Exploration de l’histoire japonaise
Comment le shôgun choisissait-il ses favorites ?
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Peu d’élues
Le mot ôoku, ou « chambres intérieures », désignait le quartier résidentiel du château d’Edo réservé aux femmes affectées au service des shôguns qui se sont succédé à l’époque d’Edo (1603-1868).
Hormis quelques exceptions constatées aux débuts de l’instauration de ce « gynécée », il était pratiquement impossible à une roturière de se faire remarquer par le shôgun.
O-Shizuka, par exemple, la favorite du deuxième shogun Hidetada (1579-1632), aurait été fille de charpentier. Masayuki (1611-73), leur fils illégitime, sera ensuite nommé à la tête du fief d’Aizu dont il sera le fondateur. Cependant, certains considèrent que le père de la jeune femme, loin d’être charpentier, aurait été en fait un ancien vassal des Go-Hôjô. Son extraction reste incertaine au regard de l’histoire.
Il en va de même pour O-Tama qui avait les faveurs d’Iemitsu (1604-51), alors troisième shôgun. Elle donna naissance à un fils nommé Tsunayoshi qui devint le cinquième shôgun. Des annales peu fiables parues au XVIIIe siècle sous le titre de « Généalogie des favorites du shogunat » (Ryûei Fujoden Kei) parlent d’une fille de marchand des quatre saisons qui aurait gagné les faveurs d’Iemitsu. Mais ces faits ne sont pas prouvés.
Il existe d’autres légendes voulant qu’Iemitsu ait pris pour favorite une femme répondant au nom de Kasuga no Tsubone qu’il aurait découverte dans les rues d’Asakusa (et qui s’appelera plus tard O-Raku), ou encore une servante de bas rang qu’il aurait rencontrée dans des bains publics et qui aurait pris le nom de O-Natsu. Qu’elles soient avérées ou non, ces histoires resteraient des exceptions.

« La Fille du marchand de quatre saisons » (Yaoya no musume, paru en 1920) raconte la légende dorée de O-Tama, une favorite d’Iemitsu (le troisième shôgun). De nos jours, on continue de mettre en l’avant l’origine populaire de cette O-Tama qui est souvent présentée comme une Cendrillon japonaise. (Collections de la Bibliothèque nationale du Japon)
Pour devenir favorites du shôgun, les jeunes femmes devaient faire partie du cercle restreint du o-chûrô. Ces « femmes d’intérieur » (jochû) étaient à 5 rangs du sommet de la hiérarchie et peu de femmes pouvaient prétendre à cet honneur. Elles devaient être nées dans des familles de samouraïs autorisés à être reçus en audience par le shôgun (Omemie-ijô) et donc issues d’une classe supérieure ou égale aux hatamoto (hauts samouraïs vassaux directs du shôgun). Si de jeunes femmes venant de classes inférieures (Omemie-ika, nées dans des familles de paysans, de négociants ou de samouraïs de basse classe) entraient dans l’ooku, ce ne serait jamais que comme servantes, à titre de femmes de chambre à qui seraient confiées des tâches subalternes et qui travailleraient dans des endroits sans aucun contact possible avec le shôgun. Toute rencontre aurait été impossible. Toute femme de basse condition devait se faire adopter par une famille de hatamoto pour pouvoir prétendre à rentrer au gynécée et espérer fréquenter le shôgun.
C’est par ce biais que O-Miyo a réussi à attirer l’attention sur elle et a pu s’élever au rang de favorite du 11e shôgun Ienari (1773-1841). Son père était moine dans un temple de rang inférieur affilié à l’école Nichiren, mais après avoir été adoptée par un hatamoto lié au shôgun, elle a pu rentrer au gynécée et séduire Ienari. Une telle manœuvre, fomentée par des hatamoto proches du shôgun, reste cependant extrêmement rare.
Réussir à « l’entretien »
Comment se passait la sélection des favorites ? Le parcours était ardu et les femmes de haut rang devaient répondre à des critères très stricts. Dans les « Annales des faits passés » (Kyûji Shimon-roku, circa 1890), le Tokyo Imperial University History Club liste les questions posées à d’anciens fonctionnaires du shogunat. Quel était alors le niveau d’exigence ?
- Huit femmes de haut rang étaient choisies par de hauts dignitaires parmi les « femmes de chambres » du shôgun pour être promues et passer au rang de « femmes d’intérieur » du shôgun, ce qui leur ouvrait la porte à de nouvelles opportunités, elles pouvaient désormais espérer se faire remarquer du généralissime et prétendre à la position de favorite.
- Le rang familial étant prioritaire, les jeunes femmes de haut lignage étaient avantagées.
- Le shôgun pouvait choisir autant de favorites qu’il le souhaitait parmi ces huit femmes.
En somme, primeur à la noblesse. Dans une société très corsetée par une stricte hiérarchie des classes sociales, le ôoku ne faisait pas exception. Plus que l’apparence, c’est la naissance qui comptait. Ces critères ne sont pas surprenants puisque les favorites avaient pour principale mission de donner un fils qui pourrait succéder à son père le shôgun, voire une fille qui pourrait être mariée à un seigneur dans le cadre d’un mariage politique.
Mais avant toute chose, il fallait réussir à l’« entretien d’embauche » diligenté par les dignitaires.
On ne sait pas en quoi il consistait exactement, mais comme on recherchait surtout des femmes vertueuses et de bonnes mères, on peut donc supposer qu’il devait y avoir des épreuves pratiques (de couture par exemple) et que les antécédents familiaux garantissant qu’il y ait eu beaucoup d’enfants mâles dans la lignée devaient jouer. Soulignons qu’être choisie ne suffisait pas, seule la naissance d’un enfant pouvait permettre à une jeune femme de s’élever socialement et de prétendre au titre effectif de « favorite » (sokushitsu).
Murayama Maseko était la femme de chambre attitrée de Tenshô-in (1836-83), épouse légitime du 13e shôgun Iesada. Elle a relaté dans une interview accordée à Mitamura Engyo (1870-1952) les coutumes présidant à cette époque à la sélection de favorites.
« Les candidates devaient passer une épreuve, il leur était demandé de se promener dans le jardin sous le regard du shôgun. »

