions de genre et d’abolir le festival hina matsuri pour les filles et la célébration du tango no sekku pour les garçons, le groupe est finalement parvenu à purement et simplement bannir le terme "non genré" du gouvernement. »

En avril 2005, le PLD a mis sur pied une équipe de projet présidée par le secrétaire général par intérim de l’époque, Abe Shinzô (l’actuel Premier ministre), pour procéder à un examen de « l’éducation non genrée et de l’éducation sexuelle radicale ». Affirmant avoir grâce à cette analyse confirmé que l’éducation sexuelle extrême et la neutralité des sexes entraînaient des enseignements néfastes au concept de famille, le groupe a demandé que le terme « genre » soit supprimé de l’amendement au Plan de base pour l’égalité des sexes du Japon. Le groupe n’a cependant divulgué les détails d’aucun des 3 500 cas de conduite extrême cités ci-dessus.

Cependant, les réseaux sociaux dont l’utilisation devenait de plus en plus répandue au Japon, notamment Twitter, qui a fait ses débuts dans l’Archipel en 2008, a fait prendre un tournant totalement différent à toute l’affaire concernant les propos de Sugita Mio.

« Sur les réseaux sociaux, les déclarations ridicules et vides de sens de Sugita Mio faisaient beaucoup parler d’elles et ont été ramenées à ce qu’elles étaient, ni plus ni moins », se souvient Otsuji Kanako. « Ce sont également les médias sociaux qui ont été à l’origine des manifestations au siège du PLD et à la gare d’Osaka. Cependant, il y a aussi eu les propos en 2010 du gouverneur de Tokyô Ishihara Shintarô, qui, s’en prenant directement à la communauté homosexuelle, a déclaré que ce groupe de personnes était en quelque sorte "déficient", ajoutant que "cette carence semblait être héréditaire, qu’il devrait être pris en pitié en tant que minorité et que le Japon était devenu trop permissif dans la façon dont il permettait aux homosexuels d’apparaître à la télévision". Ces paroles discriminatives n’ont pas provoqué le même tollé ou donné lieu à des protestations de grande ampleur. »

« Mais cette fois-ci, ce qui est encourageant, c’est que non seulement nous sommes parvenus à gagner le soutien d’un grand nombre de personnes grâce aux réseaux sociaux, mais nous avons également vu combien sont prêtes à rallier notre cause, et à nous suivre dans notre action et notre colère », poursuit Otsuji Kanako. « Autre victoire : nous pouvons également nous réjouir du fait que la population en général considère désormais que qualifier des personnes LGBT d’improductives sous prétexte qu’elles ne peuvent pas avoir d’enfants est un abus de leurs droits. »

Tout le monde appartient à une minorité

Pour Otsuji Kanako, l’utilisation de faits déformés pour attaquer les autres est un nouveau type de discrimination.

« Des allégations ont été proférées selon lesquelles des résidents étrangers abusent du régime national d’assurance maladie du Japon. J’ai interrogé la Diète à ce sujet. Selon une enquête du ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales sur le nombre total de résidents étrangers utilisant des services médicaux coûteux, seulement deux cas dans lesquels le ressortissant étranger n’aurait pas été en possession du statut approprié pour prétendre à ces services ont été recensés. Et même ces cas ne sont pas confirmés. »

« Et il en va de même pour les attaques dirigées contre ceux qui bénéficient d’une aide publique. Au Japon, la fraude aux prestations fait souvent couler beaucoup d’encre. Mais quid du pourcentage de personnes qui bénéficient de ces prestations ? Seulement 20 % ; pourtant extrêmement bas, ce taux, lui, ne semble pas être contesté. On imagine aisément que le nombre de personnes éligibles à ce type d’aide est bien plus élevé, rendant difficile l’accès même à ces aides » poursuit Otsuji Kanako.

« Je pense que chacun appartient à un groupe minoritaire d’une manière ou d’une autre », poursuit-elle. « Peu importe qui vous êtes, il est probable que, dans certaines situations, un aspect de vous fasse de vous une minorité. S’il ne s’agit pas de vous, vous pourriez avoir un enfant qui tombe dans cette catégorie. Vous êtes peut-être jeune et en bonne santé maintenant, mais tout le monde finit par vieillir et qui sait si vous ne serez pas frappé par la maladie. Si vous continuez à attaquer différents groupes minoritaires, ce ne sera qu’une question de temps avant de devenir vous-même la cible de ces attaques. En ce sens, nous garantissons les droits des minorités non pas pour le bien d’autrui mais pour que nous puissions également vivre une vie paisible. Ceux qui, à la recherche de boucs émissaires, déforment les faits et ignorent la diversité de la société dans laquelle nous vivons ne résolvent rien. »

Oser élever la voix et en faire une affaire personnelle

Le mouvement de réaction suite à la publication de l’article de la Sugita Mio et à l’édition d’octobre du magazine ont eu d’importants retentissements : Shinchôsha, l’éditeur de Shinchô 45, a suspendu la publication du magazine.

« Cette fois-ci, c’est la communauté LGBT qui a été visée », explique Otsuji Kanako. « Le Shinchô 45 a peut-être disparu, mais demain ces personnes étroites d’esprit choisiront à n’en pas douter une autre cible et un autre terrain d’attaque. Et la prochaine fois, ce sera peut-être une autre minorité qui sera ciblée. Comment répondre ? Je pense qu’il nous faut sérieusement nous poser cette question. »

Le Shinchô 45, dont la publication a été suspendue. À gauche, l'article de Sugita Mio dans l'édition d'août 2018. À droite, la couverture de l'édition d'octobre, qui contenait un article défendant celui de Sugita. (© Jiji.)
Le Shinchô 45, dont la publication a été suspendue. À gauche, l’article de Sugita Mio dans l’édition d’août 2018. À droite, la couverture de l’édition d’octobre, qui contenait un article défendant celui de Sugita. (Jiji Press)

« Si nous pensons que quelque chose est injuste, nous devons le dénoncer, plutôt que d’attendre que quelqu’un d’autre agisse. Même si vous ne pouvez pas partager votre message publiquement, partagez-le au moins avec des personnes à qui vous pouvez en parler. Il est difficile pour les gens de s’identifier à un débat sur les droits invisibles de minorités invisibles, mais lorsque vous partagez votre message avec des personnes à qui vous pouvez en parler, la question débattue cesse d’être "le problème de quelqu’un d’autre". »

« Par exemple, en 2015, l’Irlande a tenu un référendum pour ou contre la légalisation ou non du mariage homosexuel. L’union de deux personnes du même sexe est devenue possible au terme de ce scrutin. Un ami irlandais m’a expliqué que le résultat du référendum était dû au fait que les électeurs avaient pris à cœur la question comme si elle les affectait personnellement. Et c’est pourquoi la visibilité est si importante. Les politiques sont sensibles à l’opinion publique. Dans la société japonaise, ceux qui ne suivent pas une voie toute tracée se retrouvent souvent dans une impasse. Cependant, si nous changeons pour des institutions sociales qui accepteront des modes de vie différents, nous pouvons rendre la société meilleure, et pour tous. » conclut Otsuji Kanako.

(Texte et reportage de Kuwahara Rika, de Power News. Photos de Nippon.com, sauf mention contraire)

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