Sankin kôtai : vérités et idées reçues sur le service en alternance à l’époque d’Edo

Les Cinq routes d’Edo : renforcer l’influence du centre du Japon

Histoire

Lorsqu’il a pris le pouvoir, Tokugawa Ieyasu entreprit un vaste projet d’amélioration des routes du pays. Il s’agissait d’une part de mettre en valeur la capitale Edo (aujourd’hui Tokyo), en tant que nouveau centre du pays, et d’autre part de permettre un déploiement militaire rapide pour défendre cette position, le cas échéant.

Pourquoi de telles routes ?

La route du Tokaidô est la plus célèbre du Japon. Dès la période d’Edo (1603 – 1868), elle constituait déjà une voie de transport essentielle qui reliait Edo (aujourd’hui Tokyo) à Kyoto. Mais ce qui est moins connu, c’est que cette voie, qui faisait le lien entre la partie est et la partie ouest du pays, existait depuis plus de 1 000 ans. Si la route du Tokaidô est souvent associée à Tokugawa Ieyasu, en vérité, il n’a fait que l’améliorer, avant de devenir shogun en 1603.

Tokugawa Ieyasu souhaitait doter son pays de routes de haute qualité centrées sur la capitale Edo. Il visait un déploiement de forces militaires rapide, qui aurait raison de n’importe quel daimyô (seigneur féodal) en cas de rébellion. Et améliorer la route du Tôkaidô était la première étape de son projet. « Tôkaidô » signifie « route de la mer orientale », car elle longeait la côte du Pacifique sur une grande partie de sa longueur.

La « Carte détaillée de la route du Tôkaidô » (Tôkaidô saikenzu) recensait les villes comprenant des châteaux et les stations postales d’Edo à Kyoto. Y figuraient également Seki-juku, qui se trouvait près de Kameyama, ville abritant également un château, ainsi qu’une route qui se dirigeait vers le sud d’Ise.

Dans la « Carte détaillée de la route du Tôkaidô » (Tôkaidô saikenzu), on pouvait trouver des informations sur les routes et les stations postales ainsi que sur la topographie locale. Cette illustration représente la zone autour de la station postale de Seki-juku. Le château de Kameyama se trouve à droite, Seki-juku au centre, et la route qui se dirige vers Ise en bas à droite (avec l'aimable autorisation des Archives nationales du Japon).
Dans la « Carte détaillée de la route du Tôkaidô » (Tôkaidô saikenzu), on pouvait trouver des informations sur les routes et les stations postales ainsi que sur la topographie locale. Cette illustration représente la zone autour de la station postale de Seki-juku. Le château de Kameyama se trouve à droite, Seki-juku au centre, et la route qui se dirige vers Ise en bas à droite (avec l’aimable autorisation des Archives nationales du Japon).

La route de Nakasendô, ou « route centrale des montagnes », reliait elle aussi Edo à Kyoto, mais elle se situait plus à l’intérieur des terres. Tokugawa Ieyasu a accordé une licence au village de Mitake-juku (dans ce qui est aujourd’hui la préfecture de Gifu), en tant que station postale de la route de Nakasendô en 1602, preuve que les deux voies ont été améliorées en même temps. C’est également cette année que commencèrent des travaux de grande envergure sur la route de Kôshû Kaidô, reliant Edo et l’endroit où se trouve son embranchement avec la route Nakasendô, dans la préfecture de Yamanashi.

Sur la photo de titre de cet article sont représentées les unes en dessous des autres les trois routes les plus célèbres du Japon : Nakasendô, Kôshû Kaidô et Tôkaidô. En 1868, il y eut une bataille importante à Katsunuma, sur la Kôshû Kaidô. à peu près à l’époque de la Restauration de Meiji. Kondô Isami, fidèle au shogun, mena avec ses troupes une lutte acharnée pour finalement capituler devant l’avancée des forces du nouveau gouvernement Meiji, dirigé par Itagaki Taisuke, lesquelles purent ainsi entrer dans la capitale Edo.