Interview de Murayama Maseko parue sous le titre « Les Femmes du palais » (Goten jochû) (écrit par Mitamura Engyo, publié en 1930). (Collections de la Bibliothèque nationale du Japon)
Les jeunes candidates présélectionnées devaient donc, sous le regard scrutateur du shôgun, se promener dans le jardin du château d’Edo dans un kimono à longues manches. À l’issue de cette épreuve, le shôgun désignait « ces préférées », les lauréates étaient alors promues et il choisissait ensuite dans ce dernier cercle celles avec qui il souhaitait entretenir une relation.
Comme mentionné plus haut, sous Iemitsu à l’époque du troisième shôgun, le statut des favorites était encore ambigu. Des règles ont sans doute été établies à partir du milieu de l’époque d’Edo, alors que le grand palais adoptait un protocole strict. Au fil du temps, le ôoku est devenu un lieu politique permettant le contrôle de la descendance (tane) du généralissime.
Quel fut leur vie ?
La série d’articles intitulée « La Décadence du ôoku sous le shôgun Ienari » laisse à penser qu’après Ienari (1773-1841), les règles édictées ont connu de nombreuses dérogations. Ainsi, dans le gynécée pour la fête des Filles (Hina-matsuri) qui a lieu en mars, il était coutume d’installer dans la salle du trône de luxueuses figurines sur un présentoir à douze niveaux, mais les proches des femmes d’intérieur étaient en fait autorisées à venir les admirer. Ienari profita de l’occasion pour choisir parmi les parentes en visite celles qu’il allait élever au rang de favorites.
Murayama Maseko, précédemment mentionnée, relate que le 14e shôgun (Iemochi, 1846-66), aurait également dit avoir remarqué « une jeune fille de 17 printemps » lors d’une « audience publique », or ce type d’audience n’avait pas lieu dans le « jardin privé » qui servait normalement de cadre à la sélection des prétendantes (il pourrait s’agir ici d’un site dans Edo, hors du palais).
Après Ienari, le protocole semble donc s’être un peu relâché.
Les favorites se retiraient quand leur « époux » venait à mourir et qu’un nouveau shôgun lui succédait. Elles se rasaient alors la tête, entraient dans les ordres et changeaient de prénom pour prendre un nom bouddhique finissant en « -in ».
On relève plusieurs cas de figure.
- Si elle avait donné naissance à un fils destiné à être le nouveau shôgun → elle pouvait continuer de vivre dans le ôoku du quartier Hon-maru au château d’Edo.
- Si elle avait donné naissance à un fils qui ne succéderait pas au shôgun → elle pouvait emménager dans le ôoku du quartier Ni-no-maru au château d’Edo.
- Si elle avait eu une fille → elle déménageait soit dans le ôoku du quartier Ni-no-maru au château d’Edo soit dans la résidence impériale de Sakurada
- Si elle n’avait pas eu d’enfants (et donc n’avait pas le titre de favorite) → elle déménageait dans la résidence impériale de Sakurada
La résidence impériale de Sakurada accueillait les favorites retirées. On voit sur le plan de la ville d’Edo, que cette « résidence de nonnes (bikuni) » se trouvait à l’emplacement de l’actuel parc Hibiya.

Le site de Soto-sakurada-chô figure sur le « Plan illustré d’Edo quartier par quartier » (Edo kirie-zu), la résidence impériale de Sakurada est ici cerclée de rouge, c’est là que vivaient les favorites retirées. (Collections de la Bibliothèque nationale du Japon)
Le sexe de l’enfant à qui elle donnait le jour décidait du destin des favorites. Même en cas d’un enfant mâle, leur sort changeait encore selon que le garçon soit promis ou non à succéder au shôgun. Le système était très hiérarchisé.
Mais on peut dire que les jeunes femmes choisies par le shôgun menaient tout de même une vie privilégiée car elles étaient prises en charge par le shogunat jusqu’à la fin de leurs jours.
(Photo de titre : sur l’estampe intitulée « Jeunes femmes passant l’entretien pour devenir favorite » (Musume Omemie-zu), on voit à droite une favorite accompagnée de sa servante, elle est assise et semble soumettre le kimono qu’elle a cousu en attendant l’évaluation de l’épouse légitime du shôgun. Collections de la Bibliothèque nationale du Japon)