La station postale d’Utsunomiya-shuku, qui se situe sur ce qui est devenu la Nikkô Kaidô, reçut une licence en 1602. Les routes furent améliorées jusqu’à Nikkô (dans l’actuelle préfecture de Tochigi) pour en faire une route de pèlerinage après la construction du sanctuaire Tôshôgû, dédié à Tokugawa Ieyasu après sa mort en 1616. La Ôshû Kaidô suivait le même itinéraire que la Nikkô Kaidô depuis Edo jusqu’à Utsunomiya, où elle bifurquait pour continuer jusqu’à Shirakawa, dans l’actuelle préfecture de Fukushima.

Les Cinq routes d’Edo, les Go-Kaidô, furent rapidement mises à profit, assouvissant les ambitions de Tokugawa Ieyasu et affirmant durablement la nouvelle position d’Edo en tant que centre du Japon.

Les Cinq routes d’Edo

Nom Longueur (km) Description
Tôkaidô (53 stations postales) 492 Elle reliait les ponts Nihonbashi à Edo et Sanjô à Kyoto. Il y a même des postes de contrôle, qu’on appelait sekisho, à Hakone et à Arai.
Nakasendô (69 stations postales) 526 Une route alternative, plus longue, reliait Edo et Kyoto, avec de nombreux cols de montagne.
Kôshû Kaidô (45 stations postales) 209 Elle reliait Edo à Kôfu (aujourd’hui préfecture de Yamanashi), avant de rejoindre la route Nakasendô, à Shimosuwa (préfecture de Nagano).
Nikkô Kaidô (21 stations postales) 147 Traditionnellement une route de pèlerinage vers le sanctuaire Tôshôgû, cette route était différente des autres grandes routes du Japon.
Ôshû Kaidô (27 stations postales) 192 Elle avait un itinéraire commun avec la route Nikkô Kaidô d’Edo à Utsunomiya, avant de bifurquer pour continuer vers Shirakawa. Cette route servait à l’acheminement des marchandises en provenance du nord, notamment d’Ezo (aujourd’hui l’île de Hokkaidô).

Un moyen habile pour surveiller les seigneurs

Les Cinq routes avaient des largeurs différentes, comprises en cinq et neuf mètres environ, l’objectif militaire étant le premier critère retenu.

En 1659, des inspecteurs furent nommés pour gérer ces routes. Avec plusieurs casquettes, ils avaient également pour tâche de surveiller les daimyô. Ils informaient directement les fonctionnaires du shogunat, qui observaient de près les routes.

Avec l’établissement du système du sankin kôtai, les seigneurs féodaux étaient contraints de se rendre régulièrement à Edo pour y séjourner un certain temps et accomplir diverses tâches, avant de regagner leur fief de province. La largeur des cinq routes se prêtait parfaitement à leurs processions vers Edo, celles-ci s’apparentant davantage à des parades militaires. Et ce système de service en alternance convenait aussi parfaitement au shogunat qui voulait garder à l’œil les dirigeants régionaux. Les déplacements entre 20 heures et 4 heures du matin étaient en principe interdits. Même le retard d’un seigneur ne justifiait pas un déplacement la nuit. Les fortes dépenses entraînées par l’hébergement signèrent en partie la perte de pouvoir de ces grands seigneurs.

Les autres routes au Japon

Les Cinq routes s’étendaient jusqu’à Kyoto à l’ouest et Shirakawa au nord, ce qui était insuffisant pour couvrir tous les domaines. D’autres routes, plus petites, sillonnaient également le pays.

Routes secondaires

Nom Longueur (km) Description
Sendai-Matsumaedô (environ 86 stations postales) 530 Elle reliait Shirakawa à Minmaya dans la pointe nord de Honshû via Sendai, Morioka et Aomori.
Mito Kaidô (20 stations postales) 116 C’était l’une des plus importantes routes secondaires, faisant le lien entre Senju à Edo et Mito (aujourd’hui dans la préfecture d’Ibaraki). L’actuelle route nationale 6 suit la route Sendai-Matsumaedô.
Mikuni Kaidô (35 stations postales) 198 Elle commençait à Takasaki (aujourd’hui dans la préfecture de Gunma) sur la route de Nakasendô, pour se poursuivre jusqu’à Teradomari à Echigo (préfecture de Niigata).
Hokkoku Kaidô (19 stations postales) 130 Elle reliait Oiwake sur la route Nakasendô à Naoetsu sur la route Hokurikudô. Utilisée pour les pèlerinages au temple Zenkô-ji à Nagano, on l’appelle également la route Zenkôjidô.
Hokurikudô (environ 50 stations postales) 480 Elle longeait en grande partie le littoral de la mer du Japon depuis Naoetsu (préfecture de Niigata). Elle se dirigeait vers l’intérieur jusqu’à Toriimoto (préfecture de Shiga) sur la route de Nakasendô.
Ise Kaidô (7–9 stations postales) 74 Relativement courte, cette route bifurquait à partir de la route du Tôkaidô et était empruntée par les pèlerins du Grand sanctuaire d’Ise.
San’yôdô (50 stations postales) 550 Elle reliait Kyoto à Shimonoseki dans l’ouest de Honshû (préfecture de Yamaguchi). C’était une route très fréquentée notamment le long de la mer intérieure de Seto.
San’indô (environ 31 stations postales) 610 Elle reliait également Kyoto à Shimonoseki, mais se trouvait le long de la côte de la mer du Japon.

Le nombre de stations postales est parfois discuté. Les distances sont approximatives;

Jusqu’en 1700, les samouraïs du domaine de Kishû (aujourd’hui préfecture de Wakayama) empruntaient la route Ise Kaidô pour traverser Ise (aujourd’hui préfecture de Mie) avant de prendre la route du Tôkaidô pour se diriger vers Edo.

Dans le « Guide illustré du pèlerinage d’Ise » (Ise sangû meisho zue), est représentée une image d’un daimyô passant devant la gare de Seki-juku (aujourd’hui dans la préfecture de Mie) sur la route du Tôkaidô. Cette gare reliait la route principale et la route Ise Kaidô. Difficile de savoir réellement si le groupe était originaire de Kishû, mais la photo montre clairement les serviteurs d’un domaine se rendant à Ise Kaidô.

Images extraites du « Guide illustré du pèlerinage d'Ise » (Ise sangû meisho zue). On y voit le groupe d'un daimyô passant devant la gare postale de Seki-juku. Cette gare reliait la route du Tôkaidô à la route Ise Kaidô (avec l'aimable autorisation de la Bibliothèque nationale de la Diète).
Images extraites du « Guide illustré du pèlerinage d’Ise » (Ise sangû meisho zue). On y voit le groupe d’un daimyô passant devant la gare postale de Seki-juku. Cette gare reliait la route du Tôkaidô à la route Ise Kaidô (avec l’aimable autorisation de la Bibliothèque nationale de la Diète).

Les trafics étaient différents d’une route à une autre. Par exemple, des routes comme la route Hokurikudô et la route San’yôdô étaient extrêmement fréquentées, à tel point que le trafic était suffisant pour rivaliser avec la totalité des Cinq routes d’Edo. Elles jouaient par ailleurs un rôle vital, si l’on considère la ville de Kyoto comme le centre du Japon. La route Hokurikudô reliait l’ancienne capitale du Japon à Kanazawa et à Echigo (aujourd’hui préfecture de Niigata). La route San’yôdô la reliait à l’ouest. Ces routes étaient cependant seulement secondaires, le shogunat accordant davantage d’importance aux routes menant à la capitale de l’époque, Edo.

Le sankin kôtai impliquait des déplacements en masse, nécessitant un transport à la hauteur pour les marchandises, ce qui profitait largement au commerce. Ainsi, les samouraïs n’étaient pas les seuls à se déplacer plus souvent, les citoyens ordinaires aussi. Si le réseau routier a initialement été construit à des fins militaires, ses routes ont largement dépassé leur fonction première, soutenant à la fois le commerce, l’industrie et le tourisme.

(Photo de titre : « Les routes de Kisoji Nakasendô et du Tôkaidô, d’Edo jusqu’à Fushimi » [Edo yori Fushimi made Kisoji Nakasendô Tôkaidô ezu]. L’image montre les routes de Nakasendô, Kôshû Kaidô et du Tôkaidô [de haut en bas]. L’illustration est d’un auteur inconnu en 1668. Photo avec l’aimable autorisation de la Bibliothèque nationale de la Diète)

